Le Tchad, berceau de l’humanité, regorge de trésors naturels patrimoniaux qui en font une destination de choix pour un tourisme culturel empreint d’histoire. Le pays promeut aussi un tourisme d’aventure et écoresponsable grâce à ses paysages extraordinaires, ses parcs nationaux et sa diversité culturelle.
Par Charlotte Le Brun
Situé au carrefour de l’Afrique du Nord et de l’Afrique subsaharienne, le Tchad offre tout d’abord à ses visiteurs un patchwork de cultures et d’ethnies. Avec 16,8 millions d’habitants, d’après les chiffres 2021 du site populationdata.net, répartis en plus de 200 groupes ethniques, le Pays de Toumaï affiche une diversité particulièrement importante. Au nord, les peuples nomades, parmi lesquels les Toubous, vivent de l’élevage sur la zone saharienne, tandis que les peuples arabes venus du Soudan et les populations sédentaires se sont établis autour du lac Tchad. On les connaît sous les noms de Boudoumas, Bilalas, Koukas ou encore Médogos. Au sud vivent les Saras, qui forment le groupe majoritaire.
Ce contenu est réservé aux abonnés
Côté linguistique, si le français et l’arabe restent les deux langues officielles, on ne dénombre pas moins de 150 idiomes sur le territoire, dont la majorité sont parlés par une fraction de la population inférieure à 5 000 personnes. Ce brassage ethnique et culturel contribue à façonner l’identité du Tchad, mais il représente également depuis plusieurs années une source de conflits communautaires et d’instabilité politique. C’est pourquoi l’on peut saluer les initiatives prises ici ou là pour favoriser le vivre-ensemble autour d’un partage des cultures.
Le Festival des peuples de la vallée du Logone, par exemple, organisé à deux reprises, en 2017 et en 2019, à Bongor, promeut une cohabitation harmonieuse entre les peuples de cette région transfrontalière, à cheval entre le Tchad et le Cameroun. Ils sont plus d’une trentaine, parmi lesquels les Gabris, les Kabalayes ou les Mouroums, à se retrouver pour partager leurs danses et musiques, exposer leurs objets d’art et d’artisanat traditionnel, ou encore se conter des histoires. L’objectif est de faire de la culture un vecteur de dialogue et de cohabitation pacifique. On doit ce projet à l’association Akwada, qui intervient également dans les domaines de l’éducation, de la formation en direction des jeunes et des familles défavorisées, du développement, mais aussi dans la médiation entre les populations lors de conflits.
Des vestiges du passé
Le Tchad est habituellement découpé en trois grandes zones, qui possèdent chacune des atouts bien distincts. Ainsi, le Sahara, faiblement peuplé, occupe le nord du pays, avec le désert du Tibesti. Le Sahel se situe dans la partie centrale du territoire. Et c’est au sud que sont localisées les plus fortes densités de population.
Dans la zone sud-ouest, la capitale N’Djamena est bordée par le fleuve Chari. Anciennement connue sous le nom de Kotoko, puis de Fort-Lamy à l’époque coloniale, la capitale a été fondée en 1900 par le français Émile Gentil. Son musée national abrite quelques collections permanentes, sur l’archéologie de l’art Sao, la préhistoire et l’art islamique, ainsi que des expositions temporaires. En 2007, le musée a accueilli l’exposition dédiée aux « Sao, le peuple de l’argile au Tchad ». Les années 2010 et 2011 ont été consacrées au « Tchad : sur la piste d’un nouveau berceau de l’humanité ». Le musée conserve également la copie du fameux crâne de Toumaï, l’une des découvertes archéologiques majeures du XXIe siècle.
En 2001, une équipe franco-tchadienne, emmenée par le paléontologue poitevin Michel Brunet, a en effet mis au jour, dans le désert du Djourab, les ossements du plus ancien représentant de l’humanité. Quelques dents et un fragment de fémur ont été retrouvés à côté du crâne, le tout daté à 7 millions d’années avant J.-C. L’analyse faite de cette découverte, bien que controversée, a été corroborée par une étude parue en août 2022 dans la revue Nature, qui confirme que la position du trou occipital du crâne de Toumaï permet de déduire qu’il marchait sur deux pieds. Quelques années auparavant, en 1994, ce sont les restes (une partie de la mâchoire précisément) d’« Abel » qui étaient exhumés par Michel Brunet. Cet australopithèque vivait, quant à lui, il y a 3 à 3,5 millions d’années. À titre de comparaison, le fossile de « Lucy », découvert en Éthiopie en 1974, est daté d’environ 3 millions d’années.
Plus récemment, en 2019, dans le quartier de Gassi, sur le chantier de la construction d’une basilique, ont été découverts des objets attribués à la civilisation disparue Sao, qui a fortement marqué l’histoire du Tchad. Des bijoux et des ossements humains ainsi que des urnes funéraires ont permis de relier ce nouveau site aux Sao. En effet, ceux-ci avaient coutume d’enterrer leurs morts dans de grandes urnes en terre cuite, d’où l’appellation de « civilisation de la terre cuite » utilisée pour les désigner. Le Tchad compte de très nombreux sites Sao, dont plusieurs cimetières. Au fil des années, de nombreux objets ont été sortis de terre, permettant d’en apprendre davantage sur cette civilisation au style unique.
