Les dirigeants des pays du continent américain se sont réunis pour la 9e fois à l’occasion du Sommet des Amériques, qui s’est déroulé du 8 au 10 juin 2022 à Los Angeles. Un évènement diplomatique symbolique au cours duquel les nations représentées et les discussions engagées ont permis de refléter l’entente entre les États de ce continent et leurs rapports avec le reste du monde.
Par Clarisse Laffarguette
Ce sommet très attendu, décalé d’une année à cause de la pandémie mondiale de la Covid-19, s’est achevé le 10 juin sur un bilan mitigé. En effet, il n’a pas rassemblé l’ensemble des pays du continent membres de l’Organisation des États américains (OEA). Cet évènement, qui se tient tous les trois ou quatre ans, placé sous la houlette des États-Unis depuis sa création en 1994 et sa première occurrence la même année à Miami, est fluctuant et inégal en termes de représentativité des pays présents ainsi que sur les sujets qui y sont abordés.
Ce contenu est réservé aux abonnés
Un patronage états-unien prégnant
L’OEA s’est à l’origine dotée de cette instance de réunion diplomatique dans une visée de libre-échange économique. Pourtant, être invité à ce rendez-vous officiel ne va pas de soi et l’intégration à ce sommet a beaucoup fluctué, selon diverses raisons, subjectives, politiques ou à cause d’intérêts plus terre à terre. Ces réserves sont dictées par le point de vue des États-Unis, qui arbitrent selon que les postulants sont des partenaires énergétiques et commerciaux essentiels, ou qu’ils respectent peu les droits humains ou ont une inclination économique vers la Russie ou la Chine. Le Sommet des Amériques est aussi le reflet d’une danse permanente entre des intérêts pragmatiques et des amitiés géopolitiques.
Cette 9e édition a connu de nombreux désistement de dernière minute, en protestation contre la décision de la Maison-Blanche de ne pas envoyer d’invitation à Cuba, au Nicaragua et au Vénézuéla. Pour explication, les États-Unis ont argué que leurs politiques étaient trop liberticides et pas suffisamment respectueuses des droits humains sur leurs sols. Andrés Manuel López Obrador, le Président du Mexique, pays dont la présence est jugée essentielle par Joe Biden, a refusé de se rendre à Los Angeles et s’est fait remplacer par son ministre des Affaires étrangères. Le Guatémala, le Honduras et les États des Caraïbes lui ont emboîté le pas, boycottant le Sommet. Ces absences sont un frein à la volonté des États-Unis de créer une meilleure entente continentale, et témoignent d’alliances différentes, comme par exemple le rapprochement économique avec la Chine.
Les intérêts de Joe Biden
Les objectifs de Washington sont divers dans la région et l’administration de Joe Biden se positionne pour tenter de contrer la Chine, qui tend à accroître son influence via de gros investissements financiers et de vastes projets d’infrastructures. La poursuite des intérêts initiaux communs du continent sont mis en avant pour rappeler l’histoire des différents pays face au reste du monde. Par exemple, la colonisation européenne en Amérique est rappelée pour définir un passé commun et établir une connivence face à l’influence de puissances autres que les États-Unis. L’idée de la cohérence territoriale chère au Président Biden se traduit par le fait qu’il faut resserrer les liens entre voisins qui connaissent des contraintes géographiques et géopolitiques communes. La question de l’immigration est vue sous le même prisme : les États-Unis parlent de « responsabilité commune » et d’entraide pour définir une politique continentale partagée sur cette question très sensible.
Malgré des desseins louables, cette doctrine un peu trop unilatérale ne fait pas l’unanimité dans la région. L’affirmation d’une idéologie libérale, très marquée aux États-Unis, est loin d‘être un modèle incontestable pour de nombreux gouvernements. Par ailleurs, les positionnements diplomatiques des pays du continent américain sur les récents évènements sanitaires et géopolitiques (Covid-19, guerre en Ukraine…) divergent. Dans ces conditions, parvenir à des accords contraignants semblait peu probable. Il était néanmoins essentiel pour Washington que ces discussions aient lieu, même dans des circonstances peu favorables.
L’immigration
La signature d’une feuille de route sur l’immigration à l’issue de la 9e édition du Sommet des Amériques a permis de conclure sur un but commun. Les flux migratoires du sud vers le nord sont en effet une préoccupation croissante, notamment pour les États-Unis, qui tenaient à ce que soit signé un engagement sur la gestion de cette question. Tous les pays présents, soit 20 sur les 35 de l’OEA, ont avalisé cet accord. Joe Biden a considéré que cela était une réussite car les États ayant d’importantes communautés migratoires ont apporté leur soutien.
Le défi de l’immigration sur le continent américain tient aux interactions des gouvernements de chaque pays. Le texte paraphé repose sur quatre piliers : la création de voies d’immigration légales pour les travailleurs étrangers, une aide aux communautés affectées qui accueillent les migrants, une gestion plus humaine des frontières, et une réponse coordonnée aux situations d’urgence. Cet accord est une première, même si sa signature n’est pas contraignante.
La gestion de l’immigration clandestine est un sujet brûlant, et toujours d’actualité sur tout le continent américain. Par exemple, depuis l’effondrement économique et politique du Vénézuéla, la Colombie est devenue une terre d’accueil des migrants en provenance de ce pays, ce qui crée de nouvelles guerres des gangs et des oppositions civiles et politiques exacerbées.
Des sujets majeurs non abordés
La Déclaration de Los Angeles, bien qu’amenée au terme des discussions et signée par l’ensemble des chefs ou représentants de gouvernement présents, est décevante dans la teneur des sujets qu’elle aborde. Elle définit certes une feuille de route sur la gestion de l’immigration clandestine en Amérique, mais elle omet de nombreux enjeux de société essentiels pour le continent, et pour l’ensemble de la planète. L’environnement, par exemple, ne faisait pas partie des sujets abordés lors du Sommet. Bien que Jair Bolsonaro ait redoublé de compliments après son entretien avec Joe Biden, il semble que les grandes décisions sur la gestion de l’Amazonie soient encore loin d’être prises.
De surcroît, si ces discussions ont permis au Président américain de planifier des entretiens bilatéraux avec ses homologues, les relations semblent tout de même distendues avec l’Amérique latine, et cela laisse penser à un déclin de l’influence des États-Unis sur cette partie du monde. En effet, la Chine y a beaucoup investi, et encore récemment, pendant la pandémie liée à la Covid-19. Quand les États-Unis tardaient à livrer des vaccins à ses voisins des Amériques, la Chine, elle, leur en envoyait. Tous ces éléments concourent à établir un bilan en demi-teinte de ce rendez-vous diplomatique continental.