Le Président Lula est de retour au pouvoir après dix années d’absence. Pour ce mandat, il doit composer avec une conjoncture économique pour le moins incertaine, et un peuple plus divisé que jamais.
Par Clément Airault
« Le Brésil est de retour », a déclaré Luiz Inacio Lula da Silva après avoir remporté l’élection présidentielle, le 30 octobre 2022, en obtenant 50,9 % des voix au second tour, contre 49,1 % pour son opposant d’extrême droite Jair Bolsonaro. Nous sommes loin du raz-de-marée promis par les instituts de sondage, mais c’est une victoire historique pour le Parti des travailleurs et pour celui qui l’a cofondé. Après plus de 10 ans d’absence et une incarcération dans le cadre de l’affaire de corruption Lava Jato, Lula connaît une véritable résurrection. De retour au pouvoir, il va devoir relever d’immenses défis.
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Un pays divisé
Le pays est grandement divisé, entre les partisans d’une gauche sociale et ceux d’une droite populiste flirtant avec l’extrémisme, à l’image de ce qui se passe aux États-Unis qui, comme le Brésil, ont connu des assauts sur leurs principaux lieux de pouvoir. Pour Lula, l’enjeu principal, après les violences du 8 janvier dernier (cf. encadré), est, à défaut de rétablir l’unité nationale, d’apaiser les tensions dans la population. Il a promis lors de la campagne électorale d’être « le Président de tous les Brésiliens ». Ce n’est pas une mince affaire, au regard du fossé existant entre ses objectifs économiques et sociaux, et la politique ultralibérale menée par son prédécesseur.
Du point de vue social, la ligne défendue par le Président Lula est aux antipodes de celle de Jair Bolsonaro, notamment sur les questions touchant aux minorités. Alors que l’ancien Président avait mis en œuvre une politique de destruction des institutions publiques garantissant les droits des autochtones, et propice aux attaques discriminatoires contre les indigènes, Lula a choisi de créer un ministère des Peuples autochtones, et a nommé à sa tête Sonia Guajajara, une activiste influente, du peuple autochtone Guajajara-Tentehar.
Lula a également pris des engagements forts, visant à mieux protéger et défendre la communauté LGBTQIA+. L’objectif est de prévenir le plus possible les violences homophobes, très importantes dans le pays. La politique de sécurité du Président met l’accent sur la prévention, l’enquête et le traitement des crimes et des violences à l’encontre des minorités et des femmes.
Une politique de gauche
Le chef de file de la gauche brésilienne a fait de la lutte contre la pauvreté et contre la faim l’une de ses priorités. Selon une étude du Réseau brésilien de recherche sur la souveraineté et la sécurité alimentaires et nutritionnelles (Rede Penssan), sur environ 215 millions de Brésiliens, plus de 116 millions vivraient avec « un certain degré d’insécurité alimentaire » ; 33 millions d’entre eux souffriraient de la faim. Ce chiffre a doublé depuis 2020, du fait de la pandémie de Covid-19, mais également du renforcement de l’agro-industrie dans les campagnes. Alors que ce secteur a réalisé des bénéfices records, les salaires versés aux employés restent extrêmement bas. Sous l’ère Bolsonaro, les inégalités se sont accrues, non du fait du manque de nourriture mais de l’inégale concentration des revenus. Face à cette situation, le nouveau Chef de l’État prévoit en premier lieu de réajuster le salaire minimum, pour qu’il soit plus adapté à la hausse des prix.
Le volet social de son programme intègre une exonération d’impôt sur le revenu pour les plus pauvres et une hausse des aides, dans le cadre de l’ancien programme Bolsa Familia (« Bourse familiale », BF). Lancé en 2004, ce programme d’aide sociale, véritable emblème de Lula et de son Parti des travailleurs, a permis de réduire les taux de pauvreté et d’extrême pauvreté de manière conséquente. La BF a été remplacée début novembre 2021, à l’initiative de Bolsonaro, par une allocation baptisée Auxilio Brasil (« Aide Brésil »), toujours en vigueur aujourd’hui. Le montant de cette allocation est passé de 400 à 600 réaux (environ 110 euros) en 2022. Néanmoins, selon la Banque mondiale, ce programme, « mal conçu », n’améliore en rien les déséquilibres. Pire, il les accroît, et son coût élevé est difficilement soutenable pour le Brésil.
