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Les réseaux sociaux peuvent-il faire basculer les régimes politiques ?

Ces quinze dernières années, la plupart des grands mouvements populaires dans le monde se sont appuyés, pour se structurer et se propager, sur les réseaux socionumériques.

Par Stanislas Gaissudens

En juin 2009, les Iraniens descendent par milliers dans la rue pour dénoncer la réélection de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence de la République islamique d’Iran, qu’ils considèrent comme frauduleuse. Rapidement, les journalistes étrangers sont expulsés du territoire, puis les téléphones portables et de nombreux réseaux sociaux comme Facebook deviennent subitement inaccessibles. Le régime entend verrouiller l’information.

Seul Twitter, sur lequel la jeunesse iranienne exprime son mécontentement, reste actif et permet de relater ce qui se passe lors des manifestations. Le réseau devient une source d’information primordiale pour les médias du monde entier. « La révolution ne sera pas télévisée, elle sera twitterisée » devient un slogan sur Internet. L’occurrence « Iran election » représente alors jusqu’à 1 % du trafic total de Twitter. Les utilisateurs s’y échangent des liens vers des blogs, vidéos ou photos des manifestations, une communication souvent brute et sans filtre qui préfigure le modèle des mouvements de contestation à venir.

En avril 2010, Biz Stone, le directeur de la création de Twitter, déclare lors d’une conférence de presse : « Twitter, ce n’est pas le triomphe de la technologie. C’est le triomphe de l’humanité. » Selon certains, le réseau social — racheté le 14 avril 2022 par Elon Musk pour 43 milliards de dollars — contribuerait aux révolutions et aux luttes, et serait une arme capable de faire tomber les despotes. Mais au regard du bilan de la révolte iranienne, matée dans le sang, il serait impropre de parler de « révolution via Twitter », comme il a pu être dit.

Montée en puissance des réseaux

La place centrale des réseaux socionumériques dans les mouvements populaires devient incontestable en 2012, avec l’avènement des printemps arabes. S’il ne faut pas surestimer leur importance, il apparaît clair qu’ils ont alors joué un grand rôle, en tant qu’espace de liberté. En Égypte, en 2012, Facebook devient un outil de choix pour des milliers de jeunes, ainsi que pour les associations humanitaires et activistes des droits de l’homme. Le site n’est pas contrôlé par l’État et la plateforme devient « l’espace où les communications et les différences d’opinion sont le plus souvent exprimées et confrontées », estime David M. Faris dans son article « La révolte en réseau : le “printemps arabe” et les médias sociaux », publié la même année dans Politique étrangère.

L’usage politique des réseaux sociaux, alors une nouveauté, est aujourd’hui presque devenu la norme. Que ce soit au Chili, au Liban, en Irak, en Égypte, en Algérie, à Hong Kong, au Soudan, en Équateur, à Haïti, en Bolivie, au Vénézuéla, en Guinée, à Barcelone, ou en France avec les « gilets jaunes », les vagues de protestation et de révolte ou les conflits sociaux ont pour point commun l’emploi massif de ces réseaux. Ces derniers sont même parfois à l’origine de la contestation : en octobre 2019, au Liban, le déclencheur des manifestations est un projet de taxe sur la messagerie WhatsApp.

Dans son ouvrage Twitter & les gaz lacrymogènes, Zeynep Tufekci, spécialiste des technologies de l’information et de la communication, revient sur les forces et fragilités de « la contestation connectée ». Selon elle, l’un des principaux atouts du réseau social en tant qu’outil de rassemblement réside dans sa rapidité. En quelques jours, des individus qui n’ont d’autre lien que celui d’être connectés peuvent mettre en place des manifestations d’ampleur, actions qui auparavant prenait des années et « constituaient le point d’orgue de la contestation et non le point de départ ». Les mouvements nés sur Internet sont spontanés, sans organigramme hiérarchique, imprévisibles, ce qui représente leur force autant que leur faiblesse.

Les limites de la révolution numérique

Ce que Zeynep Tufekci appelle le « gel tactique » est l’impasse dans laquelle s’enferment des manifestants qui ne savent faire qu’une chose : afficher leur colère dans la rue. Ils n’arrivent pas à modifier leurs modes d’action, ni à traduire leur mobilisation en demandes concrètes ou en pression politique. Ceux qui y participent « ne portent aucune idéologie unificatrice, pas de projet politique concret ni de stratégie révolutionnaire ; en revanche, ils partagent une exigence de démocratie, justice, moralité et égalité ». Le mouvement des gilets jaunes, par exemple, via des procédures de vote sur Facebook, a refusé toute hiérarchisation. Mais « le rejet de toute représentation, qui a été sa force, [l’a] conduit […] à s’absenter des élections européennes, et à l’essoufflement », écrivait le politiste Rémi Lefebvre en 2019 dans La Vie des idées.

Dès lors, faut-il réellement s’inquiéter d’une menace des réseaux sociaux pour nos démocraties ? « À la fin de l’année 2010, après le musellement du “mouvement vert” en Iran et alors que la situation des droits de l’homme ne semblait guère s’améliorer en Égypte et en Chine, il était difficile de trouver le moindre exemple susceptible d’étayer la théorie du potentiel libérateur des médias sociaux. De fait, après quasiment une décennie d’activisme numérique, les blogueurs égyptiens n’avaient pas réussi à faire évoluer le régime », considère David M. Faris.

