Après plusieurs années difficiles, liées à la pandémie de Covid-19, l’ensemble des acteurs du tourisme catalan retrouve des couleurs. Les visiteurs sont de retour, notamment à Barcelone où le secteur du tourisme haut de gamme se porte à merveille.
Par Clément Airault
« Depuis trois mois, on retrouve la Barcelone d’il y a 5 ans. Les voyageurs sont très contents : ils veulent se divertir, bien manger et profiter ! », s’enthousiasmait en juin dernier Ona Matas Roses, directrice générale et cofondatrice de l’hôtel Serras. En mai 2022, le nombre de visiteurs étrangers en Espagne, sans arriver à son niveau d’avant-crise, a quand même été multiplié par cinq par rapport à l’année précédente, pour atteindre près de 7 millions. Les perspectives pour le secteur sont excellentes, notamment en Catalogne qui est la deuxième destination favorite des touristes dans le pays (21 %), après les îles Baléares (23,4 %). De plus, Barcelone souffre peu de la saisonnalité, et de mai à octobre les hôtels bénéficient d’un taux d’occupation élevé.
Ce contenu est réservé aux abonnés
Catalogne, une destination luxueuse
Ces dernières années, Barcelone a connu un boom du tourisme de luxe. La pandémie a laissé craindre un ralentissement pour le haut de gamme, mais « il est revenu plus fort que jamais », selon Ona Matas Roses, dont le groupe a ouvert en décembre 2021 un nouvel hôtel, en Andorre (Hôtel Canaro). Le nord de la Catalogne est beaucoup plus développé que le sud du point de vue touristique, et le potentiel global est énorme. Les vacanciers reviennent, avec la volonté de découvrir d’autres parties, parfois plus sauvages, de cette région autonome.
« Après les années de pandémie, les touristes veulent dépenser de l’argent d’une manière explosive. C’est une très belle période pour l’hôtellerie », analyse Ona Matas Roses. Le tourisme de luxe se porte donc bien, en dépit des conséquences de la géopolitique internationale. En effet, l’absence des visiteurs russes depuis le début de la guerre en Ukraine est palliée par une augmentation générale des dépenses des vacanciers étrangers. Au niveau national, selon les données du ministère du Tourisme espagnol dévoilées le 4 juillet, elles ont atteint 8,02 milliards d’euros dans la péninsule, soit un peu moins qu’en 2019, mais 1,4 milliard d’euros de plus qu’en 2021.
Le long des 200 km de littoral de la Costa Brava (la « côte sauvage »), les hôtels de luxe sont nombreux, proposant un service exceptionnel destiné à satisfaire une clientèle fortunée exigeante. Parmi les plus beaux établissements figurent notamment le Guitart Monterrey, un 5 étoiles situé à Lloret de Mar, ou le Castell Empordà, dans le magnifique Baix Empordà où se trouvent les très beaux villages médiévaux de Pals, Palau-Sator et Monells. Parmi les bonnes adresses on peut aussi citer l’hôtel Vistabella, de Roses, et l’Hostal de La Gavina, niché entre la baie de Sant Pol et l’extraordinaire plage de sable fin de Sa Conca, à S’Agaró.
Barcelone est également le premier port de Méditerranée pour les navires de croisière, et entend bien le rester grâce à des infrastructures supplémentaires. Deux nouveaux terminaux vont permettre d’accueillir dans les meilleures conditions les quelque 3 millions et demi de croisiéristes qui arrivent et partent chaque année de Barcelone. La capitale est un port de base, et les croisiéristes dépensent beaucoup plus (environ 230 euros par personne et par jour) que les touristes habituels. Selon Damià Calvet, le président du Port de Barcelone, « le tourisme de croisière génère environ 1 milliard d’euros de facturation par an, et est à l’origine de 9 000 emplois directs » (cf. interview). D’autre part, du point de vue du luxe, la marina de Port Vell peut accueillir des super-yachts, avec tout ce que cela suppose de retombées financières. En quelques années, la ville est devenue une référence « en Méditerranée, en Europe et même dans le monde en ce qui concerne la réparation et l’entretien de yachts de grande taille », estime le président du Port.