Néanmoins, les efforts financiers doivent s’intensifier si le nouveau Chef d’État veut tenir ses promesses. Avant même d’être officiellement président, Lula a obtenu une victoire politique majeure au Congrès. En effet, ce dernier a voté le 21 décembre 2022 un amendement à la Constitution permettant au gouvernement de dépasser le plafond des dépenses pour financer des programmes sociaux. Ce plafond pourra être dépassé de 145 milliards de réaux (soit environ 26 milliards d’euros). Cet argent va notamment servir à maintenir l’allocation mensuelle de 600 réaux versée aux familles les plus pauvres. Lula a également promis de revenir sur la réforme du Code de travail menée en 2017.
Urgences économiques…
En dépit d’une embellie économique en fin d’année 2022, les perspectives pour cette année 2023 ne sont pas radieuses. Selon l’OCDE, la croissance du PIB, qui était de 2,8 % en 2022, sera de 1,2 % cette année. Alors que le Brésil peine déjà à maîtriser son inflation, supérieure à 11 % en juin dernier, les urgences économiques s’accumulent. « Il est nécessaire de garantir la modernisation et l’expansion des infrastructures de transport, de la logistique sociale et urbaine, avec un vigoureux programme d’investissement public », était-il précisé dans le programme du candidat Lula. Pour lui, les investissements sont la condition sine qua non de la relance de la croissance. Mais encore faudrait-il que le pays redevienne attractif auprès des investisseurs étrangers.
Le Président considère que le Brésil s’est isolé de la scène internationale sous l’ère Bolsonaro, et que l’image du pays a été ternie. Le nouveau Chef de l’État entend améliorer le rayonnement du Brésil à l’international. Dans son discours d’investiture devant le Congrès, Lula s’est notamment engagé à reprendre « l’intégration sud-américaine » et à renouer avec un dialogue « élevé et actif » avec les États-Unis, l’Europe et la Chine. De fait, il s’est rendu à Buenos Aires pour participer au sommet de la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (Celac) les 23 et 24 janvier, et deux voyages sont prévus au cours de ce premier semestre, aux États-Unis et en Chine, cette dernière restant le principal partenaire commercial du Brésil.
Tout à son objectif de développement économique, le Président Lula est favorable à une relance de l’accord UE-Mercosur. Cet accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Marché commun du Sud (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay) a été initié dès le début des années 2000. Il notifie que l’UE exporte des voitures, des vêtements et des médicaments vers le Brésil, lequel envoie en Europe des produits agricoles. Très critiqué, l’accord est aujourd’hui au point mort, bloqué par les pays européens en raison de l’aggravation de la déforestation en Amazonie causée par la politique de l’ancien Président Bolsonaro. La France a opposé son véto dès août 2019, puis l’Allemagne en août 2020, avant que les parlementaires européens ne votent une résolution à son encontre en octobre de la même année. Depuis, leurs positions n’ont pas varié. Avec Lula, la situation change. À la veille de son élection, il déclarait, s’il était élu, vouloir parvenir à un accord « dans les 6 mois ». Son arrivée au pouvoir ne peut qu’en accélérer la ratification, d’autant plus que le Chef de l’État s’est engagé à stopper la déforestation.
… Et défis environnementaux
D’un point de vue environnemental, le Gouvernement Bolsonaro laisse un héritage catastrophique pour le Brésil. Le 16 novembre 2022, soit deux semaines après son élection, Lula s’est exprimé devant les participants de la COP27 (Conférence de Charm el-Cheikh sur les changements climatiques), prenant position en faveur de la création d’un fonds pour faire face aux pertes et dommages occasionnés par le changement climatique. Il a remis l’Amazonie au centre des préoccupations de son pays : « Nous allons renforcer et reconstruire tous les organes de surveillance et de suivi qui ont été démantelés ces quatre dernières années », a-t-il déclaré. Il compte notamment consolider le financement des agences publiques, comme l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles renouvelables (Ibama) qui a été affecté par d’importantes coupes budgétaires sous Bolsonaro. Le retour de Lula à la tête de l’État a aussi permis de réactiver le Fonds de préservation de la forêt amazonienne (rassemblant déjà plusieurs centaines de millions d’euros), qui avait été gelé par les pays européens lors de la précédente mandature brésilienne.
