Lors de sa première visite au Kazakhstan, Emmanuel Macron a fait part de son intention d’« accélérer » le partenariat stratégique bilatéral. Une manière de réaffirmer les liens profonds qui unissent les deux pays et de rappeler le rôle qu’a le Kazakhstan pour la France dans la sous-région.
Par Clément Airault
l était un peu moins de 10 h 30, le 1er novembre, lorsque l’avion présidentiel d’Emmanuel Macron se pose sur le tarmac de l’aéroport d’Astana, pour sa première visite au Kazakhstan. Il fut accueilli chaleureusement par le Président Kassym-Jomart Tokayev, qui l’a remercié « d’avoir accepté [s]on invitation et d’être venu au Kazakhstan en visite officielle », soulignant que « la coopération entre le Kazakhstan et la France se développe de manière dynamique, mais il est nécessaire de lui donner une impulsion supplémentaire. » Alors que le Kazakhstan est courtisé de toutes parts (cf. notre article sur le sujet), la France entendait par cette visite réaffirmer l’importance stratégique du partenariat bilatéral entre Paris et Astana, mais également profiter de ce voyage pour signer des accords dans des secteurs d’avenir. Il est « important d’accroître les partenariats sur l’agenda mondial et de relever les défis communs, notamment le changement climatique, la biodiversité et la règlementation dans le monde numérique, ainsi que les questions liées à l’eau, entre autres », a déclaré le Président Macron, dans un discours prononcé lors de sa visite aux étudiants de l’université de droit Maqsut Narikbayev.
Ce contenu est réservé aux abonnés
Le Kazakhstan a enregistré une croissance économique de 4,7 %, et la France contribue à son essor. L’année dernière, le commerce bilatéral entre les deux États a augmenté de 30 % pour atteindre 4 milliards de dollars. Et la tendance est à la hausse. « La France est l’un des plus grands investisseurs internationaux dans notre économie, injectant près de 19 milliards de dollars. Au cours des six premiers mois de cette année, nous avons enregistré une augmentation impressionnante de 50 % des IDE vers le Kazakhstan en provenance de nos partenaires français. C’est un signe de grande confiance dans le Kazakhstan », a détaillé le Président Tokayev. Au cours de la journée du 1er novembre, les Présidents kazakhstanais et français ont signé plusieurs accords majeurs dans des domaines divers, notamment l’énergie.
Des énergies pour le futur
Il apparaissait clair, à la veille de la visite d’Emmanuel Macron, que les questions énergétiques figureraient au premier plan des échanges avec son homologue kazakhstanais, tant elles sont aujourd’hui primordiales pour la France, dans un contexte géopolitique complexe.
Le Kazakhstan, qui possède 12 % des ressources d’uranium de la planète, en est le premier producteur et le premier fournisseur en France. Alors que le nucléaire représente 63 % du secteur énergétique français — un pourcentage qui continue de croître —, la coopération sur ce point ne peut que s’intensifier. D’autres sources d’énergie, durables, sont également d’importants axes de coopération entre les deux États. L’un des accords signés le 1er novembre porte sur la création d’une coentreprise pour la construction de parcs éoliens au Kazakhstan, d’une capacité totale de 1,2 GW avec un système de stockage d’énergie. Le groupe Total Énergies a prévu d’y investir 1,3 milliard de dollars.
« Si nous voulons atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, et que votre pays s’engage pour 2060, nous devons construire de plus en plus de solutions communes, transférer des innovations, accélérer la coopération entre entreprises pour décarboner l’économie », a estimé Emmanuel Macron. Kassym-Jomart Tokayev ne peut qu’acquiescer aux propos de son homologue, estimant pour sa part que « l’hydrogène vert présente également un énorme potentiel ». Avec les bons partenariats, le Kazakhstan entend devenir « l’un des dix premiers exportateurs » dans ce secteur à court terme.
Si l’approvisionnement d’uranium est une question stratégique pour la France, celui des terres rares l’est également. Et là encore, le Kazakhstan joue un rôle de premier plan. Le pays produit 16 des 30 terres rares essentielles à l’économie européenne. « Avec quelque 5 000 gisements inexplorés évalués à plus de 46 000 milliards de dollars, le Kazakhstan peut être un partenaire fiable pour développer conjointement ce créneau », a fait savoir le Président Tokayev. Une déclaration commune entre Astana et Paris sur leur intention de coopérer dans le domaine des minéraux stratégiques a été signée, ce qui est « absolument essentiel pour nous », a précisé le Président français.
À la croisée des continents
Emmanuel Macron décrit le Kazakhstan comme « un pont naturel d’autonomie entre l’Europe et l’Asie ». Cette définition traduit bien les différents rôles que joue ce pivot eurasiatique. Du point de vue logistique, le pays est le principal pôle régional, avec ses infrastructures multimodales qui ne cessent d’être modernisées. Le corridor médiane TITR (Trans-Caspian International Transport Route) « est non seulement la route la plus courte mais aussi la plus viable pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement entre l’Europe et l’Asie », estime le Chef de l’État kazakhstanais.
L’objectif est d’atteindre les 10 millions de tonnes de fret annuel, et pour cela, il est important pour le Kazakhstan de s’intégrer au RTE-T (Réseau transeuropéen de transport), ainsi qu’à l’initiative Global Gateway lancée par l’Union européenne, et qui soutient « les investissements intelligents dans des infrastructures de qualité, qui respectent les normes sociales et environnementales les plus élevées, conformément aux valeurs et aux normes de l’UE », selon la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen.
