L’Indonésie a présidé cette année le G20, qui s’annonçait comme l’un des plus complexes et délicats, dans un contexte politique et économique mondial de fractures géopolitiques et crises à multiples facettes.
Par Feliana Citradewi
Le G20 est une instance mondiale formée en 1999 dans le but de discuter des politiques visant à atteindre une stabilité financière internationale, et de trouver des solutions aux difficultés économiques globales. Ce groupe élargi du G7 résulte notamment de la crise financière mondiale de 1997-1999, et a pour objet de faciliter le dialogue entre pays industrialisés et pays émergents. Sa création a aussi été motivée par la poussée économique au cours des 20 dernières années de nations émergentes telles que la Chine, l’Inde ou encore l’Indonésie, dont l’influence économique est systémique.
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À l’initiative de Nicolas Sarkozy et de Gordon Brown, la première rencontre du G20 s’est tenue le 15 novembre 2008, et a réuni les chefs d’État et de gouvernement des pays membres, soit l’Allemagne, le Canada, les États-Unis, la France, le Royaume-Uni, l’Italie, le Japon (G7) et la Russie (G8), plus l’Union européenne, l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, la Turquie, le Mexique, l’Afrique du Sud et l’Indonésie. Le G20 est l’un des sommets internationaux les plus importants, ses pays membres pesant 80 % du PIB mondial, 75 % du commerce global ainsi que 60 % de la population sur terre. La 17e instance du G20, présidée par l’Indonésie, a eu lieu à Bali. Elle s’est déclinée en trois thèmes principaux (cf. encadré) pour répondre aux enjeux mondiaux majeurs du moment.
Les trois thématiques prioritaires du G20
– Architecture de la santé globale
Il s’agit de viser un objectif de collaboration plus étroite pour renforcer la résilience de la communauté mondiale face aux pandémies. Dans ce forum dédié, l’Indonésie a encouragé à travailler sur la résilience sanitaire mondiale, à rendre le système de santé mondial plus inclusif, équitable et réactif face aux crises épidémiques, et à améliorer les infrastructures après la Covid-19.
– Transformation digitale
Rétablir l’ordre économique mondial post-pandémique, le rendre plus fort, inclusif et collaboratif en tirant parti de la numérisation, est essentiel pour répondre aux enjeux à venir de l’humanité. Dans cette thématique, l’accent porté sur une transformation numérique mieux répartie dans le monde en souligne l’aspect fondamental pour le développement global.
– Transition vers l’énergie durable
Accélérer la transition vers l’utilisation de sources d’énergie plus propres est un besoin urgent, mais implique de gros investissements. Les pays membres du G20 partagent une grande responsabilité pour assurer une durabilité énergétique efficiente. Le G20 devra fournir une plateforme pour les investissements visant la sécurisation de l’accès à l’énergie et le développement des technologies énergétiques intelligentes et propres.
Divisé en 438 réunions, dont 184 réunions formelles, ce G20 s’est révélé le plus complexe de l’histoire, avec la reprise des rencontres physiques post-Covid-19, dans un contexte particulièrement difficile, avec d’une part la pandémie qui n’est pas encore finie, et d’autre part une crise multidimensionnelle, à la fois énergétique, alimentaire et financière, sur fond de tensions géopolitiques croissantes du fait de la guerre en Ukraine. L’Indonésie reste cependant déterminée à produire des résultats concrets à l’issue du Sommet.
« Ce G20 ne devra pas échouer, c’est aujourd’hui la seule instance potentiellement capable de réunir leaders et décideurs des plus hautes instances mondiales. Les suites seront décisives pour la situation mondiale à plusieurs niveaux et secteurs », annonçait la Ministre indonésienne des Affaires étrangères, Retno Marsudi.
L’hôte idéal pour organiser ce dialogue mondial
Riche d’une incroyable diversité culturelle, religieuse et linguistique, l’archipel indonésien, avec son éclatement géographique en 18 000 îles, parvient à exister dans une bulle homogène sans être uniforme. Il a donc l’habitude d’organiser des espaces de dialogue pour aboutir à des décisions communes malgré des intérêts divergents en son sein.
L’Indonésie a traversé la crise mondiale de 1997-1999 en réussissant à en sortir gagnante. Après deux décennies, son économie a prospéré, affichant une croissance pérenne de 5,3 % depuis cette période.
Sous l’angle géopolitique, Jakarta affiche un positionnement historique non partisan et non aligné, dans l’esprit de la conférence de Bandung de 1955. En outre, le pays impose depuis plusieurs décennies sa position de neutralité, s’affichant comme médiateur entre deux mondes, occidental et oriental, et jouant également un rôle de pont entre hémisphères Nord et Sud. Bien que sa neutralité soit parfois vue avec scepticisme du fait du montant des investissements étrangers — 40 millions de dollars de la Chine, 9 millions des États-Unis —, l’Indonésie affirme son impartialité et met en avant son positionnement de plus grand pays musulman au monde, restant laïc et démocratique. N’étant en conflit avec aucun État, elle mise sur sa capacité à discuter avec chacun. Sa neutralité favorise les conditions d’un dialogue optimal, entre États aux intérêts contradictoires, propice à l’aboutissement des accords envisagés dans ce G20.