Les défis à relever pour le nouveau Gouvernement sont immenses, d’autant plus qu’au niveau fédéral, bon nombre de gouverneurs d’État se situent dans l’opposition. Les États de Rio de Janeiro, du Minas Gerais et de Sao Paulo, qui représentent à eux seuls plus de la moitié du PIB brésilien et 40 % de la population du pays, en font partie. Reconstruire les politiques environnementales et la capacité du Brésil à surveiller, préserver et restaurer les forêts et écosystèmes brésiliens constituaient des engagements de campagne de Lula. Il est décidé à mettre en place une politique de tolérance zéro contre l’orpaillage illégal, la déforestation et les incendies. Reste à transformer les promesses en actes concrets.
Lors de ses précédents mandats, Lula a été souvent accusé de faire trop de compromis, tant avec les milieux financiers internationaux que les conservateurs nationaux. Est-il possible d’être favorable à l’accord UE-Mercosur tout en se faisant le chantre de la protection de la forêt amazonienne ? Comment financer les programmes sociaux tout en satisfaisant près de la moitié des électeurs, qui ont voté pour Jair Bolsonaro ? Durant ce mandat, quel que soit le sujet, sa marge de manœuvre sera extrêmement limitée. Il est difficile d’espérer une réconciliation du peuple brésilien.
Assaut des bolsonaristes à Brasilia : une tentative de coup d’État ?
L’assaut des partisans de l’ancien Président Jair Bolsonaro au siège du pouvoir, à Brasilia, le 8 janvier, ressemble fort à une tentative de coup d’État. Aujourd’hui, le clan Lula cherche les coupables.
Tout a débuté par une manifestation, le dimanche 8 janvier dernier, à Brasilia. Plusieurs milliers de manifestants, soutiens de l’ex-Président Jair Bolsonaro, s’étaient réunis sur la place des Trois-Pouvoirs. Vêtus de jaune et vert, ces bolsonaristes avaient fait le déplacement depuis les quatre coins du Brésil. L’ampleur de la mobilisation et l’agressivité de la foule ont pris de cours les forces de l’ordre chargées de la protection des lieux de pouvoir. Plusieurs milliers de manifestants se sont introduits dans le palais présidentiel du Planalto, le Congrès et le siège de la Cour suprême, saccageant tout sur leur passage.
Au cri de « L’armée avec nous ! », les soutiens de l’ex-Président d’extrême droite ont semé le chaos dans la capitale. Mais les militaires, qu’ils glorifient, ne les ont pas aidés à chasser Lula du pouvoir ; au contraire, ils les ont appréhendés et remis aux policiers. Pour le clan Lula, il s’agit aujourd’hui de trouver les responsables de ce remake de l’assaut du Capitole américain du 6 janvier 2021, et de définir si ce chaos était réellement organisé dans le but de déstabiliser le pouvoir.
Trouver les coupables
L’ex-Ministre de la Justice de Bolsonaro, Anderson Torres, a été interpellé le 14 janvier, à la suite d’une ordonnance du juge du Tribunal suprême fédéral, Alexandre de Moraes, déposée la veille. À la demande du parquet général, l’ancien Président et ses proches ont été inclus dans l’enquête visant à découvrir les éventuels instigateurs de ces violences.
Anderson Torres, qui était le secrétaire de la sécurité de Brasilia lors des évènements du 8 janvier, est soupçonné de connivence avec les émeutiers. Jair Bolsonaro est lui-même directement visé pour son possible rôle dans le saccage des institutions fédérales de la capitale. Étant privé de son immunité de chef d’État, les poursuites judiciaires à son encontre (il est cité dans quatre enquêtes) pourraient conduire à son arrestation, ou au moins l’empêcher d’effectuer un retour sur la scène politique.
« Nous ne portons aucun esprit de vengeance contre ceux qui ont tenté de soumettre la nation à leurs desseins personnels et idéologiques, mais nous garantirons l’État de droit », a déclaré le Président Lula. Le calcul est politique. La police fédérale, qui a enquêté sur Bolsonaro et ses alliés, est subordonnée au ministère de la Justice. Elle est désormais dirigée par Andrei Rodrigues, un allié de Lula qui s’est occupé de sa sécurité lors de la campagne présidentielle. De plus, à partir de septembre 2023, Lula pourra nommer un nouveau procureur général, en remplacement de l’actuel procureur Augusto Aras, soupçonné d’être pro-Bolsonaro. Une extradition de l’ex-Président, qui réside désormais en Floride, est possible, même si cette hypothèse semble peu probable.