Lors du conseil des ministres du 24 août 2022, Emmanuel Macron a estimé que nous vivions « la fin de l’abondance ». En ce début d’année 2023, le plus sec de l’histoire, la raréfaction de l’eau potable est devenue source d’inquiétude. Des mesures sont envisagées par le Gouvernement pour préserver cet or bleu.
Par Clément Airault
La France a connu à partir du 21 janvier 2023 une série de 32 jours sans pluie, « du jamais-vu tous mois confondus depuis le début des enregistrements en 1959 », selon Météo-France. Et si le mois de mai fut pluvieux, globalement la sécheresse ne semble plus devoir quitter le territoire. En effet, les sols qui se sont asséchés au cours de l’été 2022 manquent toujours d’eau, en dépit des précipitations de l’automne. Le niveau des rivières ne cesse de baisser. Dans la Vienne, leur débit estival a chuté de 20 % au cours des trois dernières décennies, et les prévisions ne sont pas réjouissantes. « En 2050, ce sont 30 à 40 % de débit en moins qui sont prévus, qui s’ajoutent à ces 20 % », expliquait en juillet 2022 Stéphane Loriot, directeur d’EPTB Vienne (Établissement public territorial du bassin de la Vienne), dans un entretien à La Nouvelle République. Mi-avril 2023, selon le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), le niveau des nappes phréatiques restait préoccupant, à 68 % des normales mensuelles (75 % en mars). « La situation des nappes s’est dégradée et est peu satisfaisante », précisait le Bulletin national de situation hydrologique du 13 mars.
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Dans l’ouest et le sud-est de la France, des arrêtés préfectoraux de restriction de consommation d’eau sont en vigueur depuis le début de l’année, une situation inédite, qui est source d’inquiétude pour l’été à venir. De plus, d’une manière générale, les ressources en eau potable tendent à s’amoindrir d’année en année.
Une denrée qui s’amenuise
Les raisons de la raréfaction de nos ressources en eau sont liées à de multiples facteurs, au premier rang desquels figure le réchauffement climatique. Ce dernier induit notamment en hiver des précipitations de plus en plus faibles, alors qu’elles sont indispensables pour renouveler les nappes phréatiques en profondeur. Les pluies de printemps sont plus fortement absorbées par la végétation. D’autre part, selon une étude parue en février 2022 dans la revue Nature Geoscience, l’accélération de la fonte des glaciers est une préoccupation majeure. L’hiver, l’eau est stockée sous forme de neige, qui est libérée ensuite au moment de la fonte, majoritairement en été. On estime le volume de ces glaces sur la planète à 140 000 km3 aujourd’hui, mais avec l’augmentation des températures ce volume devrait s’amenuiser, notamment sur les reliefs de basse altitude. Cette disparition progressive est inquiétante pour le futur de millions de personnes.
En France, 2022 fut une année désastreuse pour les glaciers des Alpes et des Pyrénées. À titre d’exemple, le glacier d’Argentière a baissé de 3,75 mètres équivalent eau, selon le CNRS. Depuis 1870, il a perdu près de 1 200 m. Le recul du front des glaciers est bel est bien visible. Les refuges installés à leur pied se trouvent aujourd’hui à distance de la glace.
Le niveau des nappes phréatiques s’est réduit de 14 % entre 1990 et 2001, puis entre 2002 et 2018, et selon le scénario évoqué par le Président Macron dans son discours au lac de Serre-Ponçon (Hautes-Alpes) le 30 mars dernier, il devrait encore baisser de manière drastique d’ici 2050, de même que le débit des rivières et des pluies d’été.
Dans l’Hexagone, la grande majorité de l’eau que nous utilisons (environ 82 %) est une eau « de surface ». Elle provient des fleuves, lacs et rivières, ce qui la rend facile à prélever et moins chère à traiter. Les prélèvements d’eau douce en France représentent environ 33,5 milliards de mètres cubes par an, soit 15 % de la pluie efficace (moyenne 2008-2018). L’agriculture est de loin la première activité utilisatrice d’eau, avec 57 % du total consommé (jusqu’à 80 % dans le bassin Adour-Garonne), devant la demande d’eau potable (26 %), les besoins pour le refroidissement des centrales électriques (12 %) et les usages industriels (5 %). Pour l’eau potable, les eaux souterraines sont privilégiées, car moins polluées. Néanmoins, la plupart des grandes agglomérations de France, dans lesquelles la consommation est importante, disposent de moyens de traitement des eaux de surface.
