La France est historiquement un État très centralisé. Il a fallu attendre l’après-guerre, et les Trente Glorieuses, pour qu’une volonté de réorganisation du territoire se fasse sentir.
Par Clément Airault
La plupart des États européens sont organisés en structures fédérales ou très régionalisées, à l’image de l’Allemagne, de l’Espagne ou de la Suisse. La France, elle, a toujours été hypercentralisée. La Révolution de 1789 a consacré l’unité du territoire français, et il a fallu attendre le XXe siècle pour que les premières grandes lois de décentralisation voient le jour. Les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, ont contribué à aboutir aux grandes régions que nous connaissons aujourd’hui. La plupart des grandes métropoles de France, telles que celles de Nantes, Bordeaux, Lille ou Lyon, sont désormais dynamiques et attractives. Le « désert » décrit par Jean-François Gravier (cf. encadré) n’existe plus, même si les instances du pouvoir restent centralisées à Paris.
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Rapprocher le pouvoir des citoyens
C’est en 1954 que les premiers jalons d’une réorganisation du territoire se mettent en place : il est décidé de la création de 21 « régions de programme ». Fin 1956, un décret gouvernemental donne un cadre territorial aux « programmes d’action régionale » lancés un an plus tôt. Le texte définit 22 circonscriptions, transformées en 1960 en 21 « circonscriptions d’action régionale ». S’il ne s’agit pas encore d’une décentralisation, la déconcentration des services de l’État est actée. Les régions de programme ont à leur tête un préfet et une Commission de développement économique régional (Coder). En 1963, la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (Datar), instance interministérielle, est créée, et le général de Gaulle en confie la direction à l’un de ses proches, Olivier Guichard. Là encore, il s’agit de rapprocher le pouvoir des citoyens.
Le 27 avril 1969, un référendum sur « le projet de loi relatif à la création de régions et à la rénovation du Sénat » a lieu. C’est un échec. Les Français votent à plus de 52 % contre ce projet qui prévoyait la consécration de la région comme collectivité territoriale dotée de nombreuses compétences ayant trait aux activités économiques, sociales et culturelles.
Néanmoins, la décentralisation continue sa marche. En 1972, avec la loi portant création et organisation des régions, la région devient un établissement public. C’est-à-dire qu’elle est administrée par un conseil régional, assisté d’un comité économique et social. Mais son pouvoir reste limité puisque c’est le préfet de région qui instruit les affaires et exécute les délibérations du conseil.
1982 : les régions prennent leur liberté
Il faut attendre la loi du 2 mars 1982 pour que la région devienne une collectivité territoriale de plein exercice. C’est seulement à cette date que le président du conseil régional devient le chef de l’exécutif. Les compétences de la région sont centrées sur le développement et l’aménagement du territoire, la formation professionnelle, la gestion des lycées et celle des transports hors agglomération.
Cette première loi de décentralisation, adoptée peu après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République et préparée par Gaston Defferre, Ministre de l’Intérieur et de la Décentralisation, prévoit également l’élection des conseillers régionaux au suffrage universel direct. La première élection, à la proportionnelle, a lieu le 16 mars 1986. Ce mode de scrutin est modifié en 2003 au profit d’un système à deux tours qui combine les règles du scrutin majoritaire et de la représentation proportionnelle, l’objectif étant de dégager des majorités stables. Avec la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, les régions entrent dans la Constitution aux côtés des communes et des départements. Mais il faut attendre 2015 pour que les régions occupent la place qui est la leur aujourd’hui.
Territoire
Un terme fourre-tout
Le territoire est un terme aujourd’hui indissociable de la logorrhée politique. Mais il englobe un tel spectre de thèmes qu’il est difficile à définir. De nos jours, la notion de territoire, en géographie humaine comme en géographie politique, est particulièrement importante. Selon Pierre George et Fernand Verger, qui ont dirigé les travaux du Dictionnaire de la géographie (éditions PUF), le territoire est « un espace géographique qualifié par une appartenance juridique (territoire national), une particularité naturelle (territoire montagneux) ou culturelle (territoire linguistique) ». Mais il existe de très nombreuses définitions de ce concept, vu selon d’autres angles.
Paris et le désert français
Quand Jean-François Gravier devient le chantre de la décentralisation
Publié en 1947, l’ouvrage Paris et le désert français, du géographe Jean-François Gravier, a eu un retentissement surprenant. Il est un témoignage intéressant du déséquilibre qui prévalait entre la capitale et le reste de la province au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Dans cet ouvrage, l’auteur décrit « avec minutie cette exception française qui fait que le centralisme politique hérité de l’Ancien Régime a gagné, de proche en proche, les sphères économique, culturelle, éducative, jusqu’à faire de la centralisation parisienne la règle générale », estimait Jean-Louis Andreani dans Le Monde, en juillet 2008.
Jean-François Gravier était précurseur, en ce sens qu’il défendait la décentralisation au nom de l’efficacité économique. « Peut-on fonder sa renaissance sur le gonflement congestif de 4 % de son territoire et sur l’appauvrissement continu en hommes et en productions de la moitié de ses provinces ? », s’interrogeait-il. Il résume d’ailleurs en trois mots « les vrais problèmes français » : « population, énergie, investissement ». L’auteur se montre un adepte résolu de « l’économie dirigée », qui prévaut à l’époque.
Disparu en 2005, Jean-François Gravier était un visionnaire. Il proposait un découpage de la France en 16 régions, comme ce qui fut adopté en 2015. Il prônait également l’instauration d’un « grand Paris ». Il estimait en outre que le repeuplement des campagnes reposerait sur un besoin des populations urbaines à renouer avec la nature et l’espace. Sans doute n’avait-il pas prédit la pandémie, mais ses observations se sont révélées exactes. Jean-François Gravier, par cet ouvrage marquant, a sans doute accéléré la prise de conscience (et de décision) nécessaire à plus de décentralisation en France.