Enfin, les progrès démocratiques importants qui ont suivi la chute du dictateur Suharto en 1998 sont un atout dans un contexte mondial de montée des nationalismes radicaux, qui mettent à rude épreuve les modèles démocratiques actuels. L’Indonésie constitue un exemple où la croissance économique peut se concilier avec un agenda démocratique, et une ouverture sur le monde. Cela relève d’une pratique ancienne appelée gotong royong, soit l’entraide mutuelle. Ce que les Indonésiens nomment la « démocratie de village » est un mode de gouvernement par les anciens et les chefs de famille, qui choisissent parmi leurs pairs un chef de village. Cette gérontocratie règne par le « consensus dirigé », avec délibération prolongée jusqu’à obtention de résolutions à l’unanimité. Cette approche de recherche permanente de consensus n’est pas sans rappeler les processus et les objectifs du G20. Le défi de l’Indonésie pour l’organisation de ce sommet a été de mettre à profit ce savoir-faire national afin d’aboutir aux meilleures décisions et accords communs.
Comme choix de lieu neutre, Bali jouit de sa réputation mondiale d’« Île des dieux » paradisiaque et apaisante, et se distingue comme étant un territoire hindou dans un pays majoritairement musulman. De plus, l’île s’est engagée dans un mouvement écologique piloté par « l’école verte ».
Un G20 sous tension
Bien que de nombreuses conditions étaient réunies et que les vertus du pays hôte étaient propices à la productivité du Sommet, la tâche s’annonçait ardue pour réussir ce G20. La guerre en Ukraine oriente les débats en fonction des multiples tensions entre les États membres, avec d’un côté les pays de l’OTAN et l’Union européenne, et de l’autre la Russie, la Chine adoptant un positionnement parfois ambigu sur le sujet. Celle-ci est également au cœur de plusieurs contentieux : en mer de Chine, pour ses vues sur Taïwan, du fait de ses relations diplomatiques gelées avec l’Australie et tendues avec les États-Unis. Ces derniers sont de leur côté en tension avec l’Arabie saoudite, accusée d’avoir soutenu la baisse de la production de pétrole décidée par l’OPEP+. Pour ajouter encore de la crispation à cette rencontre, la Pologne a été visée par « un projectile de fabrication russe » le premier jour du Sommet des chefs d’État.
Malgré la pression des pays occidentaux, le Président indonésien Joko Widodo a insisté pour inviter son homologue Vladimir Poutine au Sommet, mettant en avant la neutralité du pays hôte, que le Président russe a saluée. Dans une volonté de compromis, Jakarta a également exceptionnellement invité le Président Ukrainien, Volodymyr Zelensky. Finalement, Vladimir Poutine s’est fait représenter par son Ministre des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, renforçant son isolement sur la scène internationale. Volodymyr Zelensky a participé au Sommet virtuellement, et ne s’est adressé qu’à un « G19 » au lieu du G20, considérant que la Russie devrait être retirée de cette instance.
Malgré ces difficultés, 17 chefs d’État sont venus. Les Présidents russe, brésilien et mexicain se sont abstenus.
Points à retenir à l’issue du Sommet des Chefs d’État
Les chefs d’État ont désapprouvé unanimement l’attaque russe en Ukraine dès l’ouverture du Sommet, et ont abouti à une déclaration commune en 52 points, comprenant une condamnation ferme de cette guerre ainsi que de la menace de l’utilisation des armes nucléaires. Cette déclaration a été signée par tous les pays, y compris la Russie, Sergueï Lavrov l’acceptant finalement grâce à la mention indiquant qu’il y avait « différentes vues et évaluations sur la situation et sur les sanctions ». Le Ministre russe des Affaires étrangères a ensuite quitté l’île de Bali, remplacé par le Ministre des Finances. Cependant, les chefs d’État du G7 et de l’OTAN sont allés plus loin dans le cadre d’une autre déclaration commune à l’issue du Sommet, en s’accordant sur « une forte condamnation des attaques barbares des missiles russes en Ukraine ».
Le Président français Emmanuel Macron a également demandé à son homologue chinois Xi Jinping de convaincre Vladimir Poutine de revenir à la table des négociations pour un cessez-le-feu. Le Président chinois s’est montré très détendu et coopératif pendant le Sommet, ce qui a permis l’apaisement de ses relations avec les États-Unis, l’Australie, et plusieurs autres pays membres.
