Du 13 au 15 décembre 2022, sous la houlette de Joe Biden, se tiendra à Washington le 2e sommet USA-Afrique. Un évènement prévu en présence d’une cinquantaine de chefs d’État et de représentants de haut niveau. Quels en seront les enjeux ?
Par Dimitri Friedman
En novembre 2021 à Abuja, au Nigéria, le Secrétaire d’État Antony Blinken, dans un discours au Sommet de la Cedeao, rappelait qu’il était temps d’arrêter de traiter l’Afrique comme un sujet de géopolitique, et de commencer à la traiter comme l’acteur géopolitique majeur qu’elle est devenue. Sous-entendu, les États-Unis n’ont pas pour seul objectif en Afrique de contrer des puissances rivales comme la Chine et la Russie, qui, elles, ont fait de ce continent un terrain de jeu. Dans un contexte international de tensions, les États-Unis n’en font pas mystère. La géostratégie n’exclut pas le développement durable et démocratique. L’Afrique n’est pas seulement un grand marché ou un pourvoyeur de matières premières, elle doit aussi s’insérer dans l’économie mondiale et bénéficier de la valeur ajoutée des richesses qu’elle génère.
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Les chiffres égrenés par le Secrétaire d’État dans ce discours étaient de fait révélateurs du poids que le continent occupera dans le monde : d’ici 2025, la moitié de la population africaine aura moins de 25 ans, et d’ici 2050, celle-ci représentera le quart de la population mondiale. Et de ponctuer sa profession de foi : « L’Afrique façonnera l’avenir. Et pas seulement l’avenir du peuple africain, mais aussi celui du monde. »
Dans le même temps, un document de travail était communiqué par le Gouvernement américain, intitulé « Stratégie américaine envers l’Afrique subsaharienne ». Cette nouvelle stratégie définit quatre objectifs pour les cinq prochaines années. Il s’agit de favoriser l’ouverture et les sociétés ouvertes ; offrir des dividendes démocratiques et de sécurité ; faire progresser la reprise post-pandémique et les opportunités économiques ; et soutenir la conservation, l’adaptation au climat et une énergie juste. « La force de cette stratégie réside dans sa détermination à sortir des politiques qui traitent par inadvertance l’Afrique subsaharienne comme un monde à part et ont eu du mal à suivre le rythme des profondes transformations à travers le continent et le monde. Cette stratégie appelle au changement car la continuité est insuffisante pour accomplir la tâche qui nous attend », stipule le document.
Le ballet diplomatique
Comme il fallait s’y attendre, les enchères montent, et chacun fait une cour assidue auprès des dirigeants africains. C’est à un véritable ballet de séduction diplomatico-économique auquel se livrent les grandes puissances. Le Président français, Emmanuel Macron, s’est rendu fin juillet au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissao. En perte de vitesse face à la percée de la Chine et à la montée de la Russie, Paris promet des investissements. Dans le même temps, les Russes creusent leur sillon. Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères, s’est rendu en Égypte, au Congo Brazzaville, en Ouganda et en Éthiopie. Rejetant la thèse occidentale selon laquelle son pays, en bloquant les exportations de céréales d’Ukraine, serait à l’origine de la crise alimentaire menaçant d’abord l’Afrique, Lavrov en a plutôt tenu pour responsables les sanctions occidentales contre la Russie. Son pays étant un grand partenaire commercial de l’Afrique en matière d’armement et d’agriculture, l’envoyé du Kremlin s’est voulu rassurant quant aux solutions visant à garantir l’approvisionnement des marchés africains. À la clé, le désir des Russes de prendre une position dominante dans le secteur minier du continent, avec plusieurs contrats signés depuis 3 ans.
On le voit donc, on ne peut ignorer la concurrence géostratégique, même si Antony Blinken a voulu éluder la connotation de rivalité au sujet de sa visite du 7 au 12 août en Afrique du Sud, en République démocratique du Congo et au Rwanda. Les USA veulent sécuriser leurs positions sur ces marchés, sans se placer uniquement dans un contexte de lutte avec les autres acteurs internationaux, et le Sommet de Washington est un jalon important de cette stratégie.