Le Pays de Toumaï porte bien son surnom de « berceau de l’humanité » puisque les découvertes préhistoriques y sont nombreuses, notamment au nord, dans le massif de l’Ennedi , qui accueille la plus grande collection d’art rupestre du Sahara : plus de 200 stations de gravures et une soixantaine de peintures rupestres, datées de 4 000 ans avant J.-C. Le site est classé au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 2016, tant « pour ses peintures et gravures que pour ses paysages ». Ces œuvres représentent des scènes de la vie quotidienne de village, mais aussi des combats, des chasses, ou encore des animaux, bœufs et girafes notamment. Selon un spécialiste de l’art rupestre de ces régions, Yves Gautier, interviewé par RFI en 2017, ces peintures sont intéressantes « aussi au plan historique, car ça nous donne une idée de l’évolution de la population et de leurs modes de vie, depuis les dernières périodes humides qui commencent à peu près il y a 12 000 ans. Le climat était complètement différent de ce qu’il est aujourd’hui. » Des représentations de barques, de scènes de pêche à la ligne dans ce territoire aujourd’hui désertique permettent d’en déduire qu’il y a eu une évolution importante de la topographie.
Un tourisme durable
La zone sud-est tchadienne héberge le parc national Zakouma. Créé en 1963, il s’agit d’une des plus importantes réserves d’animaux d’Afrique centrale. Sur une superficie de 305 000 ha évolue une faune importante et diversifiée. Le comptage affiche 44 espèces de gros mammifères (éléphants, gnous, girafes, antilopes, primates), ainsi que 250 sortes d’oiseaux et 84 essences ligneuses. La lutte contre le braconnage et la protection des espèces du site menées par les autorités depuis le milieu des années 2010 ont contribué à accroître la population d’éléphants de manière significative, et a permis la réintroduction de rhinocéros noirs, disparus depuis plus de 40 ans du territoire. Le Tchad compte un second site inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité : les lacs d’Ounianga, au nord-est du pays. Classés depuis 2012, ces lacs — une cinquantaine au total, interconnectés — couvrent plus de 60 000 ha sur une région désertique et hyperaride.
Au sud, le bassin du lac Tchad, au carrefour de cinq pays, abrite non seulement une riche biodiversité, mais aussi un patrimoine naturel et culturel exceptionnel. Le lac est un lieu d’échanges et de cohabitation entre nomades et sédentaires. De nombreuses espèces y vivent : hippopotames, crocodiles du Nil, tortues terrestres et aquatiques, ainsi que 120 variétés de poissons. C’est aussi une niche écologique pour des milliers d’oiseaux migrateurs, avec plus de 350 espèces répertoriées. Malheureusement, aujourd’hui la pérennité de ce lieu d’exception est menacée, car on assiste à un assèchement progressif du bassin, conséquence du réchauffement climatique et de la surexploitation humaine, aggravé par une décennie de conflits armés. L’émergence du groupe terroriste Boko Haram a eu pour conséquences le braconnage d’espèces protégées, le trafic illégal de bois ou encore les migrations de populations. L’Unesco accompagne les cinq États riverains, dans le cadre du projet Biosphère et patrimoines du lac Tchad (BIOPALT), pour l’obtention des appellations « Réserve de biosphères nationales et transfrontalière » et « Site de patrimoine mondial transfrontalier » ; ce qui permettrait d’aider à la sauvegarde des ressources biologiques, hydrologiques et culturelles.
Aujourd’hui, les autorités tchadiennes, tout comme les acteurs locaux et notamment associatifs, misent plutôt sur un tourisme durable. Lors du Sommet des leaders sur le tourisme organisé à Bruxelles le 6 septembre 2022, Mounira Hassaballah, alors Ministre tchadienne du Tourisme, a rappelé les atouts naturels de son pays, « un carrefour de cultures tout en un ». La promotion d’une activité touristique qui respecte l’environnement et favorise l’économie locale et inclusive semble être l’un des axes privilégiés par le ministère.
La présence des Sao au Tchad
L’histoire du Tchad est étroitement liée à celle de la civilisation sao. Plus de 700 sites saos sont répertoriés sur l’ensemble du territoire. Le lac Tchad et son bassin, en particulier, recèlent des vestiges archéologiques qui leur sont attribués. Leur présence remonterait à l’ère paléolithique.L’empreinte des Sao se retrouve encore dans les modes de vie des habitants d’aujourd’hui, notamment au niveau de la pêche et de la transformation du poisson. Des poteries, des outils et accessoires de pêche, des embarcations traditionnelles sont toujours fabriquées selon les pratiques ancestrales de ce peuple. Les maisons de pêcheur situées sur les îles du lac sont d’ailleurs, d’après le site de l’Unesco, le « fruit de l’évolution d’une architecture très élaborée et richement décorée ». Aujourd’hui, les Kotokos se revendiquent comme étant des descendants des Sao. Leurs villes sont bâties sur les vestiges des villages saos, sur des buttes naturelles.