Situé au cœur de la ville, le port de Barcelone est le véritable poumon économique de la Catalogne. Son président nous expose ses grands axes de développement, et nous explique pourquoi son importance est majeure pour le pays.
Propos recueillis par Clément Airault
« 65 % de tout ce qui s’importe et s’exporte en Catalogne passe par le port de Barcelone. »
L’Essentiel des relations internationales : Quelle position occupe le port de Barcelone par rapport à ses concurrents européens ?
Damià Calvet : Barcelone est la principale porte d’entrée du sud de l’Europe, et entend consolider sa position. Mais cela exige différentes choses, et tout d’abord d’avoir des infrastructures adéquates, diversifiées, et de meilleures connexions des dites infrastructures avec le réseau de transports européen.
Actuellement, le port de Barcelone est le seul port d’Espagne qui soit relié à une ligne ferroviaire à écartement européen UIC (Union internationale des chemins de fer), depuis 2011, ce qui permet l’accès à des trains plus longs et plus rapides. Nous tirons un avantage de cette connexion mais nous devons encore améliorer certaines infrastructures.
Aujourd’hui, quelque 25 millions de conteneurs circulent entre l’Asie et l’Europe. La plupart entrent par le canal de Suez. Deux options sont possibles : l’une consiste à naviguer par Gibraltar jusqu’aux ports du nord de l’Europe, l’autre consiste à utiliser les ports du sud de l’Europe. Le secteur maritime va entrer dans le marché d’émissions de carbone de l’Union européenne, ce qui va entraîner des coûts plus élevés pour les compagnies. En ce sens, le port de Barcelone, avec ses infrastructures et ses capacités de connexion, va devenir — c’est notre but — la principale porte d’entrée sud de l’Europe.
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Quelle est l’importance de ce port dans l’économie nationale, et pour la Catalogne ?
Le port de Barcelone est le port n° 1 du système portuaire espagnol, en revenus et pour la valeur des marchandises transportées. Barcelone sert l’économie du pays en étant un port importateur et exportateur : 65 % de tout ce qui s’importe et s’exporte en Catalogne passe par lui, et cela représente 25 % des échanges de l’État espagnol. Si l’on considère que la Catalogne représente 16 % de la population et 19 % du PIB de l’Espagne, cela signifie que le port s’utilise au-delà de son propre poids économique comme infrastructure stratégique. Nous sommes également le principal port pour l’Aragon, La Rioja ou la Navarre. De plus, nous avons des positions physiques dans des terminaux ferroviaires situés dans le centre de la péninsule ibérique, à Madrid ou Burgos. Notre vision est d’être le principal port en taille, en diversification et en connectivité, pour servir plus que sa propre économie, celle de son hinterland.
Quels types de marchandises transitent par le port de Barcelone ?
Le port de Barcelone est très diversifié. Nous avons évidemment un trafic de conteneurs — 3 millions et demi de conteneurs, et pour la majorité import/export. Nous disposons de deux grands terminaux modernes : nous sommes en train d’en améliorer un, et d’agrandir l’autre. Nous traitons le trafic de vrac solide, essentiellement des céréales, du ciment, des ferrailles ; et aussi le trafic de vrac liquide, c’est-à-dire des produits chimiques, des hydrocarbures — en particulier du gaz naturel liquide. Le port de Barcelone est celui qui a la plus importante station de regazéification d’Europe. En ce moment, nous exportons du gaz naturel liquide vers des pays tiers, comme l’Italie, qui cherchent à réduire leur dépendance aux gazoducs de l’est. De nouveaux projets vont permettre de donner une position stratégique encore plus importante au port de Barcelone dans le contexte de la gestion des combustibles et de l’énergie au niveau européen.
