Tahir Hamid Nguilin a pour mission de guider le ministère des Finances, du Budget et des Comptes publics sur la voie de la modernisation, et de tenir le cap fixé par le Président de Transition, Mahamat Idriss Déby Itno. La Loi de finances 2023 est le principal outil de ce ministère.
Par Amadou Ndiaye
Le système fiscal a longtemps souffert d’une relation conflictuelle avec les contribuables et de l’étroitesse du fichier des contribuables actifs. D’une part, la complexité des procédures et la forte présence des administrations fiscales étaient décriées. D’autre part, l’informel et la non-conformité entraînaient des performances quantitatives et qualitatives insuffisantes. Cette situation était étroitement liée à une orientation budgétaire immédiate des régies, pilotées sur la base du seul rendement quantitatif.
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Les autorités ont donc décidé d’apporter des modifications. Elles ont instruit une nouvelle orientation de politique fiscale fondamentalement probusiness. Susciter la création de la matière imposable dans un environnement de confiance entre partenaires est le nouveau crédo impulsé. La politique fiscale s’intéresse désormais prioritairement aux conditions d’exercice du jeu fiscal et au développement de la matière, source pérenne de mobilisation des recettes. Plus encore, le prélèvement fiscal se conçoit dans sa globalité budgétaire, économique, sociale et environnementale. Il doit contribuer à la valorisation des territoires ou provinces intérieures, tenir compte des personnes les plus vulnérables et promouvoir les vertus de l’investissement écologique.
Sous ces orientations fortes, un vaste mouvement de réforme du système fiscal est mis en place, bâti autour d’un triptyque structurant l’ensemble de nos finances publiques : modernisation, digitalisation, territorialisation. La modernisation vise à simplifier et fluidifier le système fiscal autour de standards communautaires et internationaux. La digitalisation vise à tirer parti des avantages bien compris de l’informatique pour améliorer les pratiques et renforcer la traçabilité, l’efficacité et la redevabilité. La territorialisation vise le développement inclusif de l’ensemble du territoire national et la valorisation des potentialités diverses dont regorgent les contrées intérieures.
Une loi de finances ambitieuse
La préparation du projet de Loi de finances 2023, présenté le 28 décembre dernier par le Ministre Tahir Hamid Nguilin au Conseil national de Transition, et adopté dans le même temps à la quasi-unanimité, s’est effectuée dans un contexte porteur de reprise économique avec une croissance du PIB de 5,1 % contre 4,6 % en 2022. Cette loi est également marquée par la restauration des équilibres macroéconomiques, l’amélioration du climat social en lien avec les efforts du Gouvernement pour préserver la paix sociale, le renforcement de la solidarité nationale, la promotion du genre et l’autonomisation des femmes, le soutien aux jeunes au travers de l’« Initiative 50 000 emplois », la santé des Tchadiens, l’accroissement des productions pétrolière, cotonnière, vivrière et des oléagineux, la réussite du Dialogue national inclusif et souverain (DNIS), ainsi que l’amorce de la phase II de la transition politique et l’organisation du référendum en 2023.
La conjoncture actuelle est aussi marquée par l’absorption progressive des chocs liés à l’avènement du Covid-19, tout en restant sous la contrainte des conséquences de la crise ukrainienne, de la faiblesse relative de la production agricole en 2022 ainsi que de la persistance de l’insécurité dans les pays voisins.
La Loi de finances engage le Gouvernement dans la bonne marche et le développement du pays. Elle contribue à suivre le processus budgétaire défini par la lettre d’orientation du Président de Transition, Président de la République, le général Mahamat Idriss Déby Itno, qui porte « un grand intérêt à l’épanouissement, à la promotion, à l’élévation, au développement, à la vie et à la santé de notre économie, de nos populations, de nos territoires », assure Tahir Hamid Nguilin.
Tenant compte des perspectives macroéconomiques, les ressources budgétaires en 2023 sont estimées à 1 885 milliards de francs CFA contre une prévision de 1 359 milliards en 2022. Entre 2022 et 2023, les recettes pétrolières devraient passer de 633,8 milliards à 1 067 milliards. De même, les recettes hors pétrole passeront de 555,864 milliards à 624 milliards, tandis que les dons devraient s’accroître de 9 %, passant de 169,2 milliards à 193 milliards. Cette augmentation des dons s’expliquerait essentiellement par la hausse des appuis budgétaires. Conséquence de cette embellie sur les ressources budgétaires, les dépenses publiques devront augmenter de 29 %, passant de 1 203 milliards à 1 549 milliards. Cette hausse résulte d’un plus large éventail des natures de dépenses. Ainsi, les dépenses de personnel devraient passer de 454,4 milliards à 510 milliards. Les dépenses de biens et services quant à elles devraient baisser de 13 %, passant de 119,5 milliards à 103,7 milliards.