Les visiteurs fortunés souhaitant bénéficier de séjours exclusifs peuvent compter sur un certain nombre d’agences de tourisme de luxe spécialisées dans l’organisation d’évènements sur mesure. Elles proposent notamment de découvrir les vignobles catalans depuis le ciel, en hélicoptère ; de marcher sur les traces de Gaudí lors d’une visite privée ; de jouer au golf depuis le pont d’un yacht ; ou encore de rencontrer les joueurs du FC Barcelone après un de leurs matchs. Rien n’est impossible.
Créativité et grande cuisine
L’art culinaire est sans nul doute l’un des principaux atouts de la Catalogne, qui fut en 2016 « Région européenne de la gastronomie ». À la fois issues de la mer, de la terre et de la montagne, les saveurs catalanes se découvrent et se dégustent en toute convivialité depuis des siècles. Pour preuve, le marché de La Boqueria, sur La Rambla de Barcelone, existe depuis plus de 800 ans.
La ville, à elle seule, compte 9 000 restaurants dont 16 étoilés. Les chefs de renommée mondiale installés en Catalogne totalisent plus de 60 étoiles au Michelin. Leur créativité est exceptionnelle. Ferran Adrià en fut le premier exemple. Ce chef catalan « a changé la face de la gastronomie mondiale », estime le chef français Romain Fornell. Au sein de son restaurant elBulli situé près de Roses, sur la Costa Brava, il a bousculé dans les années 2000 les codes en expérimentant sans cesse de nouvelles technologies (notamment via la cuisine moléculaire) et en trouvant de nouvelles textures, tout en conservant les saveurs de son terroir catalan. ElBulli est fermé depuis 11 ans, mais il rouvrira sous la forme d’un nouveau concept, nommé elBulli1846, en juin 2023. Cet espace sera à la fois un restaurant, une fondation, et un centre d’innovation, de conférences et d’apprentissage. Ferran Adrià est devenu une référence mondiale, et dans son sillage, de nombreux chefs de talent lui ont emboîté le pas. Selon Romain Fornell, « il y a toujours eu en Catalogne un engouement réel au niveau de la créativité, poussée par l’essor du tourisme ».
Aujourd’hui, les références culinaires novatrices ne manquent pas, à l’image du Celler de Can Roca. Ce restaurant de Gérone, 3 étoiles depuis 2009, est celui des frères Joan, Josep et Jordi Roca, à l’imagination débordante. Il a été élu par la revue britannique Restaurant « Meilleur restaurant du monde » en 2013 et 2015. Si la pandémie mondiale a obligé de nombreux établissements à fermer, la gastronomie a toujours de beaux jours devant elle. Constamment de nouveaux chefs ouvrent des restaurants à Barcelone, ou ailleurs en Catalogne, destinés à devenir des adresses reconnues.
Romain Fornell : Le plus Barcelonais des chefs français
Romain Fornell est né à Toulouse, mais il est installé à Barcelone depuis 2002, date à laquelle il a pris la direction du restaurant Diana de l’Hôtel Ritz (actuellement Hôtel El Palace). Celui qui fut le plus jeune chef étoilé de France (en 2001, avec son restaurant La Chaldette, en Lozère) assure avoir trouvé dans cette ville un espace de créativité : « La Catalogne a toujours démontré qu’elle avait des génies, des gens qui pensaient autrement, et qui pour exister ont créé. Cela donne des Miró, des Dalí, et des Ferran Adrià. »
Le chef connaît rapidement la notoriété, s’adaptant parfaitement aux us et coutumes locaux. « J’ai réalisé ma formation culinaire en France, mais ma vraie formation je l’ai faite ici », professe-t-il. Diana devient Caelis en 2004, et est récompensé l’année suivante d’une étoile au Michelin. Romain Fornell devient ainsi le seul cuisinier français à obtenir 1 étoile en France puis en Espagne. Caelis est transféré en 2017 à l’hôtel Ohla Barcelona.
