L’exposition à Internet et aux réseaux sociaux des plus jeunes peut avoir plusieurs conséquences, allant des problèmes de sommeil au cyberharcèlement, en passant par les risques de désinformation. Les autorités publiques cherchent à mieux contrôler cette sphère, sur laquelle les enfants passent de plus en plus de temps.
Par Stanislas Gaissudens
Lindsay s’est donné la mort le 12 mai dernier à l’âge de 13 ans. Scolarisée en 4e au collège Bracke-Desrousseaux de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais), la jeune fille vivait, selon ses proches, un véritable enfer depuis le début de l’année scolaire. Son suicide a suscité un vif émoi chez les adolescents, notamment sur les réseaux sociaux. Des vidéos, relayées en masse sur TikTok, ont porté l’affaire sur la place publique et provoqué la réaction des autorités.
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Le 31 mai, le Ministre de l’Éducation nationale Pap Ndiaye a annoncé saisir l’Inspection générale pour une enquête administrative à la suite du suicide de Lindsay et du harcèlement dont sa meilleure amie, Maïlys, est victime sur les réseaux sociaux. Dans cette affaire, quatre mineurs ont été mis en examen par le juge d’instruction pour harcèlement scolaire ayant conduit au suicide, et un majeur pour menaces de mort. Les mis en cause ont été placés sous contrôle judiciaire.
Protéger les plus jeunes
Les enfants sont massivement connectés aux réseaux sociaux et s’y inscrivent de plus en plus jeunes. D’après une enquête de la CNIL de 2021, la première inscription interviendrait en moyenne vers l’âge de 8 ans et demi, et plus de la moitié des enfants de 10 à 14 ans seraient présents sur ces plateformes. Ces données sont confirmées par une enquête de l’association Génération numérique, selon laquelle, en 2021, 63 % des moins de 13 ans avaient un compte sur au moins un réseau social, bien que ce leur soit en théorie interdit selon les conditions générales d’utilisation. Parallèlement, les adultes ne supervisent pas — ou peu — les activités en ligne de leurs enfants. À peine plus de 50 % des parents décideraient du moment et de la durée de connexion de leur progéniture, et 80 % déclarent ne pas savoir exactement ce qu’ils font en ligne.
Les réseaux sociaux sont pourtant interdits en France aux moins de 13 ans. Ils suivent sur ce point la législation américaine qui interdit la collecte des données personnelles sur des jeunes de moins de 13 ans. Créer un compte avec de fausses informations, comme avec un âge erroné par exemple, constitue une infraction aux conditions d’utilisation des réseaux sociaux. En Europe, il n’existe pas, pour le moment, de texte fixant une même limite d’âge pour tous les pays, chaque État étant libre de décider ce qui lui convient.
Depuis son adoption le 25 mai 2018, le RGPD renforce le consentement et la transparence concernant l’utilisation des données. L’article 8.1. porte sur la collecte des données personnelles des mineurs. Elles seront désormais traitées différemment selon l’âge de l’utilisateur. Ainsi, pour les 13-14 ans, le consentement des parents est requis, conjointement à celui du mineur. Les adolescents âgés de 15 ans et plus peuvent consentir seuls à la création de leurs comptes sur les réseaux sociaux, comme les majeurs.
Proposition de loi
Le 23 mai 2023, le Sénat a adopté en première lecture, avec modifications, une proposition de loi faite par le député Laurent Marcangeli le 17 janvier, visant à instaurer une majorité numérique et à lutter contre la haine en ligne. Le texte avait été adopté en première lecture, avec modifications, par l’Assemblée nationale le 2 mars.
Cette proposition contient de nouvelles obligations pour les réseaux sociaux. Elle les contraint à refuser l’inscription à leurs services des enfants de moins de 15 ans, sauf si les parents ont donné leur accord. Pour ce faire, les plateformes devront mettre en place une solution technique permettant de vérifier l’âge de leurs utilisateurs et l’autorisation de leurs parents. L’Arcom sera chargée de certifier ces solutions techniques, qui devront être conformes à un référentiel qu’elle aura élaboré, après consultation de la CNIL. En cas de non-respect de cette obligation, le réseau social pourra se voir infliger une amende pouvant aller jusqu’à 1 % de son chiffre d’affaires mondial. Un décret est prévu. Actuellement, des solutions de contrôle d’âge en ligne existent mais aucune n’est appliquée de façon satisfaisante.
Par amendement, les députés ont étendu cette notion de majorité numérique aux comptes déjà créés et détenus par des enfants de moins de 15 ans avant la promulgation de la loi (les réseaux sociaux auront deux ans pour recueillir l’accord des parents). Ils ont en outre prévu de permettre aux parents de demander la suspension sur un réseau social du compte de leur enfant de moins de 15 ans, complétant ainsi la Loi pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN) du 21 juin 2004 définissant les réseaux sociaux.
Ces derniers doivent eux-même faire plus d’efforts et être moins opaques. Là encore, TikTok est pointé du doigt (cf. notre article sur le sujet). Si l’application de microvidéos ne veut pas (comme l’ensemble de ses concurrents) dévoiler son algorithme de recommandation, le réseau social expliquait, dans une communication en 2020, qu’il se basait sur les interactions des utilisateurs et les métadonnées des vidéos comme les légendes, les hashtags et les chansons utilisées.
Plusieurs rapports de centres de recherche ou d’entreprises spécialisées dans la désinformation pointent la facilité avec laquelle les utilisateurs peuvent se retrouver confrontés à des informations fausses ou trompeuses au sujet d’élections ou de pandémies. En décembre 2022, aux États-Unis, un rapport du Centre de lutte contre la haine en ligne a démontré comment des contenus préjudiciables, par exemple des vidéos relatives à l’automutilation et aux troubles alimentaires, étaient recommandés par l’algorithme du réseau social à ses jeunes utilisateurs. Facebook, Youtube et Instagram ne sont pas exempts de reproches. Avec la loi votée récemment, les réseaux sociaux se verront obligés de diffuser des messages de prévention contre le harcèlement, et d’indiquer le numéro vert (3018) pour lutter contre le cyberharcèlement.
La loi va aussi augmenter la liste des contenus illicites que les utilisateurs peuvent signaler aux réseaux sociaux afin qu’ils soient retirés. Actuellement, il est possible de signaler pour retrait « l’apologie, la négation ou la banalisation des crimes contre l’humanité, la provocation ou l’apologie d’actes terroristes, l’incitation à la haine ou à la violence, l’incitation à la pornographie enfantine, les atteintes à la dignité humaine, les harcèlements sexuel et scolaire ». La nouvelle loi concerne aussi « le harcèlement conjugal ou moral, le chantage (chantage à la webcam, sextorsion), l’atteinte à la vie privée (cyber-outing, diffusion de contenus intimes ou de données personnelles) et l’atteinte à la représentation de la personne (deepfake) ».
Le saviez-vous ?
L’Association e-Enfance propose aux jeunes, à leurs parents et aux professionnels des interventions en milieu scolaire et des formations sur les usages responsables d’Internet, les risques éventuels comme le cyberharcèlement, le cybersexisme et autres formes de cyberviolence. Elle gère le 3018, numéro national pour les victimes de violences numériques. L’Association est le point d’entrée unique sur tous les enjeux liés aux usages numériques des enfants et à l’accompagnement à la parentalité numérique, afin que les jeunes puissent profiter d’Internet en toute sécurité.
e-enfance.org