Selon la Loi de finances 2023, les transferts devraient s’établir à 238,2 milliards de francs CFA (+24,3 milliards). La variation à la hausse de cette nature de dépenses est imputable essentiellement à la prise en charge des contributions aux organisations internationales par les départements ministériels et institutions constitutionnelles, à l’appui au processus électoral et à la prise en charge des travaux de mise en œuvre des résolutions du DNIS.
La variation sans précédent des investissements (+237,55 milliards de francs CFA en 2023) résulte essentiellement de l’accroissement des investissements sur financement intérieur (+249,6 milliards). Cette forte hausse permettra de prendre en charge en grande partie les coûts des travaux de construction des routes, ponts, voiries urbaines, bâtiments, ainsi que des ouvrages hydrauliques et énergétiques répartis sur l’ensemble du territoire national. Les dépenses d’intérêt de la dette devraient quant à elles passer de 54,7 milliards en 2022 à 99 milliards en 2023.
Mettre l’accent sur les infrastructures
La Loi de finances apporte des réponses aux préoccupations des populations tchadiennes en matière de lutte contre les inondations fluviales et pluviales. Au titre du développement local, de l’aménagement du territoire, de l’urbanisation et du désenclavement en toutes saisons, le Budget 2023 consacre massivement, et comme jamais depuis plus de 10 ans dans le pays, des ressources à la construction de routes, de voiries urbaines en provinces, d’ouvrages d’art et de franchissement, et des ponts.
Ainsi, sur financements extérieurs, seront entamées ou poursuivies les constructions des routes N’Djamena – Guelendeng – Bongor – Moundou – Koutéré – frontière du Cameroun, Abéché – Abou Goulem – frontière du Soudan, Ngouri – Bol – Liwa – frontière du Niger, Kyabé-Singako et Kélo-Pala, ainsi que du pont Bongor-Yagoua, d’un pont à double voies à Moulkou dans le Mayo-Kebbi Est, d’un deuxième pont à Doba et à Manda, de deux ponts sur le fleuve Mandoul à Ndila et Doro, ainsi que la finalisation du Stade omnisport de Mandjafa à N’Djamena et des stades des arrondissements et des villes des province en cours.
Sur ressources propres, les projets suivants vont être entrepris : la construction des routes Djouman-Laï, N’Djamena-Dourbali, Dourbali-Massenya, Pala-Léré, Mao-Ngouri (ainsi que les voiries de Mao), Moussoro-Chadra (ainsi que les voiries de Moussoro), Ngoura-N’Djamena-Bilala-Ati, Mongo-Aboudeïa, et de la route à quatre voies N’Djamena-Massaguet ; la poursuite et la finalisation du deuxième pont sur le Chari (parallèle à l’ex-pont de Chagoua), les études en vue de la construction d’un deuxième pont N’Djamena-Kousséri, les études relatives à la construction du pont Mogo-Bousso, la finalisation du pont de Koundjourou, ainsi que la construction/réhabilitation des ponts de la Pendé, de la Nya Pendé et des Monts de Lam ; la construction des ouvrages d’art et de franchissement sur les axes Am-timan – Aboudeïa, Singako – Am-timan, Faya-Kirdimi-Yebibou, Goz-Beïda – Abeché, Abeché – Am-Zoer – Uereda – Iriba – Amdjarass, Biltine-Iriba et Biltine-Arada-Kalait-Kaoura ; la construction des voiries à Amdjarass, Bongor, Doba, Faya, Mao, Massenya, Mongo, Moussoro et Pala ; la construction de centrales solaires à N’Djamena et dans les principales villes de province, et la réception des centrales électriques thermiques de Fada, Fianga, Pala, Goz-Beida, Léré, et de la centrale à gaz de Moundou ; l’acquisition et le déploiement de 10 000 lampadaires solaires, soit 5 000 pour la ville de N’Djamena et 5 000 pour les villes provinciales ; ainsi que la réhabilitation/élargissement de la piste de l’Aéroport international Hassan-Djamouss de N’Djamena.
Des réformes nécessaires
La Loi de finances tient compte des engagements nationaux et internationaux, en particulier ceux découlant des différents programmes économiques et financiers, pris notamment dans le cadre du programme avec le FMI et au titre du cadre commun du G20, ou encore les engagements signés avec les organisations nationales des travailleurs. Enfin, elle intègre des dispositions et des réformes fiscales et digitales devant permettre, d’une part d’accroître sensiblement les recettes pour atteindre le niveau des autres pays similaires, et d’autre part d’améliorer le climat des affaires, de soutenir fortement le secteur agricole (pour consolider l’autosuffisance alimentaire), le secteur énergétique (pour atteindre l’autosuffisance énergétique dans les principales villes, notamment à N’Djamena, dès avril 2023), et le secteur de l’eau, avec un triplement du budget d’investissement consacré à la réalisation des forages, des châteaux et réseaux d’adduction et de distribution d’eau potable sur toute l’étendue du territoire national. En outre, la Loi renferme des mesures visant à préserver la paix, le vivre-ensemble, le renforcement de l’administration du territoire et des unités administratives, et la sécurité sur l’ensemble du territoire national, par l’accroissement des capacités de la Police nationale ainsi que celles des Armées de terre et de l’air.