Une coopération, mais pas à n’importe quel prix
Fidèle à son idéologie, Joe Biden entend indexer ce new deal à un certain nombre de conditions. Car le Président américain est désormais comme un funambule sur un fil. À l’issue des Midterms qui ont vu son parti résister mieux que prévu à la vague républicaine et garder la majorité au Sénat, il se doit de contenter tout le monde : milieux d’affaires — souvent bi-partisans —, communauté de l’influence stratégique US, communauté afro-américaine, écologistes et partisans des droits de l’homme. Ainsi, dans sa déclaration du 20 juillet dernier, plaide-t-il pour des valeurs communes : promouvoir un nouvel engagement économique, atténuer l’impact des pandémies, soutenir la sécurité alimentaire, répondre à la crise climatique, mais aussi renforcer l’engagement commun en faveur de la démocratie et des droits humains, faire progresser la paix et la sécurité… Pas sûr que les deux derniers points soient en tête des agendas de tous les dirigeants africains.
Depuis son investiture en janvier 2021, le Président Biden n’a eu de cesse d’incarner la rupture avec son prédécesseur. Exemple ? L’abrogation immédiate de l’interdiction de visas mise en place par Donald Trump, qui visait des pays africains musulmans. Un mois après son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden envoyait un message vidéo de solidarité et de respect mutuel aux présidents africains, à la veille du 34e Sommet de l’Union africaine. Son premier discours auprès d’une instance internationale… Dans ce message, il insistait entre autres sur les valeurs de bonne gouvernance, de démocratie, et de droits humains, notamment « ceux des femmes et des filles, des individus issus de minorités sexuelles, des personnes handicapées ou de toutes origines ethniques, religieuses ou autres ».
Un sommet, pour quoi faire ?
Alors que se déroule en Ukraine un conflit qui a des répercussions économiques sur le monde entier, et qui oppose les Occidentaux à la Russie et, d’une manière plus souterraine, à la Chine, le Sommet de décembre pourrait être l’occasion pour Washington de renforcer ses positions.
Quelle alternative pourraient offrir les USA à l’omniprésence chinoise en Afrique ? La stratégie d’investissements de Pékin a plongé les pays africains dans un endettement colossal. Certes, la Chine apporte au continent une aide constante et indispensable. Une aide que bien d’autres puissances mondiales se contentent le plus souvent de promettre, sans sortir le carnet de chèques. Mais les flux de capitaux, de marchandises, de personnel qualifié ont tendance à circuler uniquement dans le sens est-ouest, et de plus en plus de voix africaines s’élèvent pour le déplorer.
Par exemple, selon les estimations de AidData, institut américain qui met en contact chercheurs et décideurs, les dettes de 23 pays africains (et de leurs institutions financières) vis-à-vis de Pékin dépassent 10 % de leur PIB. Du côté américain, la chute des échanges bilatéraux avec l’ensemble des pays du continent est spectaculaire. Les Investissements directs étrangers (IDE) américains en Afrique en 2020 s’élevaient seulement à 47,5 milliards de dollars, soit 5,2 % de leurs investissements mondiaux. Selon le think tank Atlantic’s Council, les IDE chinois dans la région l’année précédente atteignaient plus du double ! Dans ces conditions, et pour pallier ce manque, Biden veut rattraper le temps perdu, et met le cap vers l’avenir. L’Amérique compte, notamment, sur la future Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). En effet, la ZLECAf pourrait, d’après Washington, changer la donne pour l’intégration économique et le commerce africains, mais aussi stimuler les investissements des entreprises américaines intéressées par des produits à valeur ajoutée fabriqués sur le continent dans des secteurs clés.
Cap sur les secteurs d’avenir
Jusqu’au début des années 2000, les investissements américains en Afrique subsaharienne étaient orientés principalement vers le pétrole et le gaz. Les attentats du 11-Septembre 2001 n’ont fait que renforcer cette tendance dans les dix premières années du XXIe siècle. D’après le département d’État, le pétrole africain représentait 25 % des importations américaines d’hydrocarbures en 2005. Mais avec l’arrivée des nouveaux acteurs émergents sur le continent, il y a eu un changement radical dans l’orientation des IDE américains en Afrique subsaharienne qui se sont diversifiés vers les services, le secteur bancaire, les énergies renouvelables, l’agriculture, les nouvelles technologies, ainsi que le sport et la culture. Au colloque d’affaires USA-Afrique qui s’est tenu en juillet 2022 au Maroc, la Vice-Présidente américaine Kamala Harris a affirmé en visioconférence que son pays souhaitait mobiliser des milliards de dollars en faveur du continent africain, en partenariat avec le secteur privé… Ce sommet a réuni 1 500 responsables, dont 80 % issus du secteur privé, 6 ministres des Affaires étrangères, plus de 20 ministres représentant des secteurs différents et plus de 50 pays africains, ainsi que 450 entreprises américaines.
