Longtemps considérée comme la ville la plus violente du monde, Medellin est aujourd’hui citée en exemple pour sa « résilience ». Les efforts engagés en matière de sécurité et de rénovation urbaine ont porté leurs fruits, pour en faire l’une des villes les plus dynamiques d’Amérique latine.
Par Clément Airault
Medellin, seconde ville la plus peuplée de Colombie, est la capitale de l’Antioquia. La « Ville de l’éternel printemps », comme on aime à la surnommer, est désormais appréciée des touristes. Ils aiment flâner dans les ruelles colorées de la Comuna 13. Il n’en a pas toujours été ainsi. Ce quartier fut longtemps l’un des plus dangereux de Medellin.
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Renaissance de l’ex-capitale du crime
« Là où régnaient la douleur, la guerre urbaine et les disparitions, sont apparus la joie, la couleur, l’art et le tourisme », rapportait L’Express en 2022, lors de la visite en Colombie de l’ambassadeur de l’Union européenne Gilles Bertrand. Dire que Medellin était, jusqu’au début des années 2000, l’une des villes les plus violentes au monde n’est pas exagéré. En 1991, elle détenait le plus fort taux d’homicides par habitant (381 meurtres pour 100 000 habitants). La raison ? Le narcotrafic, qui a gangréné le pays dès la fin des années 1970.
Au début de la décennie suivante, le cartel de Medellin, dirigé par le célèbre Pablo Escobar, est tout puissant. La corruption est partout, y compris au sein de la police. Le baron de la drogue est même élu en 1982 (avant que le vote ne soit invalidé peu après) député suppléant. Dans les rues, les règlements de comptes et batailles rangées pour le contrôle des territoires terrorisent les habitants. Ces derniers subissent en plus les violences des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et des groupes paramilitaires d’extrême droite.
Le début du XXIe siècle est un tournant. À la tête de la mairie de 2004 à 2008, Sergio Fajardo engage une politique de rénovation urbaine, fondée sur l’innovation, la sécurité et la participation sociale. En dix ans, les changements sont spectaculaires. Medellin est élue en 2014 « ville la plus innovante » de l’année par le Wall Street Journal. Le FMI parle de « miracle ». La « Capitale de la montagne » a su faire les bons choix. Après des décennies de violence, la population n’aspire qu’à retrouver la paix.
Changer la société
De nos jours, les cartels n’ont pas disparu, mais ils se sont morcelés, émiettés, et ne peuvent plus rivaliser avec la puissance étatique. En quelques années, les mesures engagées par les autorités ont permis de réduire le taux d’homicides par habitant de 95 %. « Même si le seul chiffre acceptable est zéro, nous avons réalisé des progrès significatifs dans la lutte contre la violence », déclarait Federico Gutiérrez dans une interview accordée à Finance & Development en juin 2020. L’actuel maire de Medellin (cf. encadré) a d’ailleurs fait de l’ordre et de la sécurité son cheval de bataille, dès le début de son premier mandat en janvier 2017.
Mais, plus que de simples stratégies policières, qui ont prouvé au cour des années 1980 et 1990 qu’elle se suffisaient pas face à des cartels structurés comme de véritables armées, il importait pour l’État colombien et la ville de Medellin de réussir à changer la société en profondeur, car la violence prend racine dans les inégalités sociales. Dans les quartiers, la règle des narcotrafiquants du plata o plomo (« l’argent ou le plomb ») subie par les Paisas — les habitants du nord-ouest de la Colombie — n’a plus cours. Le schéma de développement de la ville, au-delà de la sécurité, est « un modèle global qui offre des opportunités et renforce la confiance, combat la criminalité et se concentre sur l’investissement social stratégique de l’État, là où il y avait auparavant un vide permettant à l’anarchie de prévaloir », considère le maire de Medellin.
Le plan de développement initié cible en priorité les quartiers les plus pauvres pour y mener une politique volontaire et simultanée d’investissements massifs dans tous les secteurs, afin de créer un bouleversement global des conditions de vie et des mentalités des populations. L’éducation, dont le budget n’a jamais été aussi élevé, est l’un des axes majeurs de la politique de la ville. Sous le premier mandat de Federico Gutiérrez, plus de 8 000 enfants qui étaient exclus du système éducatif ont réintégré l’école, et plus de 43 000 bourses d’études supérieures ont été accordées. Cette stratégie, qui s’inscrit sur le long terme, offre aux jeunes « des opportunités de réussite dans le cadre de la légalité ».
La politique de rénovation urbaine, notamment dans les quartiers défavorisés, s’appuie sur l’innovation et la participation sociale. Les dons des entreprises privées et des fondations, à l’image de ceux de la Fondation Apostolado La Aguja, ont permis de mettre en place des programmes sociaux de première importance. Pour lutter contre les racines de la violence, le programme Tejiendo Hogares (« Tissage de foyers ») vise à renforcer les liens affectifs au sein des familles, afin de réduire la maltraitance des enfants et les abus sexuels sur les mineurs. Un autre programme intitulé Parceros (« Copains ») a pour objet de réinsérer de jeunes criminels. Les racines du mal ne doivent pas repousser.
L’histoire violente de la ville n’est pas oubliée. La municipalité a initié un programme nommé Medellin Abraza su Historia (« Medellin embrasse son histoire ») pour rappeler ce que fut la lutte « pour la culture de la légalité ». Le Musée de la mémoire a été rénové, et l’ancienne résidence de Pablo Escobar détruite pour laisser place à un parc commémorant les victimes du narcoterrorisme. Chaque année, de nombreuses manifestations ont lieu à Medellin et dans les villes de l’Antioquia afin de se souvenir de ces années sombres.
Dans la stratégie de développement de Medellin, les infrastructures sont primordiales, et leur rénovation ou construction suit une logique durable.
Une cité durable
Dès 2003, Medellin a promu une approche urbaine ciblée sur le développement durable des quartiers les plus défavorisés, situés à flanc de colline. Ils sont aujourd’hui desservis par deux systèmes de télécabines (métro-câbles) indispensables. De nouvelles cabines ont récemment été installées, ainsi qu’un système de tramway dans la partie ouest de la ville, et des bus électriques. Progressivement, les quartiers se désenclavent. Par ailleurs, un projet pilote de taxis 100 % électriques est en cours. Medellin entend devenir « la capitale latino-américaine de la mobilité durable ».
Les autorités publiques ont également engagé des efforts sur l’amélioration de la qualité de l’air. Lors du Sommet mondial des villes en 2019 à Medellin, le maire Federico Gutiérrez déclarait : « Nos citoyens ont le droit de respirer un air plus pur et plus sain. En tant que maires, nous avons la responsabilité de réduire les émissions polluantes sur nos territoires. Ceci est une invitation à toutes les villes d’Amérique latine à se joindre à nous dans ce voyage. Alors, ensemble, mettons en œuvre des systèmes et des stratégies de transport à zéro émission qui nous mènent vers un avenir plus propre. »
Située dans une cuvette, Medellin souffrait à certaines périodes de l’année d’une qualité d’air très mauvaise, lorsqu’un brouillard nocif la recouvrait. L’évolution du parc automobile et l’accent mis sur les transports en commun propres a permis d’améliorer la situation. Depuis 2016, la ville a entrepris des travaux importants pour reverdir ses espaces : 36 corridors verts ont été créés et près de 900 000 arbres plantés. Les décharges ont été transformées en potagers urbains. Au total, plus de 70 ha d’espaces verts ont été améliorés ou créés, dont 20 km d’itinéraires ombragés avec pistes cyclables et sentiers piétonniers. La municipalité est en phase avec l’ensemble des recommandations de la communauté internationale sur les problématiques environnementales et de lutte contre le changement climatique. Selon les premières études, les températures à Medellin ont chuté en moyenne de 2 °C au cours des trois premières années du programme. Les autorités s’attendent à une nouvelle baisse de 4 à 5 °C au cours des prochaines décennies, même en tenant compte du changement climatique. D’autre part, le taux de mortalité des citoyens dû aux infections respiratoires aiguës a nettement reculé. Les investissements ont été colossaux et la ville est endettée, mais l’économie de l’Antioquia est solide.
Une économie dynamique
Dans les années 1980, de nombreux entrepreneurs choisirent de rester à Medellin, malgré la violence et la corruption liées au narcotrafic. En dépit des difficultés, ils ont persévéré, permettant à la ville de se développer sur des structures économiques solides. Deuxième poumon économique du pays, Medellin possède une industrie dynamique, notamment dans le textile et l’habillement. C’est à Medellin que se trouve également l’un des groupes les plus puissants de Colombie. Le Grupo Empresarial Antioqueño (GEA, Groupe d’affaires de l’Antioquia, aussi connu sous le nom de Sindicato Antioqueño) est un conglomérat composé d’environ 125 entreprises, présentes dans des secteurs allant de la banque à l’industrie agroalimentaire. Le GEA, qui s’apparente à un keiretsu japonais, est unique en son genre en Colombie. Il représentait, en 2021, 7,1 % du PIB du pays.
S’appuyant sur des structures économiques traditionnelles, la municipalité met également l’accent sur l’innovation, et en particulier le numérique. Un Programme des sciences, technologies et innovations destiné à attirer les investisseurs a été lancé dès 2012, et plus récemment, avec le Pacte Medellin Innovation, les autorités locales entendent renforcer le secteur. Tout un quartier de la ville (Medellin Innovation District) est consacré aux technologies d’avenir. Il doit réunir les entreprises innovantes, mais aussi les institutions et étudiants dans les domaines de l’énergie, des nouvelles technologies de l’information, et de la santé. Medellin dispose désormais de structures à même de mettre en œuvre son projet. Ruta N, le centre d’innovation et d’affaires de la ville, accueille des entreprises de neuf pays, travaillant à 90 % dans le secteur des nouvelles technologies. À titre d’exemple, la société américaine Rockwell Automation, qui figure parmi les dix plus importantes au monde dans les domaines liés à l’internet des objets, y a créé un campus d’ingénierie. Medellin étant très industrielle, les problématiques liées à l’intégration du numérique dans l’industrie locale constituent des axes prioritaires de recherche. Selon Medef International, la ville compterait environ 20 000 développeurs d’applications.
Le 16 novembre 2023, le Président de la République, Gustavo Petro, a validé la loi faisant de Medellin un District spécial pour la science, la technologie et l’innovation en Colombie. Le district accordera aux entreprises technologiques s’installant sur place des exonérations fiscales pour la promotion de leurs activités scientifiques, technologiques et innovantes. Medellin se dote des compétences et des ressources juridiques nécessaires pour établir son régime politique, administratif et fiscal, en plus de promouvoir son développement intégral « en profitant des opportunités de la quatrième révolution industrielle », déclarait le précédent maire de la ville, Daniel Quintero Calle.
Après un passé sombre, fait de violence et de crimes, Medellin s’est transformée peu à peu pour devenir une des villes les plus dynamiques du pays. Elle est une destination touristique tendance, grâce à ses nombreux parcs et musées. Dans quelques mois, elle sera le centre du monde du football féminin avec Cali et Bogota, toutes trois villes hôtes de la Coupe du monde féminine U-20 de la FIFA.
Federico Gutiérrez
Maire de Medellin
Les cheveux sont longs, la chemise ouverte et la cravate absente. Federico Gutiérrez, surnommé Fico, incarne aujourd’hui le nouveau visage, jeune et souriant, de la droite traditionnelle colombienne. Il est l’incarnation d’une nouvelle classe politique, communicante et à l’aspect sympathique.
Federico Gutiérrez est né le 28 novembre 1974 à Medellin, époque à laquelle les narcotrafiquants ont commencé à prendre le contrôle de la capitale de l’Antioquia. Il a connu la violence du cartel de Medellin, dans les années 1980 et 1990, et en est ressorti, à l’image de l’ensemble de la société, marqué durablement.
Candidat aux élections municipales dès 2011, avec le soutien d’Alvaro Uribe, il doit cependant attendre 2016 pour remporter la mairie de Medellin. Il y reste en poste jusqu’en 2019, avant d’être à nouveau élu maire le 29 octobre 2023 avec 73,36 % des voix. Il commence son mandat le 1er janvier 2024. Ses projets reposent sur trois grands axes qui sont l’éducation, la ville durable et la sécurité. Très habile communiquant, il n’hésite pas à se mettre en scène devant les caméras des médias aux côtés des policiers qui pourchassent les criminels.
En 2022, à 47 ans, il se présente à l’élection présidentielle pour la coalition de droite « Equipo por Colombia ». Les sondages le placent alors parmi les six candidats ayant le plus de chances de gagner. Il termine sur le podium, en 3e position, avec 23,9 % des suffrages, derrière l’ex-guérillero Gustavo Petro et l’homme d’affaires populiste Rodolfo Hernandez.
Fico a aujourd’hui pris ses distances avec l’ancien Président Uribe, qui est aux prises avec la justice, et se dit indépendant, au-dessus des querelles politiciennes. Il jouera sans nul doute un rôle majeur dans la prochaine élection présidentielle, qu’il pourrait remporter.
Le saviez-vous ?
Située à 1 500 m d’altitude, sur les contreforts de la cordillère des Andes, Medellin s’étend sur une superficie de 380km2. Capitale du département d’Antioquia, elle est la seconde ville la plus peuplée de Colombie, après Bogota. Medellin compte près de 2,6 millions d’habitants.