La question de l’autonomie régionale en France, bien qu’elle se cristallise autour de la Corse, est un enjeu national qui concerne de nombreux territoires. À l’heure de la mondialisation et de l’intégration européenne, il est essentiel de repenser le rôle et la place des régions au sein de l’État.
Par Rafik Ammar
L’autonomie régionale, un sujet souvent évoqué lorsqu’on parle de la Corse, est un enjeu majeur dans les relations internationales. Les revendications nationalistes corses ont été portées par différents mouvements depuis les années 1970, allant de la demande d’autonomie à celle d’indépendance. Si la question corse est largement médiatisée, d’autres régions françaises aspirent également à une reconnaissance de leur spécificité. Cette quête ne se limite pas à une demande de pouvoirs accrus, mais englobe également une demande de reconnaissance culturelle, économique et sociale. Avant d’aborder la situation des autres régions françaises, il est essentiel de comprendre la genèse des revendications autonomistes.
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Entre aspirations autonomistes et revendications identitaires
La Bretagne : Historiquement, la Bretagne a une culture et une langue (le breton) distincts. Des mouvements comme l’Union démocratique bretonne (UDB) ont souvent plaidé pour une plus grande autonomie régionale et une reconnaissance de la culture bretonne.
L’Alsace : Bien que ses aspirations autonomistes soient moins médiatisées que celles de la Corse, l’Alsace possède également une histoire et une culture qui lui sont propres. La question de l’autonomie alsacienne est étroitement liée à ses relations passées avec l’Allemagne et à la préservation de sa langue, l’alsacien.
Le Pays basque et la Catalogne du Nord : La région du Pays basque en France (Iparralde en basque) a également des revendications autonomistes, influencées en partie par la situation du Pays basque espagnol. De même, la Catalogne du Nord (la partie française) possède des aspirations autonomistes, notamment en matière linguistique avec la préservation du catalan.
De l’Ancien Régime à une intégration européenne
La notion d’autonomie régionale en France trouve ses racines dans l’histoire tumultueuse du pays, marquée par de nombreuses guerres, annexions et évolutions territoriales. Les différentes régions ont développé des identités propres, parfois renforcées par des périodes d’autonomie ou d’indépendance. Sous l’Ancien Régime, la France était composée d’une mosaïque de territoires, chacun ayant ses lois, coutumes et privilèges. Ils étaient soit directement sous l’autorité du roi (domaine royal), soit semi-indépendants (comme les duchés et les comtés). La Bretagne, par exemple, était un duché indépendant jusqu’à son rattachement à la France en 1532.
C’est uniquement à partir de la Révolution française que le pays se tourne vers une centralisation. 1789 a entraîné la suppression des anciennes provinces et la création de départements, dans une tentative d’uniformisation administrative. Ce changement avait pour but de renforcer le pouvoir central aux dépens des régions. La période révolutionnaire a également vu la naissance d’un sentiment national français, qui a souvent été en contradiction avec les identités régionales.
Vers les XIXe et XXe siècles, l’industrialisation et la modernisation ont accéléré la centralisation, avec Paris comme principal centre de pouvoir. Cependant, ce processus a également généré une intensification des tensions et revendications. En Bretagne par exemple, les lois sur l’enseignement du français ont souvent été perçues comme une atteinte à la culture régionale. De même, l’Alsace-Lorraine, annexée par l’Allemagne après la guerre de 1870, a connu des fluctuations identitaires en fonction de ses rattachements successifs à la France ou à l’Allemagne.
Au XXe siècle, après la Seconde Guerre mondiale, les mouvements régionalistes ont gagné en importance. La Corse a ainsi connu une montée du nationalisme, en partie à cause de sa situation économique précaire. Ce sont les années 1980 qui annoncent le début d’une reconnaissance de l’autonomie régionale. La décentralisation initiée par le Président François Mitterrand marque un tournant. Elle permet une plus grande indépendance des régions dans certains domaines, comme l’éducation ou la culture. C’était une réponse aux demandes croissantes d’autonomie et de reconnaissance des spécificités régionales.
