Surnommé « Kaka », Mahamat Idriss Déby Itno tient la barque de la Transition, malgré de nombreux duels annoncés au sommet de l’État. Arrivé au pouvoir en avril 2021 à la suite d’un vide institutionnel, le jeune Président surprend tant par sa capacité d’écoute et son leadership que par sa vision pour l’avenir du pays. Portrait.
Par Pius Moulolo
Le 11 avril 2021, une colonne rebelle pénètre sur le territoire tchadien, dans la province du Kanem, à la frontière avec la Libye. Stationné dans la ville de Mao, le Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT), armé de matériel lourd et constitué de près de 1 500 hommes, décide de s’emparer de la capitale, N’Djamena, à 300 km de là. Sentant le danger, le soldat Déby, de regrettée mémoire, va à la rencontre de l’ennemi. Des combats éclatent entre les miliciens et l’armée nationale. Dans la violence des affrontements, le Maréchal Idriss Déby Itno est grièvement blessé le 19 avril, et décède le lendemain. Une contre-offensive est rapidement organisée par quinze généraux réunis au sein du Comité militaire de Transition (CMT), avec à sa tête Mahamat Idriss Déby Itno, très peu connu du grand public tchadien.
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Immédiatement après l’annonce du décès d’Idriss Déby, un couvre-feu est décrété sur l’ensemble du territoire. L’Assemblé nationale est dissoute, la Constitution suspendue, une Charte de la Transition décrétée, et Mahamat Idriss Déby est porté à la tête du pays. Le nouvel homme fort du Tchad se veut rassurant lors de son message à la nation du 31 décembre 2021 : « Cette perte monumentale a failli plonger notre pays dans le chaos, n’eut été la promptitude de l’armée nationale tchadienne. Notre armée qui a pris vaillamment ses responsabilités pour assurer la continuité de l’État, préserver l’intégrité territoriale, raffermir l’unité nationale et garantir la paix, la sécurité et la souveraineté du pays gravement mises en péril. […] Sauvé de justesse par l’armée nationale tchadienne du vide institutionnel, de la guerre civile et de l’anarchie, le Tchad s’est fixé un grand rendez-vous avec une nouvelle ère, qui est la transition politique. »
Une vie dans les casernes
Mahamat Idriss Déby est un soldat accompli, qui a gravi tous les échelons au sein de l’armée nationale. Né le 4 avril 1984, il se frotte très tôt au métier des armes. Formé au Lycée militaire d’Aix-en-Provence et au Groupement des écoles militaires interarmées (Gemia), en France, il débute sa carrière comme conseiller, puis passe commandant et officie dans plusieurs groupements de la Garde présidentielle. Il sort du Gemia avec le grade de colonel, avant d’être successivement promu chef de bataillon, lieutenant-colonel, puis général de brigade. En 2015 il est nommé général de division, à 31 ans seulement. Mahamat Idriss Déby devient alors l’une des références du dispositif sécuritaire tchadien. Rompu aux opérations militaires spéciales, il se fait connaître lors de l’éclatement de la crise malienne de 2013 aux côtés de la force française Serval. Il conduit les troupes dans le massif de l’Adrar des Ifoghas, en tant que commandant en second des Forces armées tchadiennes en intervention au Mali (Fatim).
Sa bravoure lui vaut d’être porté à la tête du CMT comme remplaçant légitime du Maréchal Idriss Déby, dans un contexte sécuritaire marqué par la résurgence de la menace terroriste au Sahel, un Soudan en crise permanente et un groupe paramilitaire Wagner aux frontières de la Centrafrique et de la Libye, pays avec lesquels le Tchad partage plus de 1 000 km de frontières terrestres. Dans un entretien exclusif accordé à France 24, Mahamat Déby revient sur la lourde responsabilité qui lui incombe à la tête du pays : « Le Conseil militaire de Transition que je préside a pris des engagements devant le peuple et devant Dieu. Notre mission première, c’est d’assurer la continuité de l’État, sécuriser notre pays, préserver l’unité nationale, organiser un dialogue national inclusif qui va réunir toutes les filles et fils du Tchad pour discuter de l’avenir de notre pays. Ensuite, l’adoption d’une nouvelle constitution. Et pour finir, des élections libres, démocratiques et crédibles. En tenant compte de notre feuille de route, nous sommes sur le bon timing. […] On a mis en place un comité qui est dirigé par le Président Goukouni Oueddei, on va le laisser faire le travail et on verra… »
Dialogue de la dernière chance
Le 14 mars 2021 s’est ouvert à Doha, au Qatar, un premier round de négociations entre le Gouvernement tchadien et une quarantaine de mouvements politico-militaires. Menées sous l’égide du médiateur Ahmed Abdallah Ali Al-Mousnat, ces dernières devraient aboutir à la signature d’un accord de paix devant conduire à la tenue d’un grand dialogue national. Le projet d’accord a posé plusieurs conditions, au rang desquelles : l’instauration d’un cessez-le-feu général et immédiat, la libération de tous les prisonniers de guerre, politiques et d’opinion, le désarmement, la démobilisation et la réinsertion des combattants, et la création d’une commission vérité, justice et réconciliation. Mahamat Idriss Déby a finalement signé le 8 août 2022 un accord de paix avec les principales factions rebelles du pays. Le FACT, à l’origine du décès du Maréchal, et la coalition de l’opposition Wakit Tama ont claqué la porte. Plusieurs gestes d’apaisement ont permis le retour au pays d’anciens chefs de guerre tels que Timan Erdimi et Mahamat Nouri.
