En dépit des efforts fournis ces dernières décennies — notamment en termes d’infrastructures — pour dynamiser le secteur manufacturier, l’Afrique continue de se désindustrialiser. Y remédier est un enjeu majeur pour le continent, en particulier afin d’absorber les millions de jeunes qui arriveront sur le marché de l’emploi ces prochaines années. Si le bilan global de l’industrialisation est insatisfaisant, plusieurs indicateurs laissent entrevoir des jours meilleurs. Certains secteurs sont en plein essor et des pays ont prouvé qu’un futur industriel était possible, notamment grâce au récent lancement de la Zlecaf.
Par Clément Airault
« Comme l’Europe au XIXe siècle, l’Asie au XXe siècle, l’Afrique s’engagera-t-elle sur la voie de l’industrialisation au cours du XXIe siècle ? », s’interrogent les universitaires marocains Mihoub Mezouaghi et Karim El Aynaoui dans le numéro 266 d’Afrique contemporaine. On le sait, industrialisation et développement vont de pair. Au fil de l’histoire, rares sont les pays à être parvenus à enclencher une dynamique de développement sans avoir au préalable réussi à implanter sur leur territoire une solide base manufacturière.
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L’Afrique oubliée
Sur le continent européen, l’industrialisation relève avant tout d’une révolution culturelle profonde. Par ailleurs, « le libre-échange, la financiarisation des économies, la baisse des coûts de transport, et plus globalement la formation du capitalisme, ont été des catalyseurs de l’essor de la production industrielle en Europe », estiment Mihoub Mezouaghi et Karim El Aynaoui. Des forces culturelles, économiques et financières ont également contribué à l’industrialisation de l’Asie. Une division internationale du travail, structurée autour de chaînes de valeur, s’est alors mise en place et a entraîné l’ensemble des continents, à l’exception de l’Afrique…
À partir des années 1960, à la suite des indépendances, l’industrialisation de l’Afrique semble s’engager sous l’impulsion de politiques volontaristes de substitution aux importations, à l’image de celle initiée au cours des années 1980 par l’icône burkinabè Thomas Sankara. Ce dernier déclarait le 3 avril 1987, dans un discours resté célèbre, que « dans tous les villages du Burkina Faso, l’on sait cultiver le coton. Dans tous les villages du Burkina Faso, des femmes savent filer le coton, des hommes savent tisser ce fil en pagnes, et d’autres hommes savent coudre ces pagnes en vêtements. » Sa politique repose alors, comme dans de nombreux autres jeunes pays, sur la protection commerciale d’entreprises publiques en situation de monopole.
Mais avant la fin de cette décennie, l’industrialisation décline dans un contexte de dérèglement des économies (crise de la dette publique, creusement des déficits extérieurs, hausse du chômage). Les plans d’ajustement structurel inadaptés et l’exposition à la concurrence internationale conduisent à une érosion de la base manufacturière, à laquelle s’ajoute l’effondrement des cours des matières premières. L’Afrique en ressort appauvrie. Et elle n’a cessé de se désindustrialiser depuis.
Retrouver l’espoir
Au début des années 1990 le magazine The Economist dépeignait l’Afrique comme un « continent sans espoir ». Il est vrai que les efforts engagés pour développer le secteur industriel avaient été infructueux, à l’image de la première Décennie du développement industriel de l’Afrique (DDIA), lancée en 1980 par des organisations régionales avec l’appui de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi). Le manque de financement est l’une des causes principales de cet échec. Lors de la deuxième Décennie (DDIA II), on a compté parmi les avancées la baisse générale des prix des produits de base, et une plus forte participation de la société civile et du secteur privé. Mais les progrès sont restés négligeables. Les pays africains ne sont entrés dans l’ordre économique global qu’en devenant « un comptoir de matières premières ». Et dans leur grande majorité, ces dernières étaient peu ou pas transformées avant d’être exportées. « La base industrielle est trop étroite et peu articulée à travers des liens en amont comme en aval pour permettre une intégration intersectorielle des filières industrielles et agricoles », selon Mihoub Mezouaghi et Karim El Aynaoui.