Autonomie régionale et identité européenne
L’Union européenne a alloué d’importants fonds aux régions pour soutenir leur développement économique, social et territorial. Ces fonds ont permis à nombre d’entre elles de financer des projets majeurs et ont renforcé leur capacité à décider de leurs propres priorités en matière de développement. Mais si l’UE peut être un levier pour renforcer l’autonomie régionale, se pose la question de l’équilibre avec la souveraineté nationale. Certains États membres, dont la France, ont parfois été réticents à accorder trop de pouvoir aux régions de peur de diluer leur propre autorité. Le cas du Brexit a en outre montré comment les tensions régionales pouvaient influencer les relations d’un pays avec l’UE. L’Écosse et l’Irlande du Nord, par exemple, ont voté majoritairement pour rester dans l’UE, ce qui a relancé les débats sur leur statut au sein du Royaume-Uni.
Le XXIe siècle marque quant à lui l’intégration européenne. Aujourd’hui, la question de l’autonomie régionale est toujours d’actualité, mais elle est aussi influencée par la dynamique européenne. Certaines régions voient une opportunité de renforcer leur indépendance tout en restant intégrées à un ensemble plus vaste. L’un des principaux objectifs de l’UE est de réduire les disparités entre les régions. Sa politique vise à garantir entre elles un certain équilibre. L’UE leur a alloué d’importants fonds pour soutenir leur développement économique, social et territorial. Ces fonds ont permis à de nombreuses régions de financer des projets majeurs et ont renforcé leur capacité à décider de leurs propres priorités en matière de développement.
La réforme territoriale de 2014-2015
La loi NOTRe (Nouvelle organisation territoriale de la République), adoptée en 2015, a été l’un des principaux changements concernant l’organisation territoriale de la France. Elle a réduit le nombre de régions métropolitaines de 22 à 13, dans le but d’optimiser les dépenses et de renforcer leur rôle dans la gouvernance locale. Si cette réforme a été présentée comme une modernisation nécessaire, elle a été critiquée pour son impact sur l’identité et l’autonomie des régions fusionnées.
La montée des revendications régionalistes
Cette dernière décennie a été marquée par plusieurs dynamiques qui ont influencé la question de l’autonomie régionale en France. La période a vu une montée de certaines revendications. En Bretagne, par exemple, le mouvement pour la réunification de la Loire-Atlantique à la Bretagne a gagné en visibilité. Des manifestations importantes ont eu lieu en 2014 et les années suivantes sur ce thème.
De son côté la Corse, dont les revendications autonomistes sont historiquement au cœur des débats, poursuit son projet. En 2015, pour la première fois, les nationalistes corses ont remporté les élections territoriales, conduisant à la formation d’un exécutif dirigé par Gilles Simeoni, qui a placé l’autonomie accrue de l’île en haut de son agenda. Mais ce n’est que le 28 septembre 2023 que le Président de la République, Emmanuel Macron, en visite à Ajaccio, a annoncé un délai de six mois aux groupes politiques corses, des indépendantistes à la droite, pour arriver à un « accord » avec le Gouvernement qui mènerait à un « texte constitutionnel et organique » permettant à l’île de bâtir « une autonomie dans la République ».
Reconnaissance des langues régionales
Si la Constitution française établit que la langue de la République est le français, les langues régionales ont acquis une reconnaissance progressive. La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, bien que signée par la France, n’a pas été ratifiée à cause de préoccupations constitutionnelles. Toutefois, l’enseignement des langues régionales s’est développé et est désormais reconnu, même si beaucoup considèrent que les efforts accomplis restent insuffisants. Les années 2010 ont été marquées par une prise de conscience accrue de la nécessité de préserver les langues régionales. Des territoires comme la Bretagne, l’Alsace ou le Pays basque ont vu fleurir des initiatives visant à renforcer l’enseignement et la visibilité de leurs langues respectives. Le film Demain, sorti en 2015, a notamment mis en avant la ville de Plouguerneau en Bretagne pour son action en faveur du bilinguisme français-breton. On peut également citer la crise des « gilets jaunes » en 2018, qui certes a principalement des origines socioéconomiques, mais où a aussi été mis en lumière un sentiment de déconnexion entre Paris et les régions, renforçant l’idée que certains territoires ressentent le besoin d’une plus grande autonomie pour répondre à leurs problématiques spécifiques.
