La crise sanitaire et les différentes périodes de confinement ont mis en exergue les problématiques d’isolement chez les étudiants. Un mal-être combattu depuis déjà plusieurs années par l’association Nightline, qui œuvre pour accompagner ces jeunes et lutter contre le tabou que représente encore la santé mentale en France.
Par Alice De Graeve
Le 16 avril 2021, un jeune homme de 24 ans a été retrouvé pendu dans sa chambre étudiante à Villeneuve-d’Ascq, à proximité de Lille. Ce drame a soulevé un mouvement de soutien chez les jeunes Français, #étudiantsendétresse, qui s’est propagé sur les réseaux sociaux en quelques jours. Les étudiants du nord de la France interpellent, par ce biais, les universités et les pouvoirs publics sur la fatigue, la solitude, et le mal-être ressentis par les jeunes, des problèmes accentués du fait de la crise sanitaire et des confinements.
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Nightline France a été fondée en 2016 par Patrick Skehan, aujourd’hui délégué général de l’association. Cet étudiant irlandais a été particulièrement surpris, alors qu’il poursuivait ses études en France, du manque de structures dédiées à la santé mentale des jeunes. Pour répondre à un réel besoin face à un mal-être grandissant, il s’est inspiré du modèle anglophone pour mettre en place Nightline France. Depuis, cette plateforme ne cesse de prendre de l’ampleur et épaule un nombre toujours croissant d’étudiants dans le pays.
À l’écoute des étudiants
« Nightline est une association étudiante, gérée par des étudiants, et pour les étudiants », explique Juliette Duchâteau, bénévole et porte-parole. Les discussions entre étudiants permettent de libérer la parole dans la mesure où il est plus aisé d’évoquer les difficultés que l’on traverse en échangeant avec une personne qui parle le même langage et qui a un mode de vie relativement similaire.
Si Nightline développe peu à peu de nouvelles ambitions, sa principale activité reste la ligne d’écoute. Celle-ci est ouverte à l’ensemble des étudiants de France, chaque soir, de 21 heures à 2 h 30, et est accessible gratuitement. Cette gratuité, qui est un principe évident pour l’association, représente une condition essentielle à l’heure où de plus en plus d’étudiants évoquent la précarité dans laquelle ils se trouvent. Ainsi, chacun peut appeler le service d’écoute pour évoquer les sujets qu’il souhaite.
Les bénévoles-écoutants respectent quatre principes : l’anonymat, la confidentialité, le non-jugement et la non-directivité. Cette dernière notion les empêche de donner des conseils, quels qu’ils soient, aux appelants, dans la mesure où ils n’ont pas de connaissances particulières en psychologie ou en médecine. Les bénévoles-écoutants sont formés, dès qu’ils rejoignent l’association, à l’écoute active, qui permet d’offrir aux appelants une réelle discussion dans le respect des principes posés.
Alors que les étudiants sont pleinement libres du choix des sujets qu’ils veulent aborder au cours de l’échange, Juliette Duchâteau relève des thèmes récurrents : « Plus de 30 % de nos appels concernent les études et les relations familiales. Régulièrement, nous avons aussi des sujets tels que la solitude, le stress, l’estime de soi et les relations amicales et amoureuses. Au cours d’un même appel, on peut avoir différents thèmes abordés. »
L’association répond à une problématique majeure actuellement. À ce titre, elle bénéficie de nombreux partenariats publics qui encouragent l’initiative de ces étudiants au service de leurs pairs. Le ministère de la Santé, le ministère de l’Enseignement supérieur, la mairie de Paris, la région Île-de-France, certains Crous comme ceux de Paris, Versailles ou Lille, ainsi que les universités de Lille, Paris, Lyon et Toulouse soutiennent activement Nightline.