Après une certaine période de latence, lors de laquelle l’industrialisation du continent est passée au second plan, les années 2000 ont marqué le début d’une nouvelle impulsion. Les responsables de l’élaboration des politiques et les pouvoirs publics ont fini par s’engager sur la question. Mais il faudra attendre juillet 2016 et l’adoption d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies pour que soit initiée la troisième Décennie (DDIA III). Désormais, l’industrialisation apparaît prioritaire à la plupart des pays africains, qui fondent aujourd’hui leurs politiques sur de nouveaux modèles d’entreprise et une dynamique d’innovation.
Ces dernières années l’Onudi a pris une nouvelle ampleur, passant de « deux programmes de partenariat pays en Afrique en 2015 à huit actuellement, avec un niveau de participation et de financement accru ». Sous l’effet des différentes politiques incitatives, la production industrielle et la valeur ajoutée augmentent dans tous les pays (à l’exception de l’Angola, de l’Éthiopie, du Nigéria et de la Tanzanie). Nombreux sont les États à avoir obtenu des avancées importantes dans la stimulation des secteurs manufacturier et agro‑industriel.
Néanmoins, si les progrès sont indéniables, on constate un essoufflement de la croissance du PIB depuis 2017, et la diversification est encore insuffisante pour étayer un véritable essor industriel.
La région du globe la moins industrialisée
L’universitaire et ancien ambassadeur Pierre Jacquemot a mis en perspective les déterminants de la marginalisation des économies africaines de l’industrie mondiale. Selon lui, leur inadaptation aux exigences d’intégration aux chaînes de valeur reste un problème structurel. La part de l’Afrique dans l’activité manufacturière globale est passée de 3 % en 1970 à moins de 2 % en 2016, selon la Cnuced. La part de la valeur ajoutée dans le PIB stagne depuis 10 ans. En 2018, année la plus récente pour laquelle on dispose de données, cette part était de 10,5 %, contre plus de 16 % au début des années 1980. La part de l’industrie manufacturière dans le PIB a baissé, passant en Afrique subsaharienne de 13 % en 2000 à 10 % en 2017, et en Afrique du Nord de 28 % à 20 % sur la même période. L’emploi n’est plus créé dans le secteur manufacturier, qui ne représente en moyenne que 6 % de la masse totale. L’Afrique, en tant que continent, se désindustrialise.
Environ 80 % des produits manufacturés africains sont consommés sur place ou échangés sur les marchés intra-africains. Et la plupart des exportations africaines sont des produits de base non transformés : le continent n’ajoute de la valeur qu’à 14 % de ses exportations, contre 27 % pour les économies émergentes d’Asie. C’est sur ce point que les efforts doivent aujourd’hui se concentrer. L’industrialisation et la transformation de ses richesses naturelles doit constituer pour l’Afrique une occasion de peser sur l’économie mondiale, mais aussi d’être moins vulnérable face aux fluctuations des cours mondiaux.
L’impact de la pandémie de Covid-19, qui a bouleversé les équilibres du commerce international et créé un choc de l’offre et de la demande sans précédent à l’échelle planétaire, a illustré de manière concrète le type de menaces planant sur des économies qui reposent trop sur des fournisseurs et des acheteurs externes. La survenue du conflit entre l’Ukraine et la Russie, qui a provoqué une hausse soudaine des prix de l’énergie et des autres matières premières, perturbant à nouveau les chaînes d’approvisionnement mondiales, a encore davantage exacerbé la vulnérabilité du continent, avant qu’il ait eu le temps de se rétablir de la crise de la Covid-19.
Face à cette situation, et dans le contexte plus large du changement climatique qui pousse les pays du continent à renforcer leur capacité de résilience, un consensus émerge selon lequel les gouvernements africains doivent promouvoir plus activement le développement industriel, non seulement en créant des conditions favorables à l’industrialisation — équipement en infrastructures, qualification de la main-d’œuvre et amélioration du climat d’investissement — mais aussi en identifiant et en soutenant les industries naissantes. Un certain nombre d’États se sont engagés dans cette voie ces dernières années. Les enjeux dépassent largement les seules questions économiques.
