Le sommet entre l’UE et l’Asean organisé le 14 décembre 2022 avait pour but de célébrer le 45e anniversaire des relations entre les deux organisations, relations qui semblent trouver un nouveau souffle ces dernières années.
Par Clément Airault
L’Asie du Sud-Est « revêt une grande importance politique, économique et géostratégique pour l’Union », assure l’Union européenne (UE). Entre cette dernière, dont les prémices datent de 1950 (avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier [CECA]), et l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Association of South East Asian Nations [Asean]), créée en 1967, des liens ont très rapidement été établis. Si les premiers contacts informels remontent au début des années 1970, il faut attendre 1976 et le 1er Sommet de l’Asean à Bali pour qu’un dialogue entre les deux parties s’institutionnalise. Une rencontre fut organisée à Bruxelles en 1978 entre les ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’Asean et ceux de la Communauté économique européenne (CEE), et en mars 1980, un accord de coopération fut conclu. Durant les décennies suivantes, des échanges cordiaux ont régulièrement eu lieu, s’approfondissant progressivement, mais à un rythme relativement lent.
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Il faudra attendre décembre 2020, et la réunion annuelle conjointe des ministres des Affaires étrangères de l’UE et de l’Asean, pour que la relation prenne une tout autre envergure. Après 6 ans de pourparlers, un partenariat stratégique est instauré entre les deux organisations, qui représentent conjointement 1,1 milliard d’habitants et 23 % du PIB mondial. Les deux parties se sont engagées à organiser des sommets régulièrement entre leurs dirigeants, à stimuler leur coopération en matière d’économie et de sécurité, et à créer des liens dans des domaines comme la connectivité et le développement.
Intégration et développement
L’UE est attachée à sa relation avec l’Asean, parce qu’elle considère que l’organisation asiatique joue un rôle central dans l’architecture régionale. Comme le détaillait en décembre 2020 le ministère des Affaires étrangères allemand sur son site internet, « l’Asean est l’institution régionale la plus efficace de l’Indopacifique ; elle symbolise la paix, la sécurité et la stabilité en Asie du Sud‑Est et au-delà ».
L’UE a fait le choix de partager avec l’Asean son expérience en matière d’intégration économique, d’établissement d’un marché unique et de suppression des obstacles techniques, juridiques et administratifs au commerce. Elle lui fournit ainsi depuis 2013 un soutien technique, afin de renforcer ses capacités institutionnelles, dans le cadre du programme Arise (devenu Arise Plus en 2017, et prolongé en 2022 pour 4 ans).
La coopération au développement reste un axe majeur de la relation entre l’Europe et l’Asie, depuis le lancement des premiers programmes de développement communautaire en Asie du Sud-Est en 1976. À titre d’illustration, en 1994, les sommes consenties par l’UE représentaient 46 % de l’aide publique au développement en Asie du Sud-Est. Environnement, développement intégré, agriculture, santé, éducation constituent autant de thèmes primordiaux pour l’Europe. Depuis 2020, les échanges se sont concentrés sur la lutte contre la pandémie de Covid-19. Plus de 800 millions d’euros ont été mobilisés par l’UE dans ce cadre. Globalement, le renforcement de la coopération en matière de santé publique fut un point central de la 28e réunion du comité mixte de coopération UE-Asean, réuni en mars 2021. L’UE a également fourni depuis 2017 une importante aide humanitaire pour les réfugiés rohingyas, qui ont fui les persécutions en Birmanie.
La bonne gouvernance et les droits de l’homme sont deux autres points majeurs pour l’UE, et conditionnent l’aide qu’elle apporte. Des sanctions ont ainsi été prises vis-à-vis de la Birmanie, du fait de la situation des Rohingyas, puis en février 2021 après le coup d’État de la junte militaire. Certains observateurs notent d’ailleurs que la nouvelle approche européenne visant à renforcer les critères en matière d’environnement de droits de l’homme pour tous les futurs accords commerciaux, pourrait avoir un impact sur ces derniers.