L’accent est donc mis sur le secteur privé. Il est vrai que l’Afrique subsaharienne ne représente que 2 % de la production et 3 % du commerce international, alors qu’elle compte 17 % de la population mondiale. Elle est une grande pourvoyeuse de matières premières, mais pas de produits à haute valeur ajoutée. Autre champ de développement, c’est aussi le continent qui pollue le moins mais qui pâtit le plus du réchauffement climatique (3 % des émissions de gaz à effet de serre). Les perspectives d’investissements, de partenariats, de joint-ventures sont donc grandes, mais les pays africains entendent bénéficier aussi d’un développement inclusif.
Au Forum Europe-Afrique de Marseille, en mars 2022, Aminata Touré, ancienne Première ministre du Sénégal et militante féministe et des droits de l’homme, a martelé : « Il ne s’agit plus d’investir dans les industries extractives, on prend et on va transformer ailleurs. Le premier new deal à avoir est de faire ensemble du business en Afrique, on transforme en Afrique, on crée des chaînes de valeur en Afrique, on emploie des Africains et on partage de manière équitable le profit. » Et, devrait-on ajouter, on ne brade plus. Le message semble être passé auprès de l’Administration démocrate. Et pour cause, l’Afrique représente 30 % des minerais mondiaux, 21 % de la production d’or, 46 % de la production de diamants, 75 % de la production de platine, 60 % des terres arables… Il se pourrait bien que l’avenir du monde se joue là.
Joe Biden compte, notamment, sur la future ZLECAf pour changer la donne et stimuler les investissements des entreprises américaines dans des secteurs clés à valeur ajoutée.
Des flux d’investissements plutôt stables
Selon le Rapport 2022 de la Cnuced, les flux d’investissements vers l’Afrique ont atteint un record de 83 milliards de dollars en 2021. Soit plus du double (+113 %) du total enregistré en 2020, période Covid-19.
Les plus gros détenteurs d’actifs étrangers en Afrique sont restés européens, avec en tête les investisseurs du Royaume-Uni (65 milliards de dollars) et de la France (60 milliards de dollars).
Les IDE vers l’Afrique australe ont presque décuplé et culminent à 42 milliards de dollars.
L’Afrique de l’Ouest voit les IDE augmenter de 48 % et monter à 14 milliards de dollars.
Le Nigéria, premier bénéficiaire d’IDE en Afrique de l’Ouest, a vu ses flux doubler pour atteindre 4,8 milliards de dollars, principalement dans les secteurs du pétrole et du gaz. Le Sénégal, pays reconnu pour sa stabilité et qui a réussi au fil des ans, et notamment grâce au leadership de son Président Macky Sall, à devenir un État stratégique en Afrique subsaharienne, a également connu une augmentation notable des IDE, de 21 %, ce qui a amené ses flux à 2,2 milliards de dollars.
Les flux d’investissement vers l’Afrique de l’Est ont augmenté de 35 %, atteignant 8,2 milliards de dollars. L’Éthiopie a vu les flux d’IDE augmenter de 79 %, et passer à 4,3 milliards de dollars en 2021.
Les IDE d’Afrique centrale se stabilisent à 9,4 milliards de dollars.
Les IDE vers l’Afrique du Nord ont diminué de 5 %, et représentent 9,3 milliards de dollars en 2021. Avec des disparités cependant puisque les flux d’investissement vers le Maroc ont augmenté de 52 % pour atteindre 2,2 milliards de dollars, tandis que l’Égypte a vu ses IDE baisser de 12 % pour atteindre 5,1 milliards de dollars.
Prosper Africa
La réussite au rendez-vous
Prosper Africa est une initiative du Gouvernement américain américain qui soutient le commerce et l’investissement entre les États-Unis et l’Afrique, en reliant les acheteurs, les fournisseurs et les investisseurs des deux régions. Washington, il est vrai, est le deuxième plus grand actionnaire de la BAD, ayant largement contribué à l’augmentation du capital de la banque en 2019. Depuis juin 2019, le Gouvernement américain a aidé à conclure 800 accords à travers 45 pays pour une valeur estimée de 50 milliards de dollars d’exportations et d’investissements.
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https://www.prosperafrica.gov/fr/results/