L’informel tronque les chiffres
C’est l’une des spécificités de l’Afrique. Alors que l’entrepreneuriat est florissant dans beaucoup de pays, il n’est pas pris en compte dans les statistiques sur l’industrialisation. En effet, nombre de PME-PMI pratiquent leur activité de manière informelle. Si ce ne sont pas des industries à proprement parler, elles contribuent néanmoins à la croissance des pays, à l’augmentation de la consommation et à l’émergence d’une classe moyenne. Le travail au noir participe à plus de 70 % à l’emploi total des pays émergents et en développement. En Afrique subsaharienne, l’économie souterraine représente 36 % du PIB. Selon la Banque mondiale, elle compromet la croissance des États et accentue la pauvreté.
Entre 1990 et 2018, la part du secteur informel dans le PIB avait chuté d’environ sept points pour s’établir à 32 %. Mais depuis cette date, le travail au noir est reparti à la hausse. Dans un rapport publié en 2021 (« The Long Shadow of Informality: Challenges and Policies »), la Banque mondiale recommande aux États africains d’améliorer l’accès à l’éducation, aux marchés et au financement « afin que les travailleurs et les entreprises du secteur informel deviennent suffisamment productifs » pour ne pas avoir recours au travail au noir. Il convient également, selon ce même rapport, d’améliorer le climat des affaires et la règlementation fiscale. Le coût du travail légal s’en verrait réduit.
D’une manière générale, il faut intégrer l’économie souterraine dans l’analyse et les décisions politiques, ce que font la plupart des États africains, avec plus ou moins de difficulté.
Zlecaf : un booster pour l’industrialisation du continent
La Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), entrée en vigueur en janvier 2021, représente un immense espace commercial à même de relancer l’industrialisation du continent.
Alors qu’on observe une tendance croissante à la régionalisation des marchés, à l’image du Partenariat économique régional global (PERG) signé en Asie en novembre 2020, la question de l’industrialisation des économies africaines doit être posée dans une perspective globale, et continentale.
La Zlecaf représente un PIB de 2 500 milliards de dollars. La part du commerce régional intra-africain (17 % des exportations) est nettement inférieure à celle inter-européenne (67 %) ou inter-asiatique (60 %), mais ces échanges concernent beaucoup plus les produits manufacturés en Afrique que dans d’autres régions du monde : le commerce intra-africain comprend 61 % de produits transformés ou semi-transformés, ce qui augure d’avantages potentiels importants du commerce régional pour une croissance transformatrice et inclusive, selon les analystes.
En novembre 2022, une étude du Centre du commerce international (CCI) intitulée « Fabriqué par l’Afrique : créer de la valeur par l’intégration » estimait que le renforcement du commerce intra-continental « était crucial pour appuyer une valeur ajoutée accrue, la diversification des chaînes d’approvisionnement, le renforcement de la résilience aux crises, et l’industrialisation ».
L’industrie ne doit pas être un frein
Récemment, le Secrétaire général du secrétariat de la Zlecaf, Wamkele Mene, a identifié quatre facteurs qui limitent le commerce intra-africain : la fragmentation du marché, la petite taille des économies, le manque de capacités industrielles et la poursuite des exportations de produits primaires vers les marchés traditionnels des pays du Nord. « Tous ces facteurs sont étroitement liés et indiquent qu’il importe de promouvoir une politique industrielle plus active, parallèlement aux initiatives en matière commerciale qui occupent une place centrale pour la Zlecaf ».
C’est un fait acté que les politiques industrielles les plus efficaces sont celles tournées vers le commerce et l’exportation. Mais surtout, la politique industrielle est l’instrument par excellence pour développer la capacité de production d’un pays en aidant le secteur privé à produire et à exporter des marchandises à valeur ajoutée plutôt que des produits primaires.