Dans le forum « Finances », il était prévu de progresser sur les réformes liées à la finance et la fiscalité internationales, au climat des affaires, ainsi qu’à la régulation des cryptoactifs et à l’annulation de la dette des pays pauvres. Ce dernier point n’a finalement pas été adopté. Néanmoins, la création d’une disposition « Resilience and Sustainability Trust » dans le cadre du FMI prévoit l’octroi d’un montant de 81,6 milliards de dollars pour aider les États confrontés à des crises. Les pays membres issus du G7 ont commencé à travailler à petits pas sur la proposition d’un plafonnement des prix du pétrole russe. Cette décision a déjà eu un impact sur les prix, ce qui est une bonne nouvelle pour l’Europe, avant l’arrivée de l’hiver. Un fonds spécial doté d’un budget de 1,5 milliard de dollars a été également créé pour le redressement post-pandémie. Enfin, un « Mécanisme de transition énergétique » a été mis en place, bien que reposant seulement sur la volonté de chaque pays, avec notamment pour objectif de réduire la dégradation des terres de 50 % d’ici 2040.
La transformation digitale, un levier majeur
Nous sommes à l’ère du digital, et l’Indonésie a insisté sur la transformation numérique comme espoir pour relancer l’économie et la stabilité mondiales, et renforcer la démocratie et le maintien de la paix, en écho au slogan du G20 de cette année : « Se relever ensemble, se relever plus forts. »
L’adoption des nouvelles technologies est rapide en Indonésie, la transition s’appuyant sur une population jeune, digital native. Priorité de Joko Widodo depuis deux mandats présidentiels, la transformation digitale a touché plusieurs secteurs, de l’économie jusqu’aux processus gouvernementaux plus interconnectés, comme la lutte contre la corruption et les outils fiscaux. On estime que d’ici 2025, l’économie numérique contribuera à hauteur d’environ 22 % à l’économie mondiale. Selon une étude de Google, elle jouera en Indonésie un rôle majeur. Sa croissance a été de près de 11 % l’année dernière, et elle représentera 124 milliards de dollars d’ici la fin de 2025.
Certains membres ont cependant dénoncé les effets perturbateurs de la guerre en Ukraine sur l’intégrité des écosystèmes numériques, touchant les infrastructures de connectivité numérique, déstabilisant l’économie digitale et le commerce international pacifique.
Néanmoins, le forum sur l’économie digitale du G20 a été probablement le plus réussi, les différents ministres de l’Économie numérique étant parvenus à un large consensus sur toutes les questions posées, unanimement convaincus que le numérique constitue un levier de croissance économique inclusive et est créateur d’opportunités — à commencer par l’investissement dans les écosystèmes, l’entrepreneuriat numérique, et « la revitalisation du rôle des femmes » sur le lieu de travail en augmentant leurs capacités digitales. Ce dernier axe est particulièrement intéressant, proposé par le plus grand pays musulman au monde, qui a su promouvoir le rôle des femmes dans la société. Enfin, les pays membres sont incités à s’inscrire dans les pas de ceux possédant déjà un ministère dédié au développement du numérique, comme la Chine et la France.
L’exposition « Transformation digitale » a été créée dans le cadre du G20 afin de renforcer la collaboration et la transmission de savoir-faire dans ce domaine. Le réseau d’innovation numérique du G20 a été fondé, incluant les startups, les sociétés de capital-risque, les entreprises et gouvernements, pour soutenir l’innovation dans l’économie numérique.
Cette dernière est attendue pour réduire le fossé social grâce à la création d’emplois entre les pays développés et les autres. Améliorer l’accessibilité numérique permettra d’autonomiser les personnes en situation de vulnérabilité, en renforçant la coopération et l’inclusion. La croissance économique des pays les moins favorisés est souhaitable pour répondre au problème délicat de l’immigration vers les pays développés, eux-mêmes atteints par la crise et l’inflation.
Les vertus du numérique pour la paix mondiale
En plus du développement économique, la transformation digitale est un moyen d’améliorer l’interconnexion entre les pays, pour faciliter le dialogue, essentiel au maintien de la paix globale. En généralisant la transformation digitale sur son territoire, l’Indonésie a rendu plus égalitaire l’accès aux informations et réduit le fossé social au sein de l’archipel. Le forum « Numérique » du G20 cherche aussi à renforcer la libre circulation des données, et rendre plus homogène l’accès à l’information au niveau global.
En tant que prochaine présidence du G20, l’Inde reconnaît que l’économie numérique joue un rôle majeur dans la croissance socioéconomique post-Covid-19, et se réjouit de poursuivre les réalisations sur les divers enjeux de cette thématique.
Bien que semé d’embûches, le G20 en Indonésie est considéré comme un succès, salué par les chefs d’États membres. Depuis son organisation jusqu’au point culminant que fut la ratification de la déclaration commune, cet évènement a permis l’apaisement des tensions sur la scène internationale. Cela montre que les intérêts divergents entre États peuvent encore être conciliés via des forums multilatéraux. De plus, cette réussite inattendue renforce la position de l’Indonésie en tant que médiateur sur la scène mondiale. Cela marque un premier pas pour sortir de cette période difficile secouée par des remous mondiaux multiples : la coopération vers le progrès et la prospérité collective, ainsi que le dialogue comme arme ultime vers la paix.