Des appels toujours plus nombreux
L’association a fait le constat de l’augmentation, année après année, des appels vers sa ligne d’écoute. « Nous avons de plus en plus d’appels et, parfois, nous avons du mal à répondre à chacun d’eux », se désole la porte-parole. Pour tenter de répondre au mieux aux confidences et appels à l’aide, Nightline France s’est développée avec l’ouverture d’antennes dans les villes de Saclay, Lyon et Lille. En 2020, le concept s’est donc implanté dans ces communes qui accueillent un grand nombre d’étudiants. Aujourd’hui, on compte en France une centaine de bénévoles et une dizaine de salariés. « Nous essayons également d’agrandir l’équipe des bénévoles et d’ouvrir davantage d’antennes, comme celle de Toulouse qui devrait ouvrir d’ici la fin du semestre », assure Juliette Duchâteau.
En outre, consciente que les établissements d’enseignement supérieur français accueillent aussi des jeunes venus de pays étrangers, Nightline a ouvert, en 2018, une ligne anglophone. Pour cela, elle a agrandi son équipe de bénévoles-écoutants par l’arrivée de personnes parlant anglais.
L’association enregistre un nombre d’appels très important, parfois supérieur à celui des bénévoles-écoutants disponibles. Juliette Duchâteau insiste sur la nécessité de ne pas se décourager et de renouveler son appel : « Lorsqu’on se trouve en situation de mal-être, il faut en parler, que ce soit avec un proche, des personnes du corps enseignant, un professionnel de santé ou un service comme Nightline. » Si le mal-être psychologique est encore peu considéré en France, « en parler peut déjà être un grand pas, cela peut éviter que la situation s’aggrave ».
Centraliser les structures spécialisées
Florian Tirana, étudiant et président de Nightline France depuis 2020, s’est lancé le défi d’aller plus loin en faveur de la santé mentale. Il a, en effet, la volonté de mettre en lumière la réalité de la vie étudiante et de faciliter l’orientation des jeunes en détresse. Pour cela, l’association intervient dans les établissements d’enseignement supérieur afin de sensibiliser sur la problématique de la santé mentale et de former les équipes enseignantes pour faire face à ces situations.
En mars 2020, Nightline a également déployé un site internet qui recense les organismes proposant de l’aide aux étudiants en situation de détresse psychologique : soutien-étudiant.info. Juliette Duchâteau rend compte du caractère essentiel de la création d’une telle plateforme : « On se rend compte qu’il est difficile, en tant qu’étudiant, d’avoir accès à ces informations. Pourtant, il est important de savoir que des structures existent et peuvent proposer un soutien psychologique, voire médical. »
Au-delà de ce site internet, l’association peut, au cours des échanges téléphoniques, rediriger les appelants vers des services compétents, adaptés aux problématiques évoquées. « Nous sommes là pour écouter la personne qui appelle, puis c’est à elle de choisir ce qui lui convient le mieux. Dans le cas d’une situation de détresse plus importante, on propose à l’appelant de le rediriger vers des services spécialisés, mais sans l’y obliger », nous explique la porte-parole de Nightline.
Témoignage de Valentin, étudiant à Paris.
Valentin Roddier, étudiant en management des politiques publiques au sein d’un établissement d’enseignement supérieur à Paris, a accepté de témoigner de son expérience sur la ligne d’écoute de Nightline.
« J’ai appelé pour la première fois Nightline en janvier ou février 2021. C’était un soir où je me sentais très seul, je n’avais personne avec qui discuter et partager mes angoisses. J’appelle chaque fois que j’en ressens le besoin. Même si on ne sait pas qui est au bout du téléphone, j’avais l’impression de discuter avec un bon ami, je ressentais une vraie proximité. J’ai reçu de l’écoute sans aucun jugement, je me sentais pris en compte.
Les bénévoles ne se permettent pas d’émettre un jugement ni même de prodiguer des conseils sur notre situation, mais ils nous aident à trouver nous-même les solutions. Je ne peux pas vraiment dire que Nightline m’ait aidé à résoudre mes problèmes, mais en recevant une écoute et un soutien, je me sentais beaucoup mieux pour les affronter seul. Nightline m’a permis de me sentir mieux à la fois sur le moment et les quelques jours qui ont suivi, mais aussi en m’apprenant à me poser les bonnes questions et à trouver des réponses. Si les difficultés sont trop grandes et nécessitent un suivi par un professionnel, il ne faut pas hésiter à franchir le pas. Nightline m’a permis de me rendre compte que j’avais besoin de m’adresser à un professionnel. »