Le lancement de la Zlecaf ne peut résoudre l’ensemble des problèmes accumulés. Bien que la politique commerciale africaine au cours des trente dernières années ait généralement réussi à ouvrir les marchés et à réduire les obstacles transfrontières, elle n’est parvenue à remédier ni aux difficultés des petites économies ni à la fragmentation du marché, qui reste aujourd’hui un problème. Par ailleurs, les milieux d’affaires demeurent en grande partie fermés et méfiants vis-à-vis de cette zone de libre-échange.
Le 7 octobre dernier, l’Initiative de commerce guidé (Guided Trade Initiative [GTI]) de la Zlecaf a été lancée à Accra, au Ghana. Cette dernière vise à permettre des échanges commerciaux significatifs et à tester l’environnement opérationnel, institutionnel, juridique et de politique commerciale intra-régionale. « Les produits destinés à être échangés dans le cadre de cette initiative comprennent les carreaux de céramique, les piles, le thé, le café, les produits carnés transformés, l’amidon de maïs, le sucre, les pâtes, le sirop de glucose, les fruits secs et la fibre de sisal, entre autres, conformément à l’accent mis par la Zlecaf sur le développement de la chaîne de valeur », a précisé à l’occasion du lancement de la GTI Wamkele Mene. Ce type d’initiative ne peut qu’être bénéfique au secteur industriel.
Le saviez-vous ?
En juillet 1989, l’Organisation de l’unité africaine (OUA, ancêtre de l’Union africaine) a décidé de faire du 20 novembre la « Journée de l’industrialisation de l’Afrique ». En décembre de la même année, l’Assemblée générale des Nations unies suivait ses pas. Depuis, chaque année des évènements sont organisés à cette date pour sensibiliser les citoyens du monde à l’importance de l’industrialisation de l’Afrique, et aux défis auxquels le continent est confronté. Un sommet annuel est consacré au sujet. Le dernier, organisé en 2022 à Niamey (Niger), avait pour thème : « Industrialiser l’Afrique : renouveler les engagements en faveur d’une industrialisation et d’une diversification économique inclusives et durables ».
Les champions industriels de l’Afrique
Fin novembre 2022, la Banque africaine de développement (BAD) publiait, en partenariat avec l’Union africaine et l’Onudi, le premier Indice de l’industrialisation en Afrique (IIA). Selon celui-ci, sept pays africains concentrent plus de 65 % du PIB réel du continent : le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Égypte, l’Algérie, le Maroc, le Kenya et l’Éthiopie. Ces derniers comptent parmi les dix pays les plus industrialisés. L’Afrique du Nord est la région la plus industrialisée, suivie par l’Afrique australe. Les cinq pays ayant les indices les plus faibles sont la Sierra Leone, le Burundi, la Gambie, la Centrafrique et la Guinée-Bissau. Cet indice développé par la BAD, en dépit de sa complexité, fournit une évaluation à l’échelle nationale des progrès réalisés par États, « sur la base de 19 indicateurs clés qui couvrent les performances manufacturières, le capital, la main-d’œuvre, l’environnement des affaires, les infrastructures et la stabilité macroéconomique ».
Avec la croissance de la classe moyenne urbaine, de nombreux pays africains connaissent une forte augmentation de la demande intérieure de produits manufacturés. Selon les estimations, l’Afrique pourrait accroître leur production de 322 milliards de dollars d’ici 2025, simplement pour répondre à cette demande, qui concerne en particulier les aliments et les boissons transformés. Ces deux industries dominent à présent le secteur manufacturier au Nigéria, au Rwanda, au Kenya et en Éthiopie. Elles enregistrent également une forte croissance en Tanzanie, en Ouganda et en Zambie, compensant la régression des autres industries manufacturières face à la forte concurrence des exportateurs asiatiques.
La croissance de l’agro-industrie s’est révélée un important générateur d’emplois. Au Kenya par exemple, le secteur des fruits, légumes et fleurs coupées emploie environ 200 000 personnes dans les domaines de la culture, de la transformation et de la logistique, tout en engendrant plus d’un milliard de dollars de recettes d’exportation chaque année.