Au regard de sa raréfaction, il apparaît évident qu’il ne faut pas gaspiller la précieuse ressource. Des actes s’imposent, lorsque l’on sait qu’aujourd’hui, dans le pays, moins de 1 % de l’eau usée est retraitée pour être utilisée une seconde fois, et qu’aucun des modèles scientifiques prospectifs « ne nous dit que la situation va s’améliorer », comme l’a précisé le Président de la République.
Des actions qui tombent sous le sens
Le Plan eau présenté par le Chef de l’État était fortement attendu, moins d’un mois après les affrontements entre radicaux écologistes et forces de l’ordre autour de la méga-bassine de Sainte-Soline. Parmi les principales pistes envisagées par l’exécutif figurent la réutilisation des eaux usées et la surfacturation pour ceux qui consomment trop.
Dans le détail, Emmanuel Macron a annoncé souhaiter la généralisation en France d’une « tarification progressive et responsable » de l’eau. Cela signifie que « les premiers mètres cubes sont facturés à un prix modeste, proche du prix coûtant », puis, « au-delà d’un certain niveau, le prix du mètre cube sera plus élevé ». « Et c’est normal pour les consommations que j’appellerais de confort et pour inciter à la sobriété », a-t-il expliqué. Afin de réutiliser 10 % des eaux usées d’ici 2030, il a également décidé de « lancer 1 000 projets en 5 ans ». Cette eau recyclée représenterait selon lui « 3 500 bouteilles d’eau par Français et par an ».
La réutilisation de nos eaux usées est une chose, la résorption des fuites en est une autre. À ce jour, selon le Chef de l’État, « un litre d’eau sur cinq est perdu en raison des fuites », voire un litre sur deux dans certaines zones. « C’est une situation aberrante qu’on doit corriger en urgence », a-t-il estimé, jugeant que cela est « le fruit d’un sous-investissement historique ». Dès 2024, le Gouvernement veut mobiliser 180 millions d’euros par an pour résorber « en urgence » les fuites d’eau dans les points les plus sensibles.
Parmi les autres grands axes du plan gouvernemental pour économiser l’eau figure la volonté de sensibiliser les populations à leur consommation d’eau, de la même manière que cela a été fait l’hiver dernier sur l’électricité. Chaque Français utilise en moyenne 64 m3 d’eau par an, ce qui a représenté une consommation annuelle moyenne de 4,1 milliards de mètres cubes en France métropolitaine entre 2010 et 2018. La production d’eau potable, qui représente 21 % de la consommation, reste toutefois relativement stable, selon le ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Les autorités estiment que l’augmentation de la population est compensée par une diminution de la consommation de chacun. Si les individus, au regard des sécheresses récurrentes, ont peu à peu pris conscience de la situation et mis en place des « écogestes » (éviter de laisser couler l’eau, tempérer l’arrosage du jardin ou le lavage de la voiture en période de sécheresse, etc.), le Chef de l’État estime nécessaire la mise en place d’un « Écowatt » de l’eau, pour que « chaque Français, chaque agriculteur, chaque maire, chaque chef d’entreprise puisse connaître les gestes adaptés de manière très transparente et l’évolution de la situation ».
L’agriculture épargnée par les restrictions ?
« Cela marche bien quand tout le monde sait l’évolution de la situation, quand tout le monde est responsabilisé et quand on sait que les efforts sont partagés », a déclaré le Président Macron. Mais est-ce vraiment le cas ?
Le monde agricole est durement touché par la sécheresse. Selon le Chef de l’État, les pousses d’herbe ont au cours de l’année dernière baissé de 24 %, la production de maïs est la plus faible depuis 1990, et les rendements de céréales sont en forte baisse. Les agriculteurs sont les premiers consommateurs d’eau, et le ministère de la Transition énergétique leur conseille d’ailleurs d’optimiser leurs systèmes d’irrigation. Parmi d’autres mesures, il propose de mettre en place des tours d’irrigation, d’utiliser un matériel hydro-économe, voire d’opter pour des cultures moins consommatrices d’eau. Si les deux premiers points sont suivis d’effets, le maïs et le blé, cultures de rente par excellence, très gourmandes en eau, restent largement cultivées. C’est à cet effet que sont construites des méga-bassines.
