Emmanuel Macron a toujours voulu faire œuvre de rassemblement. Au regard des réformes politiques engagées, il semble aujourd’hui que la jonction s’opère davantage à droite, notamment à l’approche des élections européennes.
Par Stanislas Gaissudens
En avril 2016, Emmanuel Macron, encore Ministre de l’Économie, déclarait lors d’une interview sur la chaîne Arte : « Aujourd’hui la droite et la gauche sont en quelque sorte séparées par une ligne Maginot qui est devenue obsolète. À mes yeux le vrai clivage, dans notre pays comme dans beaucoup de sociétés européennes, il est entre les progressistes et les conservateurs. C’est ce clivage que je veux rebâtir maintenant et je ne veux pas attendre 2017. » Aujourd’hui, son bilan ne s’apparente-t-il pas plutôt à une entreprise de démolition du système politique ?
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Une gauche déçue
Emmanuel Macron, avant son élection à la présidence de la République, avait rapidement fait le choix du compromis. « Un programme de gauche pour la droite, de droite pour la gauche », ironisait le journal Les Échos le 2 mars 2017. Le Chef de l’État assumait également vouloir combiner dans son gouvernement des personnalités politiques issues de la gauche, tels Gérard Collomb ou Jean-Yves Le Drian (venus tous deux du Parti socialiste), et de la droite, comme Gérald Darmanin, Bruno Le Maire (deux ex-Les Républicains, aujourd’hui encore membres du Gouvernement) ou Édouard Philippe (qui fut un temps son Premier ministre, et a depuis créé son propre parti).
Après le premier tour de la présidentielle de 2022, alors qu’il était au coude-à-coude avec Marine Le Pen, Emmanuel Macron avait cherché à mobiliser les voix de gauche. « Je sais aussi que nombre de nos compatriotes ont voté ce jour pour moi non pour soutenir les idées que je porte mais pour faire barrage à celles de l’extrême droite. Je veux ici les remercier et leur dire que j’ai conscience que ce vote m’oblige pour les années à venir », déclarait-il au soir de sa réélection, le 24 avril.
Le Chef de l’État a donc été élu partiellement par des électeurs attachés aux valeurs républicaines et souhaitant empêcher l’extrême droite d’accéder au pouvoir. Désormais, ceux dont les idées portent à gauche se sentent floués. Beaucoup d’entre eux jugent qu’Emmanuel Macron n’a pas été à la hauteur de leurs attentes et que sa politique s’est même largement « droitisée ». Plusieurs de ses soutiens politiques de gauche ont quitté Renaissance, à l’image de Daniel Cohn-Bendit, ancien eurodéputé écologiste, qui le soutenait le Président depuis 2017, et qui a rompu avec ce dernier en décembre 2023, appelant les écologistes à former une liste commune derrière Raphaël Glucksmann (candidat PS – Place publique) aux européennes de juin 2024.
Un électorat volatile
Le 16 février dernier, Emmanuel Macron acceptait d’être interviewé par L’Humanité. C’est la première fois en 120 ans (depuis sa création) que ce journal proche du Parti communiste se voit accorder un entretien par un président de la République en exercice. Pour le Chef de l’État, c’était une manière de rappeler son attachement aux idées de gauche, même si L’Humanité n’a pas manqué de dénoncer en préambule de l’interview la politique conduite par le Président, qu’il trouve « ultralibérale, antisociale, [et] qu’une majorité de Français juge autoritaire ».
Dans une note d’étude publiée le 11 mars, Gilles Finchelstein, secrétaire général de la Fondation Jean-Jaurès (think tank étiqueté à gauche), estime qu’en raison « de la droitisation accentuée du second quinquennat », le parti présidentiel a perdu des soutiens à gauche. Selon lui, « 20 % des électeurs qui ont voté pour Emmanuel Macron au premier tour de l’élection présidentielle de 2022 devraient voter pour une liste de gauche — principalement pour celle conduite par Raphaël Glucksmann ». L’auteur de cette note pense également que « d’original parti central attrape-tout, Renaissance est devenu un classique parti bourgeois et âgé de centre-droit — un peu à l’instar de l’UDF des années 1980, l’implantation locale en moins ».