Il existe également un potentiel dans le secteur de l’habillement. D’ailleurs, la Tanzanie est le plus grand producteur de coton d’Afrique de l’Est. Mais la majeure partie de ce coton est exportée, alors même que les producteurs nationaux de vêtements importent du tissu. Le Gouvernement a tenté de remédier à ce problème par le biais de sa Stratégie de promotion des vêtements en coton 2016-2020, qui met l’accent sur l’intégration de la chaîne de valeur, la transformation nationale et la promotion de l’utilisation de textiles produits au niveau local.
Afrique du Sud
L’Afrique du Sud est restée très haut dans le classement IIA tout au long de la période 2010-2021. Elle est sans conteste la 1re puissance industrielle du continent. Néanmoins, le pays doit faire face à un chômage endémique touchant près de 35 % de la population, et à une inflation record que le Gouvernement s’est engagé à ramener à 5,1 % cette année, après le pic de 7,8 % enregistré en juillet 2022, le plus élevé depuis treize ans.
La base industrielle sud-africaine est large et diversifiée et génère 30 % du PIB. L’industrie minière, qui représente plus de 13 % du PIB, est incontournable. Grâce à un sous-sol riche en ressources minérales, l’Afrique du Sud demeure le 1er producteur mondial de minerais tels que l’or, le platine, le rhodium, le chrome, le manganèse et le vanadium. L’industrie automobile occupe également une place de choix et représente 6,5 % du PIB. Sept constructeurs automobiles sont implantés dans le pays, qui est le 1er producteur de pots catalytiques au monde. Par ailleurs, l’Afrique du Sud est le 25e producteur mondial de produits chimiques et raffine la plupart des produits bruts qu’elle importe. Le pays est aussi le 1er producteur mondial de carburants synthétiques.
L’industrie aéronautique sud-africaine dispose d’un savoir-faire reconnu dans la conception et la fabrication de produits à haute valeur ajoutée. Les deux acteurs majeurs de cette industrie sont Denel pour le secteur public et Aerosud pour le secteur privé. Des sociétés de niveau international interviennent également dans la sous-traitance pour les principaux constructeurs aéronautiques civils et militaires.
Maroc
Le Maroc est à la 2e place du classement des nations industrielles africaines réalisé par la BAD. Le royaume a l’une des économies manufacturières les plus solides du continent, enregistrant une amélioration constante de tous les segments mesurés par l’IIA depuis 2010. Il réalise désormais 21,2 % des exportations d’articles manufacturés en Afrique, devançant nettement ses concurrents directs comme la Tunisie et l’Égypte. Il est aussi le 3e exportateur de produits industriels du monde arabe, derrière les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite, pour une valeur de 19,9 milliards de dollars, d’après le Fonds monétaire arabe (FMA). Selon le Ministre de l’Industrie et du Commerce, Ryad Mezzour, ces bons chiffres sont dus au Plan d’accélération industrielle mis en place par le Maroc.
Le pays est devenu un acteur majeur de l’industrie automobile dans le monde, avec plus de 470 000 véhicules produits en 2022, grâce notamment à l’activation du Fonds Mohammed VI pour l’investissement. Concernant ce secteur, deux plateformes industrielles ont été créées, à Tanger et Kénitra, qui ont obtenu un statut de zone franche, une exonération totale de l’impôt sur les sociétés pendant 5 ans et un plafonnement à 8,75 % pour les 20 années suivantes. Cette mesure vise notamment à encourager les entreprises à investir dans la production de véhicules électriques, le Royaume entendant devenir l’un des principaux producteurs dans le monde d’ici 2030.
La dynamique industrielle chérifienne repose également sur le textile, dont les exportations ont dépassé 34 milliards de dirhams fin 2022. Le secteur est en pleine évolution, avec une croissance à deux chiffres par rapport à la même période en 2021 et même par rapport aux autres années pré-pandémiques, avec 1 600 entreprises et plus de 200 000 emplois.
