Pour exister sur l’échiquier politique international, la Catalogne n’a eu de cesse ces dernières années de renforcer la coopération avec les pays du sud de la Méditerranée. Elle se place désormais comme un hub de première importance au sud de l’Europe.
Par Clément Airault
«Dans le monde, le Barça est sans doute plus connu que la Catalogne », s’amuse Laura Foraster i Lloret, secrétaire générale de Diplocat (cf. encadré). Le grand club de football de Barcelone, et ses stars aux millions d’abonnés sur les réseaux sociaux, constitue en effet une vitrine de choix pour la région, au même titre que la Sagrada Família de l’architecte Gaudi ou les plages de la Costa Brava.
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La Catalogne est naturellement attractive, mais cela n’empêche pas son Gouvernement d’œuvrer activement au renforcement de ses relations, avec des actions concrètes. Depuis 1990, la région s’est dotée d’une structure spécifique pour la gestion et l’orientation de ses relations hors de ses frontières : le Cabinet des actions extérieures a été chargé de définir les objectifs de ce qui allait devenir la politique internationale de la Généralité. Aujourd’hui, Barcelone est une ville ouverte sur le monde, qui ne cesse de multiplier ses coopérations par le biais de ses représentations politiques. L’action internationale de la Catalogne est de plus en plus axée sur les questions économiques ; et « la coopération interrégionale, qui a pour objectif politique la promotion et le renforcement du régionalisme, a également un contenu majoritairement économique », estime Caterina Garcia, professeur de relations internationales à l’Université Pompeu-Fabra (UPF)de Barcelone.
Pôle énergétique
Le Gouvernement de la Généralité a initié, du point de vue géostratégique, « deux projets majeurs », a expliqué la Ministre de l’Action extérieure Victòria Alsina Burgués (cf. interview) : le corridor méditerranéen et le gazoduc MidCat (Midi-Catalogne). La réalisation de ce dernier est un vrai serpent de mer. Initié en 2003, le projet a pour but de relier les réseaux gaziers français et espagnol via un pipeline de 190 km allant d’Hostalric, au nord de Barcelone, à Barbaira, à l’est de Carcassonne, en passant par les Pyrénées. Le MidCat doit permettre le transport du gaz provenant d’Algérie vers le reste de l’Europe.
Le projet avait été abandonné début 2019, notamment pour des raisons environnementales et à cause d’un manque de rentabilité économique. Mais avec la guerre en Ukraine, et alors que les pays membres de l’UE veulent tous mettre fin à leur dépendance au gaz russe, l’interconnexion gazière entre l’Espagne et la France est redevenue stratégique. Le 6 mai, la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a plaidé pour la relance du MidCat, qu’elle a jugé « crucial ». La Catalogne est ainsi au centre de l’échiquier énergétique européen. Cela est d’autant plus vrai que le port de Barcelone dispose d’infrastructures et de services spécialisés dans la regazéification du gaz naturel liquéfié. En 2021, Barcelone était le premier port de soutage (bunkering) de GNL dans le système portuaire méditerranéen. Il devrait conserver cette place en 2022.
Connection avec le Sud
La Catalogne est l’une des régions les plus dynamiques d’Europe. Elle cherche aujourd’hui à renforcer ses liens avec les pays du Sud et regarde vers l’Afrique. Au niveau commercial, le port de Barcelone échange avec ceux d’Algérie, du Maroc et de la côte ouest de l’Afrique. Ce trafic « n’est pas très important en volume, mais il répond à des nécessités impérieuses, et [le Port soigne ses] relations avec les transitaires des compagnies de navigation qui desservent ces routes », explique le président du Port de Barcelone, Damià Calvet. À titre d’exemple, le Maroc recense 150 entreprises catalanes, œuvrant principalement dans la production de textile. Les relations avec la Tunisie et l’Algérie ont toujours été importantes, notamment sur des questions liées au tourisme, et surtout à l’énergie. L’Espagne est reliée à l’Algérie par un gazoduc sous-marin de 750 km, le Medgaz, ainsi que par un deuxième pipeline, le GME, mis hors service à l’automne 2021 par Alger sur fond de crises diplomatiques avec le Maroc et l’Espagne.