En matière de réforme des finances publiques et d’informatisation, et dans l’optique d’améliorer significativement la mise en œuvre des politiques publiques, le ministère des Finances, du Budget et des Comptes publics mettra l’accent en 2023, avec l’appui des partenaires, sur la territorialisation des services, leur aménagement et leur développement. Pour ce faire, le budget général de l’État promeut la décentralisation administrative, financière et digitale des services financiers et des marchés publics. Dans le cadre de cette Loi de finances et dans la suite logique des efforts entrepris depuis 2019, le déploiement d’e-Tax et du Système intégré de gestion des finances publiques (SIGFiP) sera achevé afin de permettre progressivement la dotation en équipements de toutes les administrations centrales, provinciales et locales, la digitalisation des recettes, l’exécution des dépenses publiques, la contractualisation des marchés publics et leur règlement, directement dans les provinces, les ministères, les institutions constitutionnelles et les communes, de manière électronique. Enfin, la mise en place du module e-enregistrement du SIGFiP à la Direction générale des Domaines permettra non seulement de retracer les recettes d’enregistrement, mais aussi de relier ledit système, d’une part, à Sydonia World et à e-Tax pour s’assurer que chaque attributaire est en règle avec le fisc, et d’autre part, au circuit de la dépense pour un suivi dématérialisé de chaque marché ou contrat, en partant de sa signature jusqu’à sa réalisation complète, tout en suivant le paiement des différents impôts tout au long de la vie du marché et à chaque étape de règlement des avances et décomptes. La hausse des recettes en 2022 (cf. encadré) est la résultante de nombreuses réformes entreprises, en matière d’informatisation et de digitalisation, et de l’engagement constant des responsables de régies et de leurs agents.
La Loi de finances introduit un meilleur encadrement des exonérations et des conditions d’octroi des attestations d’exonération. Cela passera par la mise en place d’outils pertinents pour le contrôle et la vérification des engagements contenus dans les conventions d’établissement. En matière de fiscalité, d’autres changements portent sur la fixation du régime fiscal de l’économie numérique, l’Impôt général libératoire (IGL) et les impôts locaux, la lutte contre la fraude et l’évasion fiscale nationale et internationale, le soutien aux jeunes, aux femmes et aux ménages, ainsi que l’allégement et l’alignement du mécanisme de calcul de l’Impôt sur le revenu des personnes physiques (IRPP), tant pour le secteur privé que public.
Hausse des recettes de l’État
Les recettes propres — hors pétrole — totales (impôts, douanes, domaines administratifs) à fin 2018 étaient de 361 milliards de francs CFA. Elles sont passées fin novembre 2022 à 508 milliards, soit une hausse de plus de 40 %. L’évolution dans les principales régies sont les suivantes : en réalisation, les impôts ont collecté en recettes hors pétrole 215 milliards de francs CFA à fin décembre 2018 et 321 milliards à fin novembre 2022, soit un accroissement de plus de 49 %, tandis que les douanes ont fait passer leurs recettes hors pétrole, qui étaient de 103 milliards de francs CFA au 31 décembre 2018, à 151 milliards en fin novembre 2022, soit une hausse de plus de 47 %.
Au troisième trimestre 2022, le niveau de recouvrement des ressources s’élevait à 1 063,83 milliards de francs CFA pour une prévision de 1 189,76 milliards, soit un taux de réalisation de 89 %. Ce niveau de recouvrement, plus important que prévu, est imputable à un bon niveau de recouvrement des recettes non pétrolières, mais aussi pétrolières. Les volumes de la production et des exportations de pétrole brut ont respectivement augmenté au troisième trimestre 2022 de 15,6 % et de 14,5 %, par rapport à la même période de l’année précédente. Les recettes pétrolières recouvrées au troisième trimestre 2022 s’élevaient à 643,257 milliards de francs CFA, contre 131,799 milliards l’année précédente, soit une hausse de 388,1 %.
Le contexte
La Loi de finances pour l’exercice 2023 est conçue dans un contexte marqué par la prise en compte de la phase II de la transition politique, consacrée à la mise en œuvre des résolutions du Dialogue national inclusif et souverain (DNIS), ainsi que des recommandations de l’Accord de Doha, avec comme point d’orgue pour l’année 2023 la préparation et la tenue d’un référendum constitutionnel.