S’il n’arrive à capter les voix de gauche, c’est donc celles de droite qu’Emmanuel Macron doit aller chercher. Il estime qu’il n’a pas changé de cap ces six dernières années, mais ce n’est pas l’impression qu’il donne. Renaissance ressemble aujourd’hui davantage à un parti de centre droit, à mesure que des députés LR le rejoignent. Certains électeurs LR, déçus par la droite, se dirigent quant à eux vers le Rassemblement national. Il apparaît de plus en plus que le Chef de l’État fasse la chasse aux électeurs du RN. Car Jordan Bardella, qui a pris la présidence du parti d’extrême droite depuis 2021, a connu une ascension fulgurante, confortant la progression du RN amorcée par Marine Le Pen dans les classes populaires, notamment auprès de l’électorat féminin et des jeunes.
Valeurs « de droite »
À mesure que les élections européennes approchent, la dialectique s’ancre à droite. Il faut dire que les listes RN conduites par Jordan Bardella sont largement en tête (31 % des voix selon l’« Enquête électorale française : élections européennes », publiée en mars 2024), quand les listes Renaissance – La République en marche, Modem et Horizons conduites par Valérie Hayer ne sont créditées que de 18 % des voix.
Lors de la conférence de presse du 16 janvier dernier, le Chef de l’État initiait « l’acte II » de son second quinquennat. Si Emmanuel Macron, Ministre de François Hollande, était en 2016 la personnalité de gauche préférée des Français, huit ans plus tard, il est largement perçu comme un Président de droite, ayant récupéré des votes de cette partie de l’échiquier politique. D’aucuns diraient qu’il a « siphonné » l’électorat de droite, grâce à une forme de revirement idéologique, ou stratégique.
La famille et l’école, deux antiennes de la droite républicaine, sont au cœur de la vision macronienne. Il ne s’agit pas là d’augmenter les salaires des enseignants ou de recruter en masse, mais bel et bien de faire en sorte d’inculquer « le sens du respect » et les « grands textes fondateurs de la nation ». Le Chef de l’État souhaite que l’uniforme à l’école soit expérimenté lors de la prochaine rentrée, et que soit instauré dans les collèges un « rite républicain d’unité, de fierté et de reconnaissance ». Ces thématiques conservatrices s’accompagnent d’une volonté de combattre « les incivilités grâce à un doublement de la présence policière dans nos rues ». La sécurité est un axe prioritaire du Gouvernement, au même titre que la lutte contre l’immigration. « Avoir une France plus forte, c’est aussi assurer l’ordre. L’ordre, en contrôlant mieux nos frontières », a déclaré Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse du 16 janvier.
La loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 « pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration », soutenue par Gérald Darmanin, Ministre de l’Intérieur, a été largement critiquée. Trente-deux articles ont été censurés par le Conseil constitutionnel. Mais, à bien y regarder, comme le rappelait Le Monde dans son édition du 25 février, « depuis 1945, la France a voté une loi sur l’immigration tous les deux ans en moyenne — sans compter les ordonnances, arrêtés, circulaires et décrets qui se sont multipliés ». Quel que soit leur bord politique, chaque ministre de l’Intérieur a souhaité légiférer sur la question. Cette frénésie juridique, sans avoir d’impact sur la réalité des choses, complexifie la situation. Le Premier ministre Gabriel Attal a annoncé, le 27 mars sur TF1, vouloir durcir les règles de l’assurance chômage, en réduisant la durée d’indemnisation de 18 à 12 mois. C’est la troisième réforme de ce type en moins de six ans. « Ne jouer que sur le levier de l’assurance chômage sera économiquement inefficace et fera voter Le Pen derrière », mettait en garde la députée Renaissance Astrid Panosyan-Bouvet dans L’Opinion, le 25 février. Les politiques populistes de droite à visée électoraliste n’ont jamais été efficaces. Dans la majorité des cas, c’est l’extrême droite qui en bénéficie. Les prochaines européennes détermineront si les choix politiques du Président Macron se sont révélés payants.