Si la Catalogne jouit d’une bonne dynamique économique et touristique, elle doit également faire face à une criminalité et une délinquance importantes. Les autorités ont donc choisi d’accroître les moyens alloués à la sécurité.
Par Clément Airault
La Catalogne est attractive. Les touristes y viennent en masse — et les délinquants également. Au cours des mois de novembre et décembre 2020, une Enquête de sécurité publique de Catalogne (ESPC) a été réalisée à la demande des autorités catalanes. Les conclusions ont permis de mettre en avant une légère augmentation « du pourcentage de personnes ayant subi au moins un évènement considéré comme un crime », notamment en ce qui concerne les fraudes et escroqueries. Et c’est la ville de Barcelone qui est la plus touchée par la délinquance et la criminalité. L’enquête a également révélé que « 66,3 % des tromperies, fraudes et escroqueries ont été commises en ligne ». C’est pourquoi la police catalane (los Mossos d’Esquadra) entend renforcer la lutte contre la cybercriminalité (cf. interview).
Une valeur de gauche
Depuis qu’il est au pouvoir, l’actuel Gouvernement de la Généralité de Catalogne a choisi de mettre l’accent sur les moyens alloués à la sécurité et au bien-être de la population. Actuellement, les effectifs des Mossos d’Esquadra s’élèvent à 18 200. Le projet 2020-2030 vise à atteindre à terme 22 000 membres. Les effectifs vont donc continuer d’augmenter d’année en année malgré les départs à la retraite. Le budget alloué aux forces de police est de 167 millions d’euros (hors salaires). Pour un gouvernement composé en majorité d’élus de la Gauche républicaine de Catalogne (Esquerra Republicana de Catalunya, ERC), il s’agit là d’une question fondamentale. « La sécurité est une valeur qui doit être défendue par la gauche, parce que ceux qui souffrent le plus du désordre sont les plus vulnérables, les plus démunis », assure le Ministre de l’Intérieur Joan Ignasi Elena. Des moyens financiers et humains conséquents ont été accordés, et continuent de l’être, aux Mossos d’Esquadra. Ces derniers dépendent directement de la Généralité de Catalogne, et du point de vue politique, les indépendantistes cherchent à prouver leurs compétences à diriger un État souverain et sécurisé.
Questions à Josep Maria Estela, Commissaire en chef des Mossos d’Esquadra
À la tête de la police catalane depuis décembre dernier, le commissaire Estela expose les principaux défis et objectifs auxquels il est confronté.
Propos recueillis par Alexandra Taïeb
Comment les Mossos d’Esquadra travaillent-ils en collaboration avec la Guardia Civil ou la police nationale ?
Les organisations criminelles sont de plus en plus mondialisées. Je pense que, comme elles, toutes les polices d’Europe doivent être de plus en plus coordonnées et travailler ensemble. Il faut mettre en valeur certains outils, comme le Centre d’intelligence et de lutte contre le terrorisme et le crime organisé (Citco) qui dépend directement du ministère de l’Intérieur espagnol. Son but principal est la coordination entre la Guardia Civil, la police nationale et les autres organismes de sécurité, comme les Mossos d’Esquadra, en Catalogne. Je peux vous dire qu’ici, cette coordination et cette collaboration sont excellentes. Les organismes de coordination comme le Citco, Europol ou Interpol sont très importants. Nous devons faire face à des organisations criminelles dédiées au trafic de drogue, au vol et au terrorisme djihadiste. C’est un défi pour les Mossos d’Esquadra, ainsi que pour les polices d’Espagne, d’Europe et du monde.
À quels types de criminalité est confrontée la Catalogne ?
La Catalogne a au moins deux réalités différentes. L’une concerne la sécurité et la délinquance qui se rapportent plus au milieu rural, dans de petits villages, et l’autre est la réalité des grandes villes. On parle évidemment de Barcelone, mais aussi de Tarragone, Lérida, Gérone, Sabadell ou Terrassa. Notre délinquance ordinaire concerne principalement des vols de voitures ou de biens, ce qui représente 80 % des délits. Dans les grandes villes, la délinquance est un peu différente, avec des cambriolages ou des vols avec violence sur la voie publique, ce que nous appelons el tirón. Cela se produit surtout dans les villes où il y a beaucoup de touristes. Ici, à Barcelone, les quantités de touristes qui arrivent chaque jour sont astronomiques, ce qui attire énormément les délinquants, parce que les touristes portent généralement de l’argent, des montres chères, des objets de prix.
À quels défis devez-vous faire face ?
Le premier grand défi de la Catalogne et de l’État espagnol est l’arrivée et l’implantation d’organisations criminelles très importantes et très mondialisées. C’est un sérieux danger, non seulement pour la sécurité des citoyens, mais aussi pour la démocratie elle-même. Les organisations criminelles sont très structurées, comme de grandes entreprises. Elles s’occupent principalement de trafic de drogue, de cyberdélits, mais aussi de prostitution, de trafic d’armes.
Le premier problème que nous avons en Catalogne est sans aucun doute la culture et le trafic de cannabis. Il y a trois ou quatre ans, nous détections et saisissions chaque année 50 000 plants de marijuana. En 2020, nous en avons détecté et saisi 200 000, et en 2021, 800 000 ! Nous avons effectué 2 000 arrestations uniquement en rapport avec ce trafic. L’an passé, en 2021, nous avons eu en Catalogne 107 narcoasaltos — des bagarres entre organisations criminelles pour avoir le pouvoir, impliquant très souvent des armes à feu. Sept homicides et deux assassinats étaient directement liés aux organisations criminelles. Les chiffres sont très préoccupants concernant l’activité de ces organisations, en Catalogne et sur toute la côte méditerranéenne. La corruption qui en découle est un phénomène inquiétant, parce que les profits de cette activité sont très grands. La lutte contre les organisations criminelles est une priorité.
La cybercriminalité est aussi en forte hausse. C’est un défi pour la police, et nous allons modifier certaines de nos structures. Nous allons former une police pour « patrouiller » dans le cyberespace à la recherche des pirates. Je crois que l’un des défis majeurs des Mossos d’Esquadra est la technologie.
Nous avons également une augmentation des abus et agressions sexuels. Nous travaillons aussi sur ce thème en donnant beaucoup d’informations aux victimes potentielles, en relation avec les discothèques, les pubs, et tout ce qui concerne la vie nocturne.
Vous êtes depuis décembre dernier le patron des Mossos d’Esquadra. Quel est votre style de gouvernance et quels sont vos objectifs ?
Mes objectifs sont que notre modèle de police soit très transparent, très démocratique. Je veux que nous ayons un modèle de proximité avec les citoyens. Nous devons soigner notre rapport avec ces derniers. Il faut consacrer beaucoup de moyens et de temps aux personnes qui ont été victimes de délits. Avoir une police dotée d’un maximum de compétences, ici, en Catalogne, avec une forte présence sur le territoire pour pouvoir aider les personnes, et en coordination et collaboration avec le reste des polices d’Espagne : c’est ce que j’aimerais, et ce à quoi je travaille.