Égypte
Le secteur industriel compte pour 20 % du PIB global et le volume des exportations industrielles a atteint environ 60 % de l’ensemble des exportations. Le secteur emploie près de 30 % de la main-d’œuvre globale, soit 2,5 millions de personnes, selon les autorités égyptiennes.
Le pays souffre énormément de la crise économique. La livre égyptienne a été divisée par deux depuis mars 2022, l’inflation a grimpé en décembre pour s’établir à 21,9 % et les prix des denrées alimentaires (pour beaucoup importées) ont augmenté de 37,9 %, selon les chiffres officiels. Si l’Égypte est une grande nation industrielle, son déficit commercial reste structurel et pèse sur sa croissance économique. En effet, elle est le 1er importateur de blé au monde, et sa production manufacturière et industrielle dépend à 40 % d’intrants importés.
Néanmoins, le pays ne manque pas d’atouts. Sa base industrielle, qui comprend 150 zones industrielles réparties sur l’ensemble des gouvernorats, est très diversifiée, et le secteur n’a cessé de se moderniser ces 20 dernières années, pour être plus concurrentiel. Avec la fabrication automobile, la sidérurgie, la production textile et l’industrie de la construction, le secteur secondaire représente 32 % du PIB (Banque mondiale, 2020). Les industries alimentaire, de l’automobile et du textile figurent parmi les plus dynamiques. Le textile est l’un des secteurs qui a l’avantage de fonctionner de manière intégrée et verticale, des fibres (coton local) jusqu’aux produits finis.
Tunisie
En Tunisie, l’industrie représente environ 28 % du PIB et emploie près de 33 % des salariés. Selon les chiffres officiels, le pays compte 4 809 entreprises de plus de dix employés, dont environ la moitié sont exportatrices. Depuis 2010, près de 1 000 entreprises industrielles ont fermé leurs portes. Ce déclin a touché l’ensemble du secteur secondaire, et notamment le textile et l’habillement ainsi que l’agroalimentaire, ses principaux employeurs.
La hausse de la valeur des importations du secteur industriel est également responsable du déficit de la balance commerciale, qui s’est aggravé durant l’année 2022 pour atteindre 9,9 milliards de dinars, contre 7,1 milliards en 2021, selon l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (APII).
La construction et la métallurgie ont été touchées par des fermetures. Mais avec la reprise de l’économie mondiale, les entreprises tunisiennes exportatrices retrouvent des couleurs, en ce début d’année 2023. Selon le dernier tableau de bord de l’industrie tunisienne publié par l’APII, le solde commercial du secteur pour janvier 2023 s’est amélioré de 78,6 % par rapport à la même période l’année précédente.
Maurice
Maurice est une importante place financière mondiale, et son économie a connu une incroyable croissance économique, en partie liée à la stabilité de sa situation politique. Le pays a diversifié son économie, qui reposait uniquement sur la culture de la canne à sucre. Grâce à la création de zones franches manufacturières (textile, industries légères, bijouterie…) au début des années 1970, le progrès économique constant a attiré des investissements importants, générateurs d’emplois.
Maurice est devenu un modèle d’industrialisation en Afrique et s’adapte aux questions d’avenir. Les entreprises du très dynamique secteur du textile s’engagent à atteindre la neutralité carbone d’ici à 2040. Il faut dire que le secteur manufacturier, qui représente 13 % du PIB du pays, est extrêmement gourmand en énergie, avec près d’un tiers de la consommation de l’île.
Santé : un secteur d’avenir pour le continent
Le continent comprend proportionnellement plus de pathologies et de malades qu’aucun autre sur la planète. Les dépenses de santé en Afrique pourraient atteindre 100 milliards de dollars d’ici à 2030, selon un rapport publié par le bureau d’études McKinsey. Pourtant, l’industrie pharmaceutique y reste très peu présente.