Nous sommes le port leader en Méditerranée dans le commerce de véhicules, aussi bien en import qu’en export. Le port de Barcelone a également beaucoup de roll on / roll off avec les Baléares, qui s’approvisionnent pour moitié depuis les ports de Valence et de Barcelone pour les marchandises, et qui les utilisent également pour les mouvements de passagers. Des ferries desservent aussi le nord de l’Afrique et l’Italie, avec laquelle nous avons établi depuis de nombreuses années une autoroute de la mer.
Quelle est la place des croisières et de la plaisance dans le port ?
Le port de Barcelone est le port n° 1 en Méditerranée et en Europe pour le tourisme de croisières. Un quai est dédié aux bateaux de croisière, avec cinq terminaux, et deux de plus sont en construction. Nous traitons quelque 3 millions et demi de croisiéristes chaque année. Cela produit un fort impact sur l’économie et l’emploi. Le tourisme de croisière génère environ 1 milliard d’euros de facturation par an, et est à l’origine de 9 000 emplois directs. De plus, le port étant un port-base, les touristes commencent leur croisière et la terminent dans un hôtel de la ville. La dépense moyenne d’un croisiériste est de 230 euros par personne et par jour, ce qui est bien supérieur au touriste lambda à Barcelone.
D’autre part, Marina Barcelona 92 est un bassin à sec qui est une référence en Méditerranée, et même en Europe et dans le monde en ce qui concerne la réparation et l’entretien de yachts de grande taille. C’est un secteur à forte valeur ajoutée. Les marinas de Barcelone comptent 60 compagnies et 400 sous-traitants, qui emploient 1 000 personnes. Tous les corps de métier sont représentés, des décorateurs et tapissiers aux mécaniciens et experts en télécommunications qui se consacrent à la rénovation et à la maintenance. Barcelone est également un port très urbain grâce aux services liés à la plaisance. La marina Port Vell attire les superyachts, avec tout ce que cela suppose en dépenses pour les équipages.
Quels projets de développement portez-vous actuellement, dans le cadre du Plan stratégique 2021-2025 ?
Le Plan stratégique 2021-2025 inclut la nécessité de développer certaines infrastructures. Nous sommes en train de terminer le dock sud du port avec un nouveau terminal à conteneurs, nous augmentons les capacités pour le vrac liquide, et le projet qui est peut-être le plus important est d’améliorer la connectivité du port, ce qui signifie la création d’accès routiers et ferroviaires dédiés exclusivement au port, ainsi qu’un ensemble de terminaux ferroviaires. Ces infrastructures vont faire augmenter notre part ferroviaire à environ 15,5 %, alors que la moyenne est de 3 % en Espagne. Ce projet ambitieux, qui a en partie commencé, va coûter 600 millions d’euros sur les huit prochaines années.
Le Plan stratégique vise également à développer un écosystème d’innovation dans le secteur maritime et portuaire, pour orienter toute l’activité du port vers la décarbonisation. Il nous faut évidemment essayer de respecter notre engagement de réduction de 50 % en 2030 et de 100 % en 2050, mais en le faisant d’une manière accélérée, en entraînant tout le secteur logistique. Nous avons décidé de développer cet écosystème pour améliorer l’innovation au travers d’une fondation, d’espaces dédiés à l’innovation, ou d’autres projets complémentaires de transition énergétique du port, afin de nous préparer pour des combustibles futurs comme l’hydrogène.
Barcelone accueillera la prochaine Coupe de l’America en 2024. Quels atouts lui ont permis de remporter cette organisation ?
La Coupe de l’America est l’une des compétitions sportives les plus anciennes au monde, et elle est très importante en termes d’audience et d’impact économique.
Le vainqueur de la précédente édition décide où aura lieu la suivante. Nous avons appris qu’Emirates et la Nouvelle-Zélande s’intéressaient au port de Barcelone, et nous avons monté très rapidement un dossier de candidature. Il s’est révélé très séduisant pour les organisateurs parce qu’il joue à fond la carte de la connexion avec la ville. Notre port très urbain, le climat méditerranéen, la vitalité de la ville : tout cela a beaucoup plu et nous a permis de remporter l’organisation de l’édition 2024.