Le Kazakhstan est un pays jeune, mais d’une grande sagesse. Ces trois dernières décennies, il n’a cessé de s’engager pour la paix et la tolérance dans le monde, des vertus qui lui permettent de briller dans le concert des nations, et d’assurer l’essor de son économie.
Par Louis Dubois
Le Kazakhstan est le pivot de l’Eurasie, comme le disait le journaliste et écrivain français Pierre-Luc Séguillon dans son dernier livre. À ce titre, c’est un interlocuteur incontournable en Asie centrale, pour l’Europe (cf. notre article sur le sujet) comme pour l’Asie. « Nous souhaitons remplacer le “Grand Jeu” par le “Grand Gain” pour tous au cœur de l’Eurasie », déclarait le Président Kassym-Jomart Tokayev, le 4 novembre dernier, lors de sa rencontre annuelle avec le corps diplomatique étranger.
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Le Kazakhstan est fermement attaché aux valeurs de paix durable, de coopération et de confiance, et s’est fait le chantre du multilatéralisme, en particulier depuis 2010, lorsqu’il a présidé à Astana le sommet de l’OSCE, une première historique pour un pays de l’ex-URSS. Cet évènement, qui a débouché sur la déclaration d’Astana, représente une étape majeure dans la stratégie kazakhstanaise visant à faire briller et rayonner le pays sur la scène internationale.
Le pays souhaite maintenir et renforcer la confiance mutuelle qui prévaut avec ses partenaires. Ces dernières années, les processus de coopération politique et économique se sont intensifiés en Asie centrale. Ceci est dû au choix fait par le Kazakhstan de s’ouvrir à « une coopération mutuellement bénéfique avec tous les États et organisations intéressés », selon le Chef de l’État. Le pays a acquis une expertise dans l’équilibre diplomatique, sachant ménager chacun de ses interlocuteurs.
Des idées pragmatiques
Le Kazakhstan et la Russie entendent conserver à long terme « des relations interétatiques fiables et stables, fondées sur le respect de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de la non-ingérence dans les affaires intérieures de l’autre ». Les deux États possèdent en commun une riche histoire et plus de 7 500 km de frontière (soit la plus longue frontière terrestre continue du monde). Moscou est depuis toujours un partenaire majeur d’Astana, et représente près d’un quart du chiffre d’affaires total du commerce extérieur kazakhstanais. Les deux pays sont les principaux membres de l’Union économique eurasiatique (UEE, une zone de libre-échange regroupant l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et la Russie, instauré en 2015) et de l’Organisation du traité de sécurité collective (OTSC, fondée en 2002 pour lutter contre le terrorisme et l’extrémisme dans cette vaste partie du monde). La gestion commune du cosmodrome de Baïkonour, situé au Kazakhstan, est l’exemple le plus frappant des liens qui unissent les deux pays, et ce n’est pas un hasard si, début avril 2019, Kassym-Jomart Tokayev, en tant que Chef d’État nouvellement élu, a effectué sa première visite officielle à l’étranger à Moscou (tout comme il est dans la tradition des présidents français de se rendre en Allemagne peu après leur investiture).
Dans un contexte de turbulences géopolitiques sans précédent, liées à l’invasion russe en Ukraine, le Kazakhstan reste attaché à une politique étrangère multivectorielle et constructive, dont les principes, axés sur le pragmatisme et l’équilibre, restent inchangés.
La crise économique mondiale complexe, aggravée par la pandémie de Covid-19, puis par l’invasion de l’Ukraine, ont eu un impact majeur sur les activités de l’UEE. Les sanctions occidentales contre la Russie et la Biélorussie ont un impact négatif sur le commerce intérieur et extérieur de l’UEE. En février 2022, le Président de la République du Kazakhstan a présenté une initiative visant à créer un groupe de travail de haut niveau au sein de l’UEE, afin d’évaluer rapidement tous les risques possibles et d’élaborer des mesures économiques destinées à en atténuer les conséquences néfastes. Dans le cadre de la mise en œuvre de cette idée, une liste de mesures prioritaires visant à accroître la durabilité des économies des États membres a été approuvée en mars 2022.