Par ailleurs, les contestations organisées sur les réseaux sociaux sont dépendantes des plateformes numériques propriétaires. Les géants du web peuvent choisir de censurer une publication qui ne respecterait pas « les standards de la communauté ». Le « signalement » peut devenir une nouvelle forme de censure, et bloquer l’expression libre d’opposants politiques ou contrevenant à la pensée dominante. Le chercheur Julien Nocetti, dans son article « Réseaux sociaux et révoltes sociétales — Les réseaux de la colère » (Ramses 2021), estime que si « ces dernières années ont vu éclore des mouvements populaires non structurés par des organisations politiques, et appuyés sur la communication numérique et les réseaux sociaux », cela témoigne d’une « certaine faiblesse politique ».

Museler les réseaux ?

Les gouvernements n’ignorent cependant pas l’impact des réseaux sociaux dans les contestations sociales. Ils les craignent. Lors des troubles en France ayant suivi la mort de Nahel, fin juin 2023, les émeutiers, souvent mineurs, parfois âgés de seulement 12 ou 13 ans, ont été « galvanisés par l’effet de groupe et par les réseaux sociaux », rappelait Le Monde le 4 juillet. Le Président Emmanuel Macron a d’ailleurs dénoncé leur rôle dans l’embrasement du pays, qui amène « une forme de mimétisme de la violence, ce qui conduit chez les plus jeunes à une forme de sortie du réel ».

Le Chef de l’État a appelé à la pleine coopération des réseaux sociaux avec les forces de l’ordre. « Des demandes seront aussi faites, partout où c’est utile et à chaque fois que c’est utile, pour obtenir l’identité de celles et ceux qui utilisent ces réseaux sociaux pour appeler au désordre ou pour exacerber la violence. » Début juillet, face à 220 maires de communes touchées par les émeutes, il a rappelé l’importance « d’avoir une réflexion sur l’usage des réseaux sociaux chez les plus jeunes. […] Sur les interdictions que l’on doit mettre », voire sur la possibilité de les réguler ou de les couper. « Quand ça devient un instrument de rassemblement ou pour essayer de tuer, c’est un vrai sujet », a-t-il ajouté, en référence aux comptes sur Twitter, Snapchat ou Telegram qui ont relayé des vidéos de violences urbaines. À l’heure actuelle, aucun texte de loi n’est officiellement en préparation.

Les réseaux ne sont pas toujours néfastes. Outre des appels à la violence, ils permettent aussi de contourner les mécanismes de censure et de contrôle des médias de masse à l’œuvre dans les régimes autoritaires. Les autorités chinoises l’ont bien compris, elles qui appliquent un contrôle strict des populations et craignent plus que tout cette sphère difficilement maîtrisable. Fin novembre 2022, les Chinois, excédés par la politique « zéro Covid », ont démontré leur propension à manifester et à défier le pouvoir en place. Dans les rues de Pékin, Shanghai ou encore Wuhan, la foule a répondu aux appels sur les réseaux sociaux, après un incendie mortel survenu à Urumqi, dans la capitale de la province du Xinjiang. Certains accusaient les restrictions sanitaires encore en place dans le cadre de la stratégie de lutte contre le Covid d’avoir bloqué le travail des secours.

Ce type de rébellion, qui s’est rapidement essoufflée, n’en reste pas moins une première sous l’ère Xi Jinping, et dénote le fait que ces réseaux sont la caisse de résonance principale du mécontentement social. Néanmoins, comme le rappelait Chloé Froissart, professeure de sciences politiques au Département d’études chinoises de l’Inalco, sur TV5 monde, « le mécontentement des internautes a très peu d’impact sur les prises de décisions de l’État-parti ».

Les États-Unis aussi suivent de très près les réseaux sociaux. Des documents obtenus par le magazine d’investigation The Intercept révélaient qu’un exercice militaire du Pentagone, appelé Programme conjoint stratégique terrestre aérien et maritime (JLASS 2018), proposait un scénario, se déroulant au milieu des années 2020, où la génération Z (née après 1996) décidait d’organiser une révolution à partir des réseaux sociaux, utilisant le « cybermonde pour lancer un appel à l’#anarchie ». Si les révoltes sans leader n’ont pour l’instant pas fait basculer de régimes ou de systèmes, elles peuvent sans aucun doute contribuer à les déstabiliser en profondeur.

Aller plus loin


Twitter & les gaz lacrymogènes — Forces et fragilités de la contestation connectée
Par Zeynep Tufekci – C&F Éditions – 430 p. – 29 €
Zeynep Tufekci est une chercheuse turco-américaine, professeure à l’université de Caroline du Nord. Elle fut d’abord programmeuse en informatique, avant de bifurquer vers les sciences sociales et de se spécialiser dans les rapports entre technologie et politique. Les mouvements sociaux à travers le monde utilisent massivement les technologies numériques, et Zeynep Tufekci a arpenté le monde au gré de ces manifestations durant la dernière décennie. Elle était présente sur la place Tahrir et en Tunisie lors des printemps arabes, à Istanbul pour la défense du parc Gezi, dans les rues de New York avec Occupy Wall Street, à Hong Kong lors du « mouvement des parapluies ». Elle y a observé les usages des téléphones mobiles et des médias sociaux et nous en propose un récit captivant.


Hong-Kong, cité déchue
Par Kwong-Shing Lau – Rue de l’Échiquier BD – 192 p. – 24,90 €
Dans son ouvrage paru en octobre 2021 en France, l’artiste hongkongais Kwong-Shing Lau témoigne d’une page importante de l’histoire de son pays, à savoir les manifestations prodémocratie de 2019 et leurs conséquences. Engagé en faveur de la liberté d’expression et des droits de l’homme, l’auteur s’est notamment fait connaître grâce à ses dessins politiques publiés sur son compte Instagram. Son œuvre montre l’importance des réseaux sociaux.

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