Paris peut aider Astana sur ce volet. C’est l’objectif de l’accord d’investissement signé le 1er novembre, pour la mise en œuvre du projet « Production et maintenance de locomotives ferroviaires et de matériel roulant, ainsi que de composants pour équipements ferroviaires en République du Kazakhstan ».
Pour le Président Macron, d’un point de vue géopolitique, le hub de transports kazakhstanais offre un projet de connectivité alternatif, dans une région du monde à ce jour épargnée par les conflits, et qui met l’accent sur la coopération.
Biotechnologies et questions agricoles
Le partenariat entre Paris et Astana doit être gagnant-gagnant, et si les ressources du premier sont indispensables au second, les technologies et l’expertise françaises sont nécessaires au Kazakhstan pour continuer son développement. Dans les biotechnologies, le du grand État d’Asie centrale avait déjà prouvé sa capacité à produire un vaccin contre le Covid-19, en pleine pandémie. Grâce à l’accord de coopération signé entre la société pharmaceutique kazakhstanaise QazBioPharm et la société Boehringer Ingelheim Animal Health France, un vaccin contre la fièvre aphteuse va également pouvoir être produit localement. Cela ouvre la voie à de futurs partenariats sur le marché pharmaceutique, et offre de nouvelles perspectives de développement de l’élevage au Kazakhstan.
Le pays est propice à l’agriculture, puisque 74 % du territoire pourrait y être affecté. Le potentiel dans l’agroalimentaire est immense, notamment pour les entreprises françaises, à l’image de Lactalis qui fut l’une des premières à entrer sur le marché kazakhstanais il y a 20 ans, et qui possède plusieurs usines et fermes laitières dans le pays. De nouvelles sociétés sont intéressées. Le Président Tokayev a notamment rencontré le PDG de Semmaris, Stéphane Layani, qui prévoit avec son entreprise de créer un grand centre de transformation de produits agricoles dans la région d’Almaty. Ce centre devrait entrer en production en 2025. Grâce aux différentes initiatives de ce type, le pays entend tripler sa productivité agricole et doubler ses exportations à court terme.
Renforcer les liens humains
Les liens culturels sont forts entre la France et le Kazakhstan, où la pratique du français progresse. La vitalité de l’Institut Sorbonne-Kazakhstan et des quatre Alliances françaises installées dans le pays (à Almaty, Astana, Chymkent et Karaganda) en témoignent. C’est pourquoi les deux pays ont convenu de poursuivre un certain nombre de projets dans les domaines de l’éducation et des sciences, et de signer des accords pour ouvrir des écoles françaises au Kazakhstan, destinées à enseigner la langue française et renforcer l’interaction académique. Le kazakh est de nouveau enseigné à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales) à Paris. Dans leur déclaration commune, les deux Chefs d’État « se sont félicités du renforcement de la mobilité des étudiants kazakhstanais vers la France grâce à l’augmentation du nombre de bourses dans le cadre du programme bilatéral Abaï-Verne, et de l’extension de la liste des universités françaises éligibles au programme Bolachak ».
D’autre part, un accord a été signé sur la création et le fonctionnement du groupe de l’AFD (Agence française de développement) au Kazakhstan. Cela permettra de renforcer les coopérations en matière de transition énergétique, d’environnement et de développement social. Des premiers travaux dans les secteurs de l’eau, de l’énergie et de la santé seront engagés, avec pour perspective l’ouverture d’un bureau de représentation à Astana, ont précisé Kassym-Jomart Tokayev et Emmanuel Macron.
« Nous souhaitons renforcer l’implication de nos entreprises dans de nombreux autres domaines », a rappelé Emmanuel Macron. L’industrie aérospatiale, mais également les services financiers et le tourisme constituent autant de nouveaux axes de coopération prometteurs. Les liens entre la France et le Kazakhstan ne peuvent que s’intensifier dans les années à venir.
Emmanuel Macron échange avec les étudiants kazakhstanais
À l’occasion de son séjour à Astana, le Président français s’est rendu à l’Université de droit Maqsut Narikbayev. Il y a rencontré un groupe d’étudiants avec lequel il a échangé sur les domaines prioritaires de la coopération franco-kazakhstanaise, mais également l’actualité politique et géopolitique mondiale, et l’importance du droit international.
Les conflits russo-ukrainien et israélo-palestinien ont notamment fait l’objet de discussions. « Nous sommes tous ici en raison des valeurs humaines universelles, de la dignité des personnes et de l’importance de toute vie dans ce monde. Ce sont des valeurs universelles qui font partie de la Charte des Nations unies », a-t-il déclaré, précisant que « la proposition (résolution sur la situation humanitaire à Gaza, ndlr) que [la France a] faite repose sur trois points : la lutte contre le terrorisme, la protection de la population et des civils, et la reprise du dialogue politique et du processus de paix. »
Les étudiants ont aussi demandé au Président français son point de vue sur l’égalité humaine, les réformes juridiques, l’ordre de sécurité européen et les opportunités d’affaires en France pour les entrepreneurs kazakhstanais. S’adressant directement aux futurs diplômés, Emmanuel Macron leur a donné ses recommandations : « Je pense que ce pays a besoin de votre énergie et de ce que vous avez appris dans cette université […]. En démocratie, les choix publics, la vie publique vous appartiennent. Et c’est votre travail, votre devoir et votre responsabilité. »