Les assises du Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) se sont déroulées du 20 août au 8 octobre 2022 dans l’enceinte du Palais du 15-Janvier. Ce rendez-vous historique, qui a vu la participation de quelque 1 400 délégués issus des différentes corporations, a permis de « poser les jalons d’un Tchad nouveau », devant conduire à une paix durable et une réconciliation sincère entre les différentes composantes sociologiques du pays. « Étant donné le caractère souverain du dialogue et le caractère exécutoire de ses recommandations et résolutions, la plénière a pris plusieurs décisions, dont l’adoption de la Charte de Transition révisée, la dissolution du Conseil militaire de Transition (le Président du CMT est maintenu avec ses prérogatives, mais il prend désormais le titre de Président de Transition), la prorogation de la Transition pour 24 mois et le réaménagement et l’élargissement du Conseil national de Transition aux différentes couches de la société en augmentant le nombre des conseillers nationaux de 93 à 187 », peut-on retenir de la déclaration finale de la fin des travaux.
L’Assemblée constitutive du DNIS a de ce fait été mise en place en vue de conduire les réformes institutionnelles et établir une nouvelle constitution. Réitérant l’engagement pris dans le cadre de l’accord de paix signé à Doha, Mahamat Déby a désigné l’ancien opposant Saleh Kebzabo au poste de Premier ministre de Transition. Il a salué ces assises qui ont permis de sortir du « scénario de l’horreur » en ouvrant la voie d’un retour à l’ordre constitutionnel. La tenue de ce dialogue a notamment reçu le soutien de chefs d’État tels qu’Umaro Sissoco Embalo de la Cedeao, Félix Tshisekedi de la CEEAC et Macky Sall de l’Union africaine. Au terme de la période de transition, le nouveau Président de Transition, en la personne de Mahamat Idriss Déby, aura la latitude, s’il le souhaite, de se présenter à l’élection démocratique, libre et transparente de 2024. Une mesure mal perçue par une bonne frange de l’opposition.
Réussir la transition
Les manifestations menées le 20 octobre dernier par le mouvement Les Transformateurs de Succès Masra sont venues raviver le spectre des 30 années de guerre civile qu’a connues le pays entre 1960 et 1990. Succès Masra avait notamment appelé à manifester contre la prorogation de 2 ans de la période de transition, accusant Mahamat Déby de vouloir se maintenir au pouvoir. Dans un communiqué télévisé du 24 octobre, le Chef de l’État a fait état d’une insurrection minutieusement planifiée de l’étranger, avec le soutien de puissances étrangères afin de semer le chaos dans le pays. Il a notamment accusé les manifestants d’avoir tué des civils et des membres des forces de l’ordre, avec la volonté manifeste de déclencher une guerre civile. Un deuil national de 7 jours a été décrété pour la cinquantaine de victimes civiles et policières. Une enquête a par la suite été ouverte afin d’établir les responsabilités.
Ces évènements se déroulent au moment où le tchadien Moussa Faki Mahamat, président de la Commission de l’Union africaine, s’engage dans un bras de fer avec le pouvoir de N’Djamena. Dans un rapport présenté le 11 novembre 2022 lors de la 1121e session du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, Moussa Faki Mahamat recommande en effet de suspendre le Tchad des instances de l’institution pour non respect des engagements pris, en cohérence avec les autres cas de changements anticonstitutionnels de gouvernements au Mali, au Soudan, en Guinée Conakry et au Burkina Faso. Il dénonce notamment une répression sanglante et demande que l’UA « condamne fermement les meurtres, la torture, l’arrestation et les emprisonnements arbitraires de centaines de civils ». Lors de son discours d’ouverture du Dialogue national, Moussa Faki Mahamat avait lancé quelques flèches en direction du pouvoir en place, l’accusant de vendre des « illusions et des chimères de lendemains meilleurs ». Beaucoup y ont perçu une volonté manifeste de se positionner pour le scrutin présidentiel de 2024.
La communauté internationale quant à elle observe silencieusement la situation. Au lendemain du DNIS, la classe politique tchadienne est plus que jamais divisée et ses principaux acteurs inconciliables. Trente ans après la Conférence nationale souveraine de 1993, le Tchad serait-il revenu à la case départ ? Il appartient aux autorités du pays de tirer les leçons des années de crises et enterrer la hache de guerre afin de se tourner résolument vers une véritable réconciliation nationale. Le scrutin présidentiel de 2024 sera peut-être l’occasion de capitaliser les recommandations du Dialogue national et amorcer le chemin vers un Tchad débarrassé de ses vieux démons.
L’aéroport international Maréchal-Idriss-Déby-Itno
Mahamat Idriss Déby Itno a procédé le 28 décembre 2022 à l’inauguration officielle du nouvel aéroport du pays, baptisé Aéroport international Maréchal-Idriss-Déby-Itno, situé dans la ville d’Amdjarass. Son nom rend hommage à l’ancien Président tchadien, tombé sur le champ d’honneur après 30 ans passés à la tête du pays. Selon l’actuel Chef de l’État, ce nouvel aéroport « permettra désormais au Tchad de renforcer son réseau de transport aérien. Doter le Tchad d’infrastructures de transport fiables et efficaces figure en bonne place des priorités du Gouvernement de Transition. » Bâti selon les normes et standards internationaux, ce nouvel aéroport est le deuxième du pays, après l’aéroport international Hassan-Djamous de N’Djamena.