Le Gouvernement l’a confirmé, par la voix du Ministre de l’Agriculture Marc Fesneau lors d’une allocution à l’occasion du congrès national du syndicat agricole FNSEA, à Angers, au moment même où le Chef de l’État présentait son Plan eau : « On ne redemande pas un effort supplémentaire (aux agriculteurs). » Néanmoins, une plus grande sobriété est nécessaire. Il a évoqué le fait qu’à l’avenir, « on aura sans doute besoin de plus de surfaces à irriguer », ce qui implique de consommer moins d’eau à l’hectare. Dans un avis intitulé « Comment favoriser une gestion durable de l’eau (quantité, qualité, partage) en France face aux changements climatiques », publié en avril, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) estimait qu’une stratégie de sobriété était indispensable face à la raréfaction de l’eau, et cela passe par des usages plus vertueux. Pour y parvenir, il a émis différentes préconisations, dont plusieurs concernent le secteur agricole. Le CESE appelle notamment à ce qu’il soit interdit de subventionner par des fonds publics « tout projet de création de méga-bassines », notamment celles alimentées par pompage dans la nappe phréatique, ce « qui perme[t] un accaparement de la ressource en eau et entraîne une dégradation de l’environnement, de la biodiversité, et un risque pour la santé humaine ».
Ces infrastructures cristallisent aujourd’hui les tensions. Au cours des années 1990, les autorités ont commencé à mettre en place d’importantes retenues d’eau, appelées méga-bassines, pour l’irrigation des cultures agricoles. L’eau destinée à les remplir est puisée dans les nappes phréatiques ou dans les cours d’eau durant l’hiver afin de pallier le manque en période de sécheresse. Ces dernières années, alors qu’avec le réchauffement climatique il apparaît désormais clairement que les nappes phréatiques vont mettre plus de temps à se remplir, et se rempliront de moins en moins, ces ouvrages sont pointés du doigt, d’autant qu’ils tendent à se multiplier, notamment dans la Vienne, en Vendée et dans les Deux-Sèvres. Plus d’une centaine de projets sont en cours, pour la plupart subventionnés par les pouvoirs publics puisque s’inscrivant dans le cadre d’un Projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE).
De l’avis des défenseurs de l’environnement, ces méga-bassines sont une aberration. Selon Greenpeace, elles « nécessitent des opérations de pompage [qui] accentuent la pression sur les ressources en eau, alors que les nappes phréatiques peinent à se reconstituer ». « C’est un contresens de créer des réservoirs d’eau en surface. L’eau récoltée dans les réservoirs, c’est de l’eau qui aurait dû se retrouver dans les sols ou dans les cours d’eau », estimait quant à lui Christian Amblard, spécialiste de l’eau et des systèmes hydrobiologiques, sur France Info, en septembre 2021, arguant que la perte quantitative de cette eau stockée en surface liée à l’évaporation pouvait être estimée « entre 20 et 60 % ». Les associations écologistes considèrent que la multiplication de ces ouvrages contribue à « maintenir coûte que coûte un modèle agro-industriel dévastateur » qui sert « avant tout les intérêts des acteurs agro-industriels, au détriment de solutions locales et paysannes ».
Les tensions sont donc vives entre agriculteurs et défenseurs de l’environnement. Le 25 mars, des militants, pour certains radicaux, venus de toute la France se sont rassemblés autour du site de la retenue d’eau contestée de Sainte-Soline dans les Deux-Sèvres. Ils entendaient interrompre le chantier de cette méga-bassine de 720 000 m3 d’eau. Les affrontements avec les forces de l’ordre présentes pour leur interdire le passage ont été extrêmement violents. On a dénombré 200 blessés chez les manifestants, dont 40 grièvement touchés, principalement par des éclats de grenades de désencerclement et des tirs de lanceurs de balles de défense ; 47 gendarmes ont quant à eux été blessés. Plus de 500 grenades ont été tirées en deux heures.
Les conflits liés à l’eau, et à son accaparement, n’en sont qu’à leurs prémices. Avec la raréfaction de la ressource, ils ne peuvent que s’accroître.