Le Ministre en charge des Entreprises et du Travail nous dévoile la stratégie catalane visant à renforcer le tissu industriel et à accélérer le développement économique sur le territoire, notamment par le biais de projets novateurs.
Propos recueillis par Alexandra Taieb
L’Essentiel des relations internationales : Monsieur le Ministre, pourquoi choisir de s’implanter en Catalogne plutôt qu’à Madrid ou dans d’autres régions espagnoles ?
Roger Torrent : Tout d’abord, parce qu’il existe un écosystème technologique très puissant. Barcelone, et la Catalogne dans son ensemble, est devenue un pôle technologique de niveau européen et mondial. Et, précisément pour cette raison, nous avons attiré des investissements, notamment au niveau industriel comme celui du groupe sud-coréen Iljin, ou PepsiCo qui a annoncé l’implantation de son hub technologique à Barcelone. Des investissements notables de Google ou Microsoft, ainsi que des divisions technologiques de sociétés pharmaceutiques, sont aussi à mentionner.
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Cette idée d’écosystème technologique se renforce de plus en plus à Barcelone et en Catalogne, et cela contribue à attirer les investissements étrangers non seulement au niveau technologique, mais aussi au niveau industriel. Aujourd’hui, la frontière entre l’industrie manufacturière et les nouvelles technologies est très floue. Évidemment, les projets industriels ont besoin de disposer de personnel qualifié, avec des profils technologiques, et c’est l’élément qui nous rend compétitifs et attractifs pour les investisseurs potentiels. En 2021, nous avons établi un record historique d’attraction en Catalogne avec 612 millions d’euros de projets d’investissements étrangers. Deux euros sur trois investis le sont dans des projets industriels. Cette dynamique s’observe au niveau du Gouvernement, à travers ACCIO, qui est l’agence de la compétitivité.
Quels sont les objectifs du Pacte national pour l’industrie (Pacto nacional para la industria) ?
Notre objectif est de faire qu’en 2030, la part de l’industrie représente 25 % du PIB de la Catalogne. Comme le reste de l’Europe, la Catalogne a perdu du poids industriel, et il faut relancer notre industrie, notamment dans des secteurs comme la chimie et l’automobile où nous sommes forts. Cette réindustrialisation permettra non seulement la croissance économique, mais aussi la génération d’emplois de qualité, bien rémunérés, à forte valeur ajoutée.
Pour atteindre notre objectif, notre Pacte national pour l’industrie liste plus d’une centaine d’actions spécifiques, avec leur équivalence budgétaire, et des indicateurs pour vérifier si elles évoluent correctement ou non. Nous sommes mis d’accord, concernant ce Pacte national pour l’industrie, avec les agents sociaux, les syndicats, les employeurs, mais aussi les universités, les syndicats, etc., afin d’identifier quels secteurs et quels processus nous voulons suivre pour réindustrialiser la Catalogne. Cela doit faire partie d’un consensus.
Quels sont les outils et moyens que vous mettez à la disposition des PME pour soutenir leur développement et leur compétitivité ?
Effectivement, 99,8 % du tissu entrepreneurial de la Catalogne sont des petites et moyennes entreprises. Et c’est un potentiel très intéressant. Même du point de vue de la culture d’entreprise, parce que cela génère une culture différente de celle des grandes entreprises. Mais évidemment, cela signifie que l’administration doit être consciente de cette réalité et adapter ses politiques et ses mesures d’aide à cette réalité.
Nous réalisons un accompagnement très spécifique, chirurgical, pour toutes ces entreprises, à travers ACCIO. Cette agence de compétitivité aide à l’internationalisation, c’est-à-dire qu’elle aide les PME à s’ouvrir sur des marchés à l’étranger. Nous avons également établi un record d’exportations en 2021. Donc nous sommes sur la bonne voie à cet égard.
ACCIO contribue aussi à attirer les investissements étrangers en Catalogne. Cela aide les PME, en générant des relations commerciales ou des projets liés à la structure commerciale préexistante en Catalogne. Par exemple, dans le domaine automobile, plus de 700 entreprises sous-traitantes travaillent autour des grands constructeurs, comme SEAT qui est l’entreprise la plus emblématique. Bon nombre d’entre elles sont des PME.
Le troisième élément est qu’ACCIO contribue également à la croissance de ces entreprises. Pour être compétitif sur un marché mondial, on a besoin de plus de puissance. Les PME travaillent à plus de projets partagés, pour se présenter par exemple à des concours ou projets internationaux de manière unifiée. Cela permet de changer d’échelle. On ne parle pas nécessairement de fusions ou d’intégrations d’entreprises, mais plus de dynamique collaborative. Et pour nous, c’est une priorité.
Vous avez récemment déclaré que la Catalogne allait devenir une des régions clés en Europe pour l’hydrogène vert. Quelles sont vos ambitions à ce sujet ?
Il y a quelques années, personne ne parlait d’hydrogène vert. Aujourd’hui, il fait partie de tous les discours politiques.
Dans le paradigme actuel, nous avons les ingrédients nécessaires pour être un producteur d’énergie. Nous avons la capacité de générer de l’énergie à partir du soleil, nous avons l’eau nécessaire pour générer de l’hydrogène, et nous sommes également stratégiquement positionnés pour exporter cet hydrogène au niveau européen.
Ce que nous proposons également aujourd’hui, c’est un débat à l’échelle européenne sur les infrastructures de transport concernant cet hydrogène. Pour nous, le Midcat (Midi-Catalogne, pipeline devant relier les réseaux gaziers français et espagnol, ndlr) est très important. Comme toutes les économies au niveau européen, nous proposons des projets d’avenir, car il y a là un long chemin à parcourir. En ce moment, il est essentiel que nous nous positionnions pour être compétitifs dans les choix qui vont être faits dans les années à venir.
Pensez-vous que la Catalogne serait toujours aussi attractive pour les investisseurs si elle était indépendante ?
Certainement. Il faut reconnaître, que l’on soit indépendantiste ou pas, qu’il existe des nuisances à l’économie catalane. Des infrastructures physiques, qui sont encore importantes d’un point de vue logistique, du point de vue d’internet, de l’internationalisation de notre économie, sont déficitaires depuis des années. D’une part, des infrastructures très stratégiques pour nous, et pour l’Europe en général, comme le corridor méditerranéen par exemple, ne sont pas prévues et budgétisées ; d’autres sont prévues dans le budget, mais ne sont pas réalisées. Nous avons vu qu’en 2021, le degré d’exécution des budgets généraux de l’État en Catalogne était de 36 %, tandis qu’à Madrid il était de 181 % ! Dans d’autres communautés autonomes, comme La Rioja ou Castille, il y avait également des pourcentages d’exécution supérieurs à 100 %. S’il s’agissait d’une année isolée, cela pourrait être compréhensible, mais cela arrive année après année, exercice après exercice. La Catalogne compte des décennies de retard, dans les investissements, dans les infrastructures, qui sont cruciales pour notre économie.
Je me décris comme étant un indépendantiste avec un sens très pratique de son idéologie politique. Je veux dire que je suis indépendantiste parce que je suis convaincu que le fait d’avoir les outils dont dispose un État contribuerait à améliorer les conditions de vie matérielles des Catalans. Par exemple, avoir de meilleures infrastructures permettrait aux entreprises de mieux se développer, et donc de générer une prospérité partagée.