D’autre part, la Catalogne est depuis 2013 un point stratégique du corridor méditerranéen, qui est l’un des grands axes prioritaires du Réseau transeuropéen de transport (RTE-T). Les villes de Barcelone, Tarragone et Gérone sont des étapes majeures sur le réseau ferroviaire connectant le sud de la péninsule ibérique au reste de l’Europe. Ce corridor constitue, aux dires de Victoria Alsina Burgués, « la pierre angulaire de [leur] action à l’étranger ».
Soft power
Barcelone attire les touristes, les entreprises… et les sièges d’institutions internationales. La Ministre de l’Action extérieure milite pour que le siège de l’Institut international pour l’éducation supérieure, que veut créer l’Unesco, soit installé à Barcelone. Elle souhaite également que l’agence européenne GIGA soit implantée en Catalogne. Celle-ci est une entité de l’UE destinée à assurer qu’en 2030 toutes les écoles autour du globe soient connectées à internet.
« Tout ce qui peut aider à faire venir des projets, des investissements ou des agences internationales en Catalogne doit être mis en œuvre », estime la Ministre. L’organisation de grands évènements internationaux, musicaux ou sportifs, fait partie intégrante de cette stratégie. Barcelone avait accueilli les Jeux olympiques d’été en 1992, et la Catalogne rêve de recevoir les JO d’hiver en 2030. Prochainement, en 2024, la capitale catalane sera la ville hôte de l’une des plus anciennes et des plus célèbres compétitions nautiques de la planète : la Coupe de l’America.
Diplocat : Un outil d’influence unique au monde
Le Conseil de la diplomatie publique de Catalogne (Diplocat) est un consortium public-privé composé de 38 membres. L’intégralité des communes de la Catalogne et la plupart de ses institutions publiques en font partie, ainsi que les 12 universités catalanes (dont 8 publiques), sans oublier les représentations entrepreneuriales et sportives.
Diplocat, tel qu’on le connaît aujourd’hui, a été créé il y a dix ans. « Dans la diplomatie publique, le pilier le plus important est l’écoute », explique Laura Foraster. Pour savoir ce que pense le monde de la Catalogne, le consortium réalise annuellement une enquête d’opinion à l’international, une étude sur la presse écrite étrangère, et assure une veille très active des réseaux sociaux. Diplocat organise également des programmes de visiteurs internationaux. Tous ses rapports sont publics et transparents, ce qui « est indispensable », car l’organisation est scrutée de près.
En 2017, lors de la mise sous tutelle de la Catalogne par le Gouvernement espagnol, les activités de Diplocat ont été suspendues. Lorsque le consortium a redémarré ses activités en 2018, la secrétaire générale nouvellement nommée a présenté « un plan stratégique destiné à mieux expliquer [sa] mission et à éviter les problèmes dus à des confusions ». Laura Foraster assure que « la diplomatie publique n’est pas la diplomatie traditionnelle, puisque Diplocat ne dispose pas de délégations ».
Néanmoins, en 2020, la Cour constitutionnelle espagnole a énoncé un jugement précisant que les termes de « diplomatie publique » étaient contraires à la Constitution. C’est pourquoi Diplocat « a aujourd’hui l’obligation de changer de nom, et de ne plus utiliser le terme “diplomatie” dans le cadre de [ses] activités ». Il s’agit donc désormais de promotion culturelle, académique ou sportive. Au début du mois du juillet 2022, la Catalogne a « présenté les nouveaux statuts de Diplocat », qui a été transformé « en une plateforme d’action pour le partenariat international public-privé ». Cette plateforme reste un organisme sans équivalent dans le monde.