La France s’efforce de se positionner en tant que leader mondial de l’écologie, mais les défis à relever et les incohérences dans la planification écologique nationale interrogent sur la viabilité de ses ambitions.
Par Feliana Citradewi
À l’aune de l’annonce faite par le Président de la République le 25 septembre 2023, la démarche mise en œuvre pour accompagner la transition écologique est présentée comme « accessible et juste ». Cette promesse d’une solution « à la française » est incarnée par une « planification écologique ».
Tout d’abord, qu’englobe la notion de planification écologique ? Il s’agit d’une approche holistique, catalysant une action coordonnée entre citoyens français, entreprises et collectivités, avec pour objectif de relever les défis cardinaux de la transition. En France, l’expression « planification écologique », inspirée du Gosplan de l’URSS instauré en 1921, a été énoncée pour la première fois par Jean-Luc Mélenchon, alors sénateur, lors du congrès de Reims du Parti socialiste en 2008. Cette notion a été par la suite adoptée par Emmanuel Macron lui-même lors de son meeting de l’entre-deux tours à Marseille le 16 avril 2022, promettant de consacrer son second quinquennat à l’écologie.
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Emmanuel Macron et l’ambition d’un quinquennat écologique
Portée par l’élan de la COP21, berceau de l’Accord de Paris et dont elle se déclare la fervente gardienne, la France opte pour un leadership écologique fort, et adopte une rhétorique audacieuse, celle de « penser l’impensable » ; apparaissent des formules chocs telles que : « Personne n’hésite à faire des choix profonds et radicaux quand c’est une question de vie ou de mort ; c’est la même chose avec le risque climatique. »
Cette posture a été résumée et renforcée par la formule mémorable du Président Macron « make our planet great again » — lancée en réaction à la décision de son homologue américain, Donald Trump, de retirer les États-Unis de l’Accord de Paris sur le climat le 1er juin 2017 —, faisant écho au célèbre slogan « make America great again » de ce dernier. La position de la France, érigée en quelque sorte en « gendarme vert » du monde, témoigne non seulement d’un engagement national envers la cause écologique, mais aussi d’une volonté de contrecarrer les politiques environnementales médiocres adoptées par le « gendarme du monde » outre-Atlantique.
Durant son second mandat, le Président Macron a décidé, en mai 2022, de bâtir un plan d’action national via une méthodologie innovante, la planification écologique, pour atteindre nos objectifs environnementaux. Il a confié la tutelle institutionnelle de cette mission à la Première ministre, Élisabeth Borne, accompagnée par Antoine Pellion, Secrétaire général à la Planification écologique. Cela manifeste une résolution renforcée d’adresser le triptyque des défis cruciaux, tant locaux que globaux, soulignés par l’exécutif : le dérèglement climatique, la chute de la biodiversité et la raréfaction des ressources. Il s’agit non seulement de mieux préserver nos écosystèmes, mais également de tracer un nouvel équilibre entre l’exploitation, la préservation et la restauration de nos ressources, afin d’assurer leur pérennité.
Planification écologique sensée mais insuffisante
Le conseil qui s’est tenu à l’Élysée en septembre dernier a permis de revenir sur les actions inscrites au plan national relativement à la transition écologique lancée en 2022. L’engagement financier sans précédent de l’État s’est manifesté par l’annonce d’une augmentation des investissements publics, qui passent de 33 milliards d’euros en 2023 à 40 milliards en 2024. Des fonds supplémentaires sont mobilisés au service de la planification écologique, dont 7 milliards pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de préservation de la biodiversité et de la santé, de l’intégration des impacts du changement climatique et de la gestion des ressources naturelles.
Ce plan est articulé autour de six thèmes actionnables : les transports, le logement, la préservation et la valorisation des écosystèmes, la production, la consommation, l’alimentation et l’agriculture. Il s’agit de mettre en œuvre les politiques définies à ces différents niveaux. Avec pour ambition de permettre à la nation de réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 55 % et d’orchestrer une transition pour passer de « 60 % d’énergies fossiles à 40 % » d’ici 2030, afin de converger vers l’objectif d’éviter un réchauffement global de plus de 3 °C en 20 ans, seuil défini par consensus politique et scientifique pour espérer maîtriser les impacts du changement climatique.
Toutefois, l’examen des progrès réalisés jusqu’alors révèle l’ampleur du défi qui reste à relever. Depuis 1990, le pays a diminué ses émissions de CO2 d’environ 25 %, soit un peu moins de la moitié de l’objectif fixé au terme des sept prochaines années. La tâche qui se profile est donc de doubler les efforts entrepris au cours des trois dernières décennies. Bien que le Président Macron se soit souvent réjoui de la baisse des émissions de gaz à effet de serre en France (12 % durant son premier quinquennat, et -4,3 % extrapolés pour 2023), ces chiffres cachent certaines anomalies circonstancielles, induites notamment par la pandémie de Covid-19 ou la crise énergétique mondiale plus récente, qui ont contribué à majorer le résultat des efforts entrepris en raison du ralentissement de la production industrielle et de l’impact sur la mobilité.
Cette planification a bien été déclinée au niveau local, comme le confirme Rémi Bochard, directeur général des services de la Communauté d’agglomérations du Pays basque, première intercommunalité à appliquer la « COP territoriale » sur la planification écologique : la France a pris la mesure de ce défi et a amorcé le bon élan, s’engageant enfin dans une planification écologique construite et réaliste. « La question est plutôt de savoir si l’on va assez vite — car de nombreux élus n’adhèrent pas toujours aux contraintes —, et si les investissements, certes importants, sont suffisants au regard des chantiers à réaliser. »
L’ambition écologique affichée peine à se concrétiser
La moitié du chemin semble avoir été parcourue, la planification écologique étant désormais considérée comme une priorité politique du quinquennat. Cependant, la déclinaison concrète des mesures à adopter demeure floue et les résultats semblent loin des objectifs fixés. En effet, certaines propositions n’en sont qu’au stade de projet et n’auront pas de réel impact avant 2030, ce qui met en lumière un décalage entre l’urgence écologique et le manque de rapidité et d’intransigeance des initiatives et actions prises. Parmi les projets phares évoqués, certains remplissaient pourtant de nombreux critères pour converger vers la direction voulue. On peut citer :
– 13 projets de RER métropolitains sont envisagés, destinés à encourager l’usage des transports en commun. Financés à hauteur de 700 millions d’euros, ils s’accompagnent d’une révision en profondeur des politiques de mobilité urbaine et d’une évolution du mode de vie des usagers.
– Un million de pompes à chaleur devront être installées d’ici 2027, sans pour autant que soient interdites les chaudières à gaz. Il est primordial de proposer une solution écologique pour le secteur de l’habitation qui est un grand consommateur d’énergie, principalement pour le chauffage en raison d’isolations souvent insuffisantes. Cependant, une rénovation thermique efficace exige une refonte globale du bâti, ce qui peut s’avérer onéreux tout en étant difficilement quantifiable. Les aides disponibles ne sont pas toujours très compréhensibles pour le public, malgré un apport supplémentaire de 1,4 milliard d’euros destiné à encourager ce type de rénovation. De plus, nous faisons face à un manque cruel d’artisans compétents pour réaliser ces travaux sur certains territoires.
– Une promotion de l’accès aux véhicules électriques est prévue — bien que la question cruciale du traitement des batteries reste en suspens —, avec un leasing à moins de 100 euros par mois pour les ménages les plus modestes. À ce jour, le coût minimal de ce type de service reste supérieur à 150 euros mensuels, avec l’assurance.
Néanmoins, certains axes semblent en retrait : la question de la compétitivité du prix de l’électricité demeure assez énigmatique, avec des modes de calculs complexes, et difficilement compatible avec la promesse de réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique national. Cette dissonance a contraint Emmanuel Macron à revenir sur la question, et à adopter une position nettement infléchie : désormais, aucun réacteur en état de fonctionnement ne sera fermé de manière anticipée. Sont également confirmés une prolongation de leur durée de vie et l’inauguration de réacteurs de dernière génération (qui ne seront pas effectifs avant 2028).
Certains objectifs apparaissent comme des reports d’anciennes promesses — par exemple l’engagement, non concrétisé à ce jour, de fermer intégralement les centrales à charbon en 2022, qui glisse désormais vers l’horizon 2027. D’autres semblent revus à la baisse par rapport aux annonces initiales. En 2017, le Président de la République s’était engagé à interdire l’utilisation du glyphosate après 2020. Or cet herbicide, jugé potentiellement nocif, est toujours commercialisé en 2023, et nous peinons à nous affranchir de notre dépendance à ce produit. L’objectif revu est désormais de réduire de 30 % le recours au glyphosate.
Enfin, comme l’exprime Nicolas Nace de Greenpeace France, « il n’y a pas vraiment de volonté d’avoir une politique de sobriété structurante ». En effet, le nucléaire, l’agriculture numérisée, les voitures électriques et l’avion « vert » figurent au cœur des priorités mises en avant par le Chef de l’État, témoignant d’une inclinaison nette pour une démarche « tout technologique » qu’il perçoit comme une réponse aux enjeux écologiques, reléguant la sobriété en arrière-plan. Par ailleurs, lors de l’esquisse de la planification écologique a été mis en lumière la notion de « sobriété mesurée », une terminologie novatrice issue de la plume d’Emmanuel Macron, et qui s’inscrit dans la continuité de sa politique du « en même temps », suscitant des interrogations.
Un grand écart entre la volonté affichée et exemplarité
Bien que les fonds attribués soient conséquents, il est à regretter que leur allocation soit surtout sensible dans les effets d’annonce, reléguant au second plan les changements structurels pérennes. Huit années ont filé depuis la COP21, et la France arrive à une étape décisive de ce calendrier. Pourtant, différents indicateurs révèlent un écart significatif entre la volonté affichée et la réalité du bilan écologique du pays : se positionnant comme un champion du climat, il peine à atteindre les rangs des nations exemplaires en la matière, même au sein de l’Europe. Il existe un retard français sur des enjeux écologiques cruciaux, tels que la qualité de l’air ou la gestion des eaux usées.
Outre quelques secteurs particulièrement prometteurs comme l’hydrogène — où l’Hexagone excelle, s’affiche comme leader mondial et s’engage à dépasser les objectifs européens d’ici 2030 —, la France se classe tout de même 4e au (controversé) Green Future Index de la MIT Technology Review. Entre 2015 et 2018, elle avait été condamnée car elle n’avait pas respecté ses objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre, avec un dépassement cumulé de plus de 60 MtCO2e/an (millions de tonnes équivalent CO2 par an) sur cette période. L’État a par la suite encore été sanctionné à deux reprises pour son inaction climatique. Le premier coup de semonce juridique a retenti en juillet 2021, centré sur l’affaire de Grande-Synthe, cette ville côtière du Nord dont l’avenir s’obscurcit sous la menace de la montée des eaux. Le second éclat est survenu en octobre de la même année, sous les feux de la rampe médiatique de « l’affaire du siècle », quand quatre ONG ont croisé le fer avec l’État pour avoir outrepassé son budget carbone de 2015 à 2019. Et pour ternir encore davantage ce tableau une nouvelle affaire a surgi, celle des crédits carbone, ces sésames permettant aux entreprises de payer une contribution en contrepartie de leurs émissions. Un hebdomadaire allemand y décèle une « supercherie climatique », mettant au jour que plus de 90 % de ces mécanismes sont « systématiquement altérés ».
Ces diverses condamnations mettent en évidence une incohérence dans la position de la France, qui aspire à occuper en matière climatique une place de leader sur la scène internationale, mais est frappée de décisions juridiques sévères et d’une avalanche de critiques quant à la planification et l’exécution de sa politique.
Une planification finalement autant politique qu’écologique
Il est impératif qu’il y ait une volonté politique plus ambitieuse, moins sensible à la « myopie » des agendas politiques et électoraux, et un investissement sans concessions pour honorer les engagements pris sur la scène internationale.
Le choix d’Emmanuel Macron d’adopter une posture incitative (souvent via des subventions ou incitations financières), finalement plus coûteuse, témoigne d’une orientation plutôt politique, moins radicale et également moins efficace. Il s’agit moins de réformes profondes que de mesures ostentatoires destinées à projeter une image séduisante.
Certes, un équilibre est à trouver entre encourager le changement souhaité par la majorité et imposer des contraintes. Le Président veut éviter une nouvelle crise sociale telle que celle des « gilets jaunes », cristallisée sur l’augmentation en 2018 de la taxe sur les carburants destinée à financer la transition écologique. Mais il doit s’armer du courage politique nécessaire pour imposer, sans alarmisme, aux Français un changement vers un mode de vie plus écologique, et réduire la dépendance aux énergies fossiles.
Revitaliser l’influence de la francophonie par un rôle majeur pour le climat
Les défis environnementaux mondiaux exigent une action résolue et une mobilisation sans précédent. La France, dotée d’un potentiel certain et pouvant tabler sur son histoire et son influence encore significative, doit refonder sa planification écologique pour incarner réellement l’ambition d’un avenir « vert » et juste.
Avec la COP21 Paris a amorcé un élan prometteur, qui tarde à se concrétiser. Le bilan est en deçà des espérances. Le temps passant et la situation ne cessant de se dégrader, selon une multitude d’indicateurs, l’heure n’est plus à la tergiversation et l’urgence écologique ne nous permet plus de nous contenter d’ambitions médiocres. L’analyse des orientations écologiques françaises met en exergue le besoin crucial de renforcer les intentions affichées, et surtout de consolider les initiatives et les démarches par des actions tangibles et mesurables. Souffrant d’une perte d’influence globale, la France pourrait profiter d’un rôle de leader écologique mondial et ainsi renforcer la place de la francophonie.
Le pays doit adopter une planification plus ambitieuse et exemplaire. L’adage de Francis Bacon le rappelle avec perspicacité : celui qui donne de bonnes leçons mais montre un mauvais exemple construit d’une main et détruit de l’autre. En l’occurrence, c’est la rapidité et l’efficacité de l’exécution de nos actions qui vont nous préparer aux énormes défis environnementaux. Autrement, ce que l’on risque de détruire, c’est la seule demeure commune à l’humanité : la Terre.