Ces dix dernières années, le chef a ouvert de nombreux établissements à Barcelone : le bistrot Café Emma, le Café Turó, l’épicerie Joël´s Oyster Bar, la Casa Leopoldo, la Casa Tejada, le Tejada Mar, et plus récemment le Grand Café rouge. « Nos restaurants touchent à toutes les gammes. Dans tous nos lieux on trouve des références françaises, mais aussi des marqueurs locaux », explique le chef, qui accorde une grande importance à « l’âme du lieu et à la cohésion d’équipe ».
Celui qui a remporté en 2018 le titre de « Meilleur chef de restaurant » aux European Hotel Awards by Références, est également le directeur gastronomique de tous les espaces de restauration de l’Hostal de La Gavina de S´Agaró, sur la Costa Brava, et en particulier du restaurant Candlelight qui, depuis 2016, porte son nom (Candlelight by Romain Fornell).
Le chef n’a « aucune envie d’expansion internationale » et n’entend pas aujourd’hui quitter la Catalogne. Pourquoi le ferait-il ? Il « a la chance de vivre dans une ville où la qualité de vie est extraordinaire ». « Cela fait 20 ans que je suis en vacances. »
Le saviez-vous ?
Le domaine viticole catalan compte 12 appellations d’origine, dont le fameux vin pétillant cava. Ce dernier est né à la fin du XIXe siècle dans la région de l’Alt Penedès. Le village de Sant Sadurní d’Anoia en est la capitale. C’est un vin qui a aujourd’hui acquis une réputation mondiale, avec plus de 200 millions de bouteilles exportées chaque année.
Paolo Casagrande : Chef cuisinier du restaurant Lasarte
Paolo Casagrande, né à Venise, fait partie de ces jeunes chefs talentueux qui n’ont pas hésité à franchir les frontières. « J’ai travaillé 2 ans à Londres, puis à Paris et Châteauneuf–du-Pape, avant de venir en Espagne, pour rejoindre Martín Berasategui au Pays basque. » Il est rapidement devenu l’un des bras droits du chef le plus étoilé d’Espagne (actuellement 8 étoiles au Michelin), qui lui fait confiance depuis maintenant plus de deux décennies.
Le restaurant Lasarte a ouvert il y a 16 ans. Lorsque le chef Casagrande en prend les commandes en 2014, sa mission est de gagner les 3 étoiles. Il les obtient 3 ans après son arrivée. « C’était la première fois qu’un restaurant obtenait 3 étoiles, avec un chef basque et un chef italien », s’amuse Paolo Casagrande, mettant en exergue la mixité culturelle et gastronomique de Barcelone. La cuisine du Lasarte est une cuisine de la mer, à la fois atlantique et méditerranéenne. « En Catalogne, nous avons de grands chefs car nous avons de grands produits. Pour un cuisinier, c’est génial de travailler ici », estime le chef italien.
Lui aussi, à l’image d’autres chefs étrangers venus travailler quelques saisons à Barcelone, n’en est jamais reparti. « J’adore la Catalogne pour tout. On est à côté de la mer et de la montagne. À Barcelone, on a l’architecture et l’art. Ce n’est pas une trop grande ville : c’est un village très international. On a tout ce qu’il faut ici. » Et lorsqu’il souhaite aller voir sa famille à Venise, rien de plus simple depuis l’aéroport international de Barcelone : « En deux heures, je suis chez moi », détaille-t-il. Mais c’est maintenant dans la capitale catalane qu’il a construit sa vie. Entre deux services, il aime « monter [se] promener dans la montagne à côté de Barcelone », et lorsqu’il va au restaurant, « il y a beaucoup d’endroits incroyables pour manger », notamment d’excellents établissements italiens car « Barcelone compte la plus grande communauté italienne en dehors de l’Italie ».
Tourisme à Barcelone : Quelques chiffres
- 7 millions de touristes par an
- 14 millions de nuitées
- 100 000 emplois liés au tourisme
- Un impact économique du tourisme estimé à 22 millions d’euros par jour