Par ailleurs, la participation du Kazakhstan à l’OTSC permet au pays de renforcer son potentiel militaire, et de développer la coopération militaro-économique avec ses partenaires de l’Organisation. Progressivement, les capacités de lutte contre le terrorisme international, le trafic de drogue et la migration illégale au Kazakhstan se développent. Le pays est d’ailleurs à l’origine de la rédaction d’un code de conduite pour parvenir à la « destruction » du terrorisme d’ici à 2045, date du 100e anniversaire des Nations unies. Quatre-vingt-quatre pays se sont joints à lui.
Une vocation fédératrice
En tant que première économie d’Asie centrale, le Kazakhstan entend contribuer davantage au développement régional et mondial et à la création de ponts entre les continents, les cultures et les nations. Le pays a mis en place un partenariat proactif avec tous les membres de la communauté mondiale, y compris les États d’Asie du Sud-Est, le Moyen-Orient, l’Afrique et les Amériques.
À l’Est, le Kazakhstan est l’un des premiers pays concernés par le projet Belt and Road Initiative (BRI), initié par la Chine, qui lui est frontalière. Cette dernière, dont le tracé des nouvelles routes de la soie passe par Almaty, investit largement dans le rail et la route. Par ailleurs, le gazoduc Asie centrale – Chine, mis au point par la China National Petroleum Corporation (CNPC) et KazMunayGas, traverse le territoire kazakhstanais. Le Kazakhstan, véritable hub de transports, est un point de passage obligé de ces routes économiques.
Astana et Pékin ont signé, en 2015, un accord intergouvernemental prévoyant 55 projets d’investissement chinois pour un montant total de 27,5 milliards de dollars, dans différents secteurs, dont l’agriculture, l’énergie, la pétrochimie, la construction mécanique et les infrastructures. Lors de sa visite d’État en Chine, en septembre 2019, Kassym-Jomart Tokayev estimait que la coopération économique avec l’Empire céleste revêtait « un caractère stratégique ».
Le 14 septembre dernier, à l’occasion du 30e anniversaire de l’établissement des relations diplomatiques entre les deux pays, le Président chinois Xi Jinping a effectué une visite d’État au Kazakhstan. « Je suis certain que cette visite insufflera une nouvelle et forte impulsion dans le développement et la prospérité commune des deux pays », a-t-il alors déclaré. Les deux pays ont convenu de renforcer leur coopération dans le cadre des mécanismes multilatéraux que sont l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie (CICA) et « Chine + Cinq pays d’Asie ».
Si les relations bilatérales se renforcent à l’Est, elles sont également dynamiques à l’Ouest, notamment avec les pays frères turcophones. Le kazakh est une langue de famille turcique. Cette particularité est partagée avec les langues d’Azerbaïdjan, du Kirghizstan et de l’Ouzbékistan. Les quatre pays se regroupent avec la Turquie au sein d’une organisation internationale des États turcophones : le Conseil turcique, fondé en 2009 (aujourd’hui Organisation des États turciques [OET]). Ce dernier vise à promouvoir le développement entre les pays de langues turciques dans les domaines économique et culturel.
Ankara est un partenaire important pour Astana, sur le plan diplomatique mais aussi économique. Les entreprises turques ont investi dans la construction, la distribution alimentaire et les services sur le territoire kazakhstanais. La Turquie y est très présente dans l’enseignement, avec un réseau d’écoles de bon niveau et des universités, notamment l’université Suleyman Demirel à Almaty ou l’université internationale turco-kazakhe Khoja Akhmet Yassawi dans la ville de Turkestan. En mai dernier, lors d’une visite d’État à Ankara, le Président Kassym-Jomart Tokayev a signé avec son homologue turc une déclaration sur le partenariat stratégique élargi, afin de renforcer la coopération entre les deux pays.
Le Kazakhstan était présent lors de la 9e réunion au Sommet de l’OET, le 11 novembre 2022 à Samarcande (Ouzbékistan), et les dialogues de haut niveau, notamment sur la question russe, ont prouvé l’importance croissante de cette organisation dans les relations globales.
Avec le Moyen-Orient, le Kazakhstan poursