En dix ans, Dubaï a réussi à s’imposer comme une place financière mondiale, à grand renfort d’investissements et d’octrois d’avantages fiscaux. Quand les États occidentaux luttaient contre la fraude fiscale, Dubaï accueillait à bras ouverts leurs exilés.
Par Stanislas Gaissudens
Dubaï a beau être un pays du Golfe riche en pétrole, il ne l’est pas autant que ses voisins. La cité-État a rapidement pris conscience de l’importance de diversifier son économie nationale et a fait le choix de renforcer son action dans plusieurs secteurs, parmi lesquels le tourisme et les services financiers. Ce fut mis en place avec efficacité. Dubaï est désormais la 2e destination touristique mondiale, et elle figure dans le top 10 des places financières de la planète. C’est une progression de 17 places depuis le lancement du classement en 2007.
Ce contenu est réservé aux abonnés
Une forte dynamique
La crise immobilière et financière mondiale engendrée par la crise américaine des subprimes avait fortement ébranlé Dubaï en 2009, mais l’émirat a fait preuve d’une indéniable résilience. Il s’est notamment positionné comme un leader de la finance islamique (cf. encadré). C’est grâce auCentre financier mondial de Dubaï (Dubai International Financial Center, DIFC), créé en septembre 2004, que ce petit pays s’est taillé une place de choix dans la finance mondiale. Vingt ans après sa naissance, le DIFC est devenu une véritable plaque tournante pour les marchés du Moyen-Orient, d’Afrique et d’Asie du Sud (qui représentent une population d’environ 3 milliards d’habitants). Ce centre « constitue le plus grand et le plus diversifié des bassins de talents industriels dans la région », détaille le site officiel du DIFC. C’est grâce à cet écosystème complet que Dubaï se trouve, depuis 2019, parmi les dix plus grandes places financières de la planète.
Sa situation géographique est également primordiale. À l’exemple de son aéroport international, qui est désormais considéré comme le premier hub mondial du transport aérien, sa place financière stratégiquement positionnée entre l’Est et l’Ouest permet à Dubaï d’être compétitive. Ces deux dernières années, le nombre d’entreprises financières installées dans l’émirat a doublé, passant de 2 500 à 5 000, rapportait Le Figaro dans son édition du 10 janvier dernier. Le nombre d’employés travaillant au sein de ces banques, hedge funds (près de 60 fonds étaient enregistrés au DIFC en 2023, en hausse de 54 % en un an) et autres fonds de private equity a également doublé. Ils seraient aujourd’hui plus de 40 000. Le nombre de startups financières a explosé, passant sur la même période de 300 à près de 3 000.
Les entreprises s’installent à Dubaï, et dans leur sillage de plus en plus de familles. Le système éducatif possède l’une des plus fortes concentrations d’écoles internationales (90 %). Les autorités mettent tout en œuvre pour accueillir les « individus de haute valeur » (High Net Worth Individuals, HNWI), comme les dénomme le jargon financier. Depuis 2002, la cité-État a également ouvert son marché résidentiel aux étrangers. Mais ce sont surtout les nouveaux visas, lancés en octobre 2022, qui facilitent le plus le processus d’immigration. Des golden visas délivrés aux riches étrangers leur permettent de vivre aux Émirats arabes unis (EAU) durant cinq ou dix ans. Dubaï est une ville prisée des millionnaires. Elle en compte 68 400, un chiffre qui a crû de 62 % entre 2012 et 2022.
Un coin de paradis
Sous des dehors respectables, le pétro-État, tourné vers la modernité, se montre peu regardant sur l’origine des capitaux qu’il accueille. Dubaï est un refuge pour les ultra-riches du monde entier, et pour tous ceux désireux d’échapper au fisc de leur pays. Les zones franches sont au cœur de ce système. Les entreprises qui y sont domiciliées sont exonérées de l’impôt sur les sociétés, de la TVA, des taxes et droits de douane, de l’impôt sur le revenu, sur le patrimoine ou sur la fortune, et exemptées de charges sociales.
Le « visa de travail à distance », anciennement appelé « visa de travail virtuel », semble avoir été conçu spécialement pour les influenceurs occidentaux. En résidant à Dubaï, les stars des réseaux sociaux, tels qu’Instagram ou TikTok, ne sont pas soumises aux impôts sur les revenus. La fiscalité y est avantageuse pour les entreprises, qui ne sont taxées qu’à 9 % sur les bénéfices (auparavant 0 %). La star de la téléréalité Nabilla y a d’ailleurs ouvert sa boutique, Nabilla Beauty. En France, l’impôt sur les sociétés est à 25 %, quand l’impôt personnel et les charges sociales peuvent monter respectivement jusqu’à 45 % et 60 %. Pour les entrepreneurs, le calcul est rapide.
En 2018, l’hebdomadaire L’Obs révélait avec ses « Dubaï Papers » un scandale d’évasion fiscale, sur la base de milliers de documents internes à la société Helin International FZE, basée à Ras al-Khayma, aux EAU. Les données permettaient de faire le lien entre l’identité des clients, le nom de leurs sociétés offshore enregistrées dans des paradis fiscaux et le détail des comptes bancaires associés : oligarques russes, sportifs, grandes fortunes, aristocrates ou chefs d’entreprise français, tous souhaitaient se cacher du fisc. Avec les Pandora Papers, le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) a enfoncé le clou en 2021, dévoilant le vrai visage de la finance aux EAU, et en particulier à Dubaï.
Depuis la guerre en Ukraine, les Russes fortunés s’y sont installés en nombre. Des centaines de sociétés ont été recréées dans l’émirat pour contourner les interdits occidentaux. Beaucoup d’entre elles sont liées aux matières premières, et Dubaï est aussi « un endroit où l’on blanchit l’or extrait de manière artisanale, en particulier dans les régions d’Afrique de l’Est et d’Afrique centrale sujettes aux conflits », indiquait en 2020 un rapport du Carnegie Endowment for International Peace (CEIP).
Redorer son blason
En mars 2022, le Groupe d’action financière (GAFI) chargé de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme a ajouté les EAU (et donc Dubaï) sur sa liste grise des pays soumis à une surveillance accrue, en raison des lacunes des autorités judiciaires de l’émirat concernant le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Les EAU ont été invités à renforcer leurs procédures de contrôle.
Dubaï a travaillé ces deux dernières années à redorer son image, et n’est plus considérée comme un paradis fiscal. La Dubai Financial Services Authority (DFSA) a pris des mesures visant à renforcer les principes d’intégrité, de transparence et d’efficacité dans le secteur financier international. Elle est également chargée de superviser et d’appliquer les mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.
Ces efforts sont réels, à l’image de l’accord bilatéral d’échange d’informations signé avec la France concernant ses ressortissants qui s’y sont installés. Désormais, il ne suffit pas d’habiter et de travailler à Dubaï pour échapper aux impôts en France : il faut aussi être en mesure de prouver que l’essentiel de son activité économique se situe dans l’émirat. Les influenceurs peuvent donc être imposables en France s’ils font la promotion de produits à destination d’un public français.
Miser sur la finance islamique
En 2013, Dubaï annonçait vouloir devenir le leader de la finance islamique en trois ans. Cette pratique repose sur plusieurs principes religieux qui la distinguent des systèmes financiers conventionnels, avec notamment l’interdiction du prêt à intérêt (riba), puisque le Coran condamne l’usure. Ce type de finance interdit également les investissements dans des secteurs non conformes à l’éthique islamique, tels que l’alcool, le jeu, la pornographie ou l’alimentation liée au porc.
Les musulmans représentent 24 % de la population mondiale et l’économie islamique était estimée à 2 200 milliards de dollars en 2019. Selon le ministère de l’Économie français, les actifs de la finance islamique pourraient atteindre plus de 3 100 milliards d’euros avant la fin de 2024. Dubaï attire de très nombreuses entreprises islamiques. Le DIFC abrite plus de 40 entreprises offrant des produits et services conformes à la charia et pourrait devenir le lieu de prédilection des entreprises émergentes de la « fintech » islamique, contribuant à faire des EAU le 4e plus grand centre islamique de fintech au monde.
Si les deux principales banques islamiques du Golfe sont saoudienne et koweïtienne, Dubai Islamic Bank (DIB) est aujourd’hui le plus grand prêteur islamique des EAU et continue de lever des fonds. La finance islamique n’a pas encore montré tout son potentiel, mais elle continue de se développer rapidement.