À la façon d’un virus silencieux, l’insécurité et la délinquance sont allées crescendo au cours des dernières années et ont pris des proportions inquiétantes, venant contaminer le quotidien de millions de Français. Face à ce problème, des réponses politiques adéquates tardent à arriver. État des lieux.
Par Philippe Gortych
S’il était encore de ce monde, le chanteur Charles Trenet ne fredonnerait peut-être plus aujourd’hui « douce France, cher pays de mon enfance », mais plutôt « pauvre France, cher pays de mon enfance ». Car dans la France des années 2020, l’insécurité et la délinquance font hélas quasi quotidiennement la une des titres de presse et des journaux télévisés. Parmi les évènements frappants des dernières semaines, on peut évoquer le cas de policiers tués en service par un chauffard à Villeneuve-d’Ascq, la disparition tragique d’une infirmière mortellement poignardée au CHU de Reims par un schizophrène, ou encore l’agression au couteau de jeunes enfants par un réfugié syrien dans un parc d’Annecy. Face à ce climat sécuritaire tendu, l’Hexagone a-t-il atteint un point de non-retour ?
Statistiques en hausse
Au vu des statistiques alarmantes en matière de prolifération d’actes de violence sur le territoire, Emmanuel Macron a utilisé le terme de « décivilisation ». En effet, en 2022 la quasi-totalité des indicateurs de la délinquance ont augmenté par rapport à l’année précédente : +8 % pour les homicides, +15 % pour les coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus, +11 % pour les violences sexuelles. De plus, en 2021 on avait noté un bond inédit de la cybercriminalité par rapport à 2020 : +37 % pour les cyberattaques et +139 % pour les piratages de comptes en ligne. Le thème de l’insécurité, qui est au cœur des débats politiques depuis une vingtaine d’années, figure plus que jamais comme une préoccupation majeure des Français.
Dans le pays, parmi toutes les formes de délinquance, celle qui est sans doute la plus préoccupante est la délinquance juvénile car elle représente le berceau de futurs actes délictueux. Les violences en milieu scolaire sont devenues au cours des dernières années un véritable problème de société. Selon un rapport de l’Ifop pour la Fondation Jean-Jaurès datant de 2021, un professeur sur deux a déjà été victime d’agression physique ou verbale au cours de sa carrière (dont 17 % au cours de l’année scolaire écoulée) de la part d’élèves ou de leurs parents. À ce sujet, on ne peut omettre de faire une référence particulière à Agnès Lassalle, professeure d’espagnol à Saint-Jean-de-Luz, poignardée à mort en plein cours par un élève de 16 ans en février dernier. Ce genre de faits atroces qui paraissaient invraisemblables il y a encore quelques années sont aujourd’hui tristement d’actualité.
Crise de l’autorité
Face à cette recrudescence de violence à l’école, les enseignants sont frappés par un désespoir grandissant du fait de la faillite de leur autorité. Mais ils n’ont pas les moyens de se substituer à la cellule familiale pour assurer l’éducation des élèves. En dehors du cercle scolaire, des mineurs commettent des délits de plus en plus violents, et ce de plus en plus tôt. Échappant aux règles de droit commun du fait de leur jeune âge et résidant parfois dans des zones de non-droit où les forces de l’ordre ont du mal à pénétrer, ces apprentis délinquants sont souvent en décrochage scolaire et associés à des trafics de drogue qui leur ouvrent les portes de l’argent facile.
S’ils ne sont pas remis dans le droit chemin à temps, quelle sera leur place en tant qu’adultes dans la société ? Sans un accompagnement et une répression efficaces de l’État, les petits voyous d’aujourd’hui seront les grands délinquants de demain, qui viendront surpeupler encore davantage les prisons.
Dans ces conditions, on peut se demander si une réouverture du débat sur la légalisation de certaines drogues ne serait pas un moyen efficace de couper l’herbe sous le pied des trafiquants et sortir les jeunes délinquants de l’impasse. Ou, à défaut, ne faudrait-il pas modifier la législation pour étendre le champ de responsabilité pénale aux mineurs ?
Ensauvagement de la société
La France est malheureusement aussi frappée par un sentiment d’insécurité galopant, perçu par les habitants des grandes comme des petites villes. Par exemple, 23 % des Parisiens avouent avoir peur d’être seuls le soir dehors, et 31 % trouvent angoissant le fait de prendre le métro. Désemparées devant la montée de la violence dans les rues, les villes multiplient les initiatives pour lutter contre le sentiment d’insécurité de leurs habitants. À Libourne, commune de Gironde de près de 25 000 habitants, le maire a misé cette année sur un projet d’installation de bornes d’appel d’urgence permettant de joindre un policier municipal à n’importe quel moment.
Néanmoins, on peut s’interroger sur la pertinence de ce genre de mesure pour combattre efficacement la délinquance. Car si les peines prononcées par la justice sont trop laxistes, ou si elles ne sont pas appliquées — dans une entrevue accordée au journal Le Point en 2022, Anthony Borré, premier adjoint au maire de Nice, faisait savoir que « face à l’insécurité, la législation est défaillante » —, les arrestations menées par les forces de l’ordre deviennent vaines.
Plus généralement, il faut observer que le sentiment d’impunité est croissant dans certaines franges de la population, notamment en matière de délinquance routière où gendarmes et policiers sont de plus en plus fréquemment témoins de scènes dignes de westerns. En 2022, une statistique du ministère de l’Intérieur révélait que les forces de l’ordre devaient faire face à un refus d’obtempérer toutes les 20 minutes ! Ces délits sont la traduction d’une certaine forme d’ensauvagement de la population et d’un refus de l’autorité publique. Un constat qui n’est pas sans rappeler les violences musclées qui ont eu lieu aux abords du Stade de France en mai 2022, à l’occasion de la finale de la Ligue des champions. Quand on sait que Paris organisera les Jeux olympiques d’été dans tout juste un an, on se rend compte que la France sera confrontée à un sacré défi sécuritaire pour accueillir cet évènement à portée planétaire.
Au fur et à mesure que les indicateurs de la délinquance et de l’insécurité se dégradent, c’est le malaise de la société française tout entière qui s’accentue. Sans réponses politiques concrètes et efficaces, les fondations du vivre-ensemble se fragiliseront toujours plus et conduiront le pays à se replier sur lui-même, ce qui reviendra à faire le jeu des extrêmes. Une des clés pour mener à bien ce combat passera sûrement par un meilleur encadrement des très jeunes délinquants afin de combattre efficacement le mal à la racine, avec l’autorité comme pilier principal.