Partenaires économiques
L’UE est un acteur économique important en Asie du Sud-Est. Elle est le 2e partenaire économique de l’Asean (avec des échanges estimés à 651,4 milliards de dollars en 2020) et représente 13 % de l’ensemble de ses échanges commerciaux avec le reste du monde. L’Asean est également importante pour l’UE, puisqu’elle est son 3e partenaire non européen, après les États-Unis et la Chine. « Le commerce est un instrument puissant pour promouvoir la croissance et des liens plus étroits entre nos régions », assurait le Président du Conseil européen Charles Michel, lors de la cérémonie d’ouverture du sommet commémoratif UE-Asean du 14 décembre 2022.
« L’objectif ultime » reste, selon l’UE, l’établissement d’un accord de libre-échange international entre l’UE et l’Asean. Cette ambition a été réaffirmée le 14 septembre 2021, à l’occasion d’une réunion des ministres de l’Économie de l’Asean en présence du Commissaire européen au commerce. Mais cet accord de libre-échange global est un objectif à long terme, et priorité est donnée aux accords bilatéraux entre l’UE et des membres de l’Asean.
Un Accord de partenariat et de coopération (APC) a notamment été signé avec Jakarta en 2014. Les stocks d’investissements directs étrangers en Indonésie s’élevaient à 25,8 milliards d’euros en 2019. Un accord du même type existe avec les Philippines (signé en 2011 et entré en vigueur en 2018). Ce pays est d’ailleurs le coordinateur de l’Asean pour les relations avec l’UE jusqu’en 2024.
Avec la Thaïlande, des négociations ont été engagées pour la signature d’un APC en mars 2013, mais elles ont été suspendues dès l’année suivante, à la suite du coup d’État militaire qui a eu lieu dans ce pays. Depuis, des échanges avaient régulièrement lieu entre la Thaïlande et l’UE afin de trouver le moyen de conclure ce partenariat, et de négocier un accord de libre-échange. Les enjeux étaient importants, car l’UE est l’un des plus gros marchés d’exportation de la Thaïlande. En 2021, les échanges commerciaux bilatéraux s’élevaient à 35,4 milliards d’euros. Finalement, un APC a été conclu en septembre 2022. À moins que la situation politique ne l’empêche, un accord de libre-échange devrait être signé entre 2024 et 2026.
Mais c’est sans aucun doute avec Singapour et le Vietnam que la coopération est la plus aboutie, tant sur le plan commercial que scientifique ou technologique. En février 2019, trois accords majeurs ont été ratifiés entre l’UE et Singapour, qui est son 2e partenaire commercial au sein de l’Asean : un APC, un accord de libre-échange, et un accord de protection des investissements. Avec le Vietnam, l’accord commercial entré en vigueur au 1er août 2020 « est le plus ambitieux que l’UE ait conclu avec un pays en développement », aux dires de l’organisation européenne. Il prévoit à terme l’élimination de la quasi-totalité des droits de douanes entre les deux parties. Pour l’UE, cet accord représente une étape importante vers la sécurisation et la consolidation de son partenariat en matière de commerce et d’investissement avec l’Asean, et préfigure ce qu’elle aimerait mettre en place avec la majorité des pays de l’Asean. « Nous en souhaitons davantage », rappelait la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, le 14 décembre dernier. Des accords de libre-échange pourraient être prochainement signés avec la Malaisie, les Philippines, la Thaïlande et même l’Indonésie si les conditions sont réunies.
Un nouveau souffle
Afin de célébrer le 45e anniversaire des relations diplomatiques entre les deux organisations, les dirigeants de 27 pays de l’UE (le Président français était au Qatar pour la demi-finale de la Coupe du monde de football) et de 9 dirigeants de l’Asean (la Birmanie était exclue) se sont réunis le 14 décembre dernier à Bruxelles (Belgique). « La réunion UE-Asean nous donnera l’occasion d’échanger sur notre partenariat stratégique et de discuter de questions importantes d’intérêt commun, notamment les défis de sécurité, la connectivité, le commerce, les transitions verte et numérique, la sécurité alimentaire », expliquait Charles Michel à la veille de l’évènement. Le Président du Conseil européen est à l’origine de ce sommet de haut niveau — une première —, qui ne fait que confirmer la nouvelle relation symbolisée par le partenariat stratégique conclu en décembre 2020.
« Il est important que nous offrions un contrepoids à l’influence que d’autres exercent dans la région », a estimé le Premier ministre belge, Alexander De Croo, à cette occasion. Sur le plan économique, l’UE doit dans un premier temps faire face à l’hégémonie de Pékin. Entre cette dernière et l’Asean, le commerce bilatéral est passé de 8,3 milliards de dollars en 1991 à 686,6 milliards de dollars en 2020, faisant de la Chine le 1er partenaire de l’Asie du Sud-Est. Elle est également l’investisseur principal dans certains pays de l’Asean, notamment en termes d’infrastructures. L’UE se doit donc de renforcer sa contribution dans la sous-région, ne serait-ce que pour éviter la dépendance de certains pays à la Chine, comme le Cambodge et le Laos. Ursula von der Leyen a ainsi annoncé un engagement de 10 milliards d’euros jusqu’en 2027 pour des investissements dans les infrastructures de l’Asean, en mettant l’accent sur la connectivité et les projets verts.
Dans le Plan d’action pour la mise en œuvre du partenariat stratégique UE-Asean (2023-2027), adopté le 4 août 2022 à Phnom Penh (Cambodge), les deux organisations prévoient un engagement commun sur les Objectifs de développement durable des Nations unies à horizon 2030. Un premier dialogue ministériel UE-Asean sur l’environnement et le changement climatique devrait avoir lieu au cours de l’année.
Dans un contexte de rivalité entre la Chine et les États-Unis, notamment sur des questions géostratégiques liées à la suprématie en mer de Chine méridionale, l’UE apparaît de plus en plus comme un partenaire crédible pour les États de l’Asean pris en étau entre les deux géants. « Nous pouvons approfondir notre coopération en matière de sécurité et de défense dans de nombreux domaines, tels que la criminalité transnationale, la sûreté maritime, les femmes dans les conflits et les opérations de maintien de la paix », assurait Charles Michel le 14 décembre. L’accord sur le transport aérien (cf. encadré) est un bon exemple d’une possible relation gagnant-gagnant. « L’objectif ultime » de l’UE, à savoir un accord de libre-échange global avec l’Asean, n’a jamais semblé aussi proche.
Le saviez-vous ?
Créée en 1967, dans un cadre de coopération régionale proche du projet européen, l’Asean regroupe l’Indonésie, la Malaisie, Singapour, la Thaïlande, les Philippines, Brunei, le Vietnam, le Laos, le Cambodge et la Birmanie (cette dernière étant tenue à l’écart de l’organisation depuis le coup d’État de février 2021).
Transport aérien
Un accord historique
Le 17 octobre dernier, lors de la 28e réunion des ministres des Transports de l’Asean, à Bali (Indonésie), un accord majeur a été trouvé avec l’UE. Après six années de négociations, les deux parties ont signé le premier accord mondial de bloc à bloc dans le domaine du transport aérien. Il remplace plus de 140 accords bilatéraux, définit un ensemble unique de règles et réduit les formalités administratives. Nommé PITAA, il établit les bases d’une coopération plus étroite entre l’Asean et l’UE dans des domaines tels que la sécurité aérienne, la gestion du trafic aérien, la protection des consommateurs ou les questions environnementales et sociales. Concrètement, en vertu de cet accord, les compagnies aériennes de l’Asean et de l’UE pourront opérer un nombre illimité de vols entre les deux régions. Les passagers peuvent donc espérer une plus grande fréquence de vols, avec un choix plus large de compagnies aériennes, entre l’Asie du Sud-Est et l’Europe.