La Nouvelle-Calédonie à la croisée des chemins
Les années 2010 ont donc connu une intensification des débats autour de l’autonomie régionale, influencés par des réformes structurelles, des revendications identitaires et des crises sociopolitiques. L’évolution de ces débats dans les années à venir reste un sujet d’intérêt majeur pour l’avenir de la gouvernance nationale française.
Les Départements et Territoires d’outre-mer (DOM-TOM) représentent la dimension ultramarine de la République française. Dispersés autour du globe, ils ont des histoires, des géographies et des statuts juridiques distincts. Depuis la révision constitutionnelle de 2003, on parle plutôt de DROM (Départements et régions d’outre-mer) et de COM (Collectivités d’outre-mer).
Cependant, la Nouvelle-Calédonie dispose d’un statut particulier, différent de celui des COM, et la question de l’avenir de l’archipel reste ouverte. Situé dans le Pacifique Sud, il a été annexé par la France en 1853. Il est devenu un territoire d’outre-mer en 1946. Au cours de son histoire coloniale, la Nouvelle-Calédonie a été le lieu d’un peuplement européen et asiatique important, mais elle a aussi abrité un système de travail forcé avec l’utilisation de travailleurs venant d’autres régions du Pacifique, et surtout mené une politique d’assimilation à l’égard du peuple autochtone, les Kanaks.
De l’accord de Matignon à celui de Nouméa
À partir des années 1980, les tensions entre les Kanaks, qui réclamaient l’indépendance, et les partisans du maintien dans la République française ont augmenté. En 1988, les accords de Matignon, signés après des évènements tragiques comme la prise d’otages d’Ouvéa, ont instauré une paix et prévu un référendum sur l’indépendance pour 1998. Toutefois, en 1998, l’accord de Nouméa a reporté cette échéance et introduit un processus de transfert accru de compétences de la France vers la Nouvelle-Calédonie.
L’accord prévoyait la tenue d’un maximum de trois référendums sur l’indépendance entre 2018 et 2022. Le premier a eu lieu en 2018, et 56,7 % des électeurs ont voté contre l’indépendance. Au deuxième, qui s’est tenu en 2020, 53,26 % ont voté contre l’indépendance, montrant une progression du camp indépendantiste, représenté par le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Mais depuis un peu plus d’un an, l’accord de Nouméa est contesté. Précisément depuis le troisième et dernier référendum sur l’autodétermination, qui s’est déroulé fin 2021. Le « non » à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? » l’a emporté pour la troisième fois, mais dans un contexte très particulier puisque le vote a eu lieu en pleine épidémie de Covid, et que les indépendantistes avaient appelé à boycotter les urnes. Le résultat du scrutin est donc jugé illégitime par les partisans de ces derniers.
À ce jour, la Nouvelle-Calédonie jouit d’une grande autonomie, avec un Congrès et un Gouvernement qui gèrent de nombreuses compétences, notamment l’éducation, les impôts et le droit du travail. La question de l’indépendance demeure cependant centrale dans le débat politique local, avec des partis et des groupes de la société civile des deux côtés. Des élections locales auront lieu en mai 2024. Il faudrait d’ici là qu’un nouveau statut soit entériné. L’enjeu de l’indépendance ne concerne pas seulement la politique, mais aussi l’identité, l’économie (notamment la gestion des importantes réserves de nickel de l’archipel), et les relations avec l’Hexagone et le reste du Pacifique.
L’identité régionale en France est souvent un mélange complexe d’histoire, de culture et de langue. Si toutes les régions n’aspirent pas nécessairement à l’autonomie ou à l’indépendance, beaucoup cherchent à préserver et promouvoir leur patrimoine unique. Les revendications autonomistes, lorsqu’elles existent, sont souvent dues au sentiment d’être mal compris ou négligé par le pouvoir central.
La question de l’autonomie régionale est profondément ancrée dans l’histoire de la France. Elle reflète les tensions entre un pouvoir central fort et des identités territoriales qui ont cherché à préserver leur spécificité tout en s’intégrant à la nation. Si elle peut sembler être une solution à la préservation des cultures et des identités, elle présente aussi des défis. Comment équilibrer les pouvoirs entre l’État central et les régions autonomes ? Quels seraient les impacts économiques d’une telle autonomie ? Autant de questions qui restent en suspens.