L’idée de développer une industrie de la santé en Afrique n’est pas nouvelle. En 2007, le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad) — aujourd’hui Agence de développement de l’Union africaine (AUDA-Nepad) — avait engagé un Plan de fabrication pharmaceutique pour l’Afrique, dont les premières mesures ne furent réellement prises qu’à partir de 2012, mais qui n’a pas eu les effets escomptés. Avec la pandémie de Covid-19, tout s’est accéléré. Les Nations unies estiment qu’elle a mis en évidence « l’insuffisance des capacités de l’Afrique à fabriquer et à fournir les médicaments essentiels et les Équipements de protection individuelle (EPI) nécessaires à enrayer la pandémie ». La crise sanitaire n’a fait que renforcer la pression politique sur le sujet, et depuis, les unités de production pharmaceutique ont essaimé sur le continent, même si l’Afrique ne représente à ce jour que 0,7 % d’un marché mondial pharmaceutique s’élevant à 1 106 milliards de dollars en 2019.
Une progression lente
Certains États africains — les plus industrialisés — tels l’Afrique du Sud, l’Égypte ou le Maroc, produisent des médicaments qui couvrent l’essentiel de leurs besoins. Mais à ce jour, plus de 80 % des produits pharmaceutiques et médicaux utilisés sur le continent sont importés, majoritairement de Chine ou d’Inde. Alors que l’Afrique abrite 17,2 % de la population mondiale (en 2020), elle ne représente que 3 % de la production pharmaceutique (375 fabricants dans 37 pays). Pour les entreprises du secteur, et pas uniquement celles de la « Big Pharma », le potentiel de développement est énorme, pour peu que les capacités de production suivent. La valeur de l’industrie pharmaceutique africaine a déjà été multipliée par cinq entre 2000 et 2018, où elle atteignait 53,2 milliards de dollars.
L’industrie africaine se développe vite, à l’image de l’ouverture fin mars 2022 à Bouskoura, au Maroc, de la première usine pharmaceutique entièrement digitalisée d’Afrique. Selon le groupe pharmaceutique marocain Pharma 5, cette « smart factory » va lui permettre de multiplier par cinq ses capacités de production de médicaments génériques. En août, le Burkina Faso inaugurait sa première usine de fabrication de médicaments génériques. Ce ne sont que deux exemples. Partout sur le continent, des unités de production ouvrent. Le marché africain croît plus rapidement que les autres. Selon le bureau d’études McKinsey, les dépenses de santé en Afrique pourraient atteindre 100 milliards de dollars d’ici à 2030.
À la suite de la crise de la Covid-19, l’Union africaine et le Sénégal ont souhaité gagner en autonomie dans la production de vaccins. L’objectif est d’assurer la production locale de 60 % des vaccins de routine administrés sur le continent d’ici à 2040. L’institut Pasteur de Dakar, qui produisait déjà un vaccin contre la fièvre jaune, a été choisi à cet effet. La plateforme aura une capacité annuelle de 300 millions de vaccins par an contre la Covid-19 et autres épidémies endémiques, et doit démarrer ses activités sous peu.
Trois grands secteurs porteurs pour l’industrie africaine
L’Afrique est un continent en plein essor, particulièrement prometteur pour les industriels. Parmi les secteurs à suivre, celui de l’agro-alimentaire est primordial, notamment pour atteindre l’objectif fixé par de nombreux États d’atteindre l’autosuffisance alimentaire à court terme. « On prête généralement peu d’attention à la chaîne de valeur qui achemine les denrées et les produits agricoles jusqu’au consommateur final dans le pays et à l’étranger. Cette négligence coûte très cher en termes de pertes considérables de valeur ajoutée et de possibilités d’emploi », estime la BAD.
Du fait de l’absence d’agro-industrie, les pays d’Afrique subsaharienne subissent d’énormes pertes après-récolte, atteignant, dans le cas des denrées périssables comme les fruits et les légumes, 35 à 50 % des productions réalisables totales, et entre 15 et 25 % en ce qui concerne les céréales. « Les agro-industries peuvent non seulement promouvoir l’industrialisation et l’emploi urbain, mais aussi briser le cercle de “l’écart de productivité” du développement, réduire les coûts des aliments et les incertitudes des approvisionnements, et améliorer le régime alimentaire », considère également la BAD.
Cela nécessite de planifier et de construire des projets agro-industriels régionaux d’envergure à forte intégration car tenant compte des spécificités agricoles locales. « Les interventions dans le domaine agro-alimentaire, en lien avec le secteur privé, devraient être accomplies pour favoriser la mise en place d’un environnement approprié au développement de l’industrie et permettre de créer des industries locales, en mesure de fournir des emplois et d’accroître les revenus. »
Autre secteur à suivre, celui de la sidérurgie, l’acier étant le matériau de la construction, de l’industrialisation et de la transition écologique. C’est d’autant plus nécessaire que l’Afrique ne pèse que 1 % de la production mondiale d’acier malgré ses énormes réserves en minéraux entrant dans la fabrication de cet alliage. Elle doit donc impérativement organiser des pôles sidérurgiques forts. C’est possible en Afrique australe, mais aussi dans le golfe de Guinée et au Maghreb. La dynamique souhaitée au travers de la Zlecaf serait d’aider à bâtir un secteur sidérurgique capable de soutenir de manière harmonisée les chantiers des infrastructures du continent.
Enfin, le troisième secteur en plein essor est celui du numérique. Selon l’Onudi, depuis 2018, on observe « une très forte augmentation de l’investissement dans les jeunes entreprises africaines, y compris des startups numériques ». La digitalisation de l’économie (notamment dans les industries de pointe), l’éclosion de nouvelles PME spécialisées et d’industries créatives sont au cœur des politiques publiques. Les secteurs de la banque, de l’agriculture, des transports, de la santé, des télécommunications ou encore de l’éducation sont en pleine mutation, par le biais de nouveaux usages tels que le mobile banking ou le développement du e-commerce. Le numérique constitue donc un enjeu de premier ordre, inscrit à l’Agenda 2063 de l’Union africaine. L’accélération de la transformation numérique doit « pénétrer l’ensemble des pans de l’économie afin de soutenir durablement la croissance des pays ».
Il ne faut pas négliger non plus un autre pan du numérique, celui de la fabrication des semi-conducteurs et des composants électroniques. Ce dernier est indispensable, pour des questions d’indépendance économique, notamment face à la Chine.
Le saviez-vous ?
Les ZES boostent l’industrie éthiopienne
L’Éthiopie compte parmi les pays ayant fait le choix de mettre en place des réseaux de parcs industriels et de Zones économiques spéciales (ZES). Ces investissements ont donné des résultats concluants. Entre 2010 et 2019, la valeur ajoutée manufacturière a été multipliée par quatre, pour atteindre près de 5 milliards de dollars. En Éthiopie, selon l’Onudi, quatre nouveaux parcs agro‑industriels ont vu le jour en 2020, et « plus de 600 millions de dollars ont été affectés par différents partenaires à l’accroissement des ressources gouvernementales ».
Industrialiser
Une nécessité impérieuse pour l’emploi
Selon les projections dévoilées en 2018 par les Nations unies, le continent africain représentera en 2100 près de 40 % de la population mondiale (contre 17 % aujourd’hui). Il faudra créer entre 10 et 12 millions d’emplois chaque année uniquement pour absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail. Ces prévisions laissent craindre le pire du point de vue humanitaire. L’industrialisation apparaît comme une réponse à cette urgence.
Le développement industriel nécessite des travailleurs mieux éduqués et plus qualifiés. Bien que l’Afrique ait accompli d’importants progrès en matière d’éducation de base pour tous, elle est en retard par rapport à d’autres régions du monde en ce qui concerne la qualité de son enseignement et l’accès à l’enseignement supérieur et à la formation professionnelle. D’ici 2030, seuls 52 % des Africains en âge de travailler auront achevé leurs études secondaires. Il existe un écart important entre les compétences acquises par la population active et les besoins du secteur manufacturier, les compétences numériques et techniques étant particulièrement rares. Cet écart s’accentuera à mesure que la technologie continuera de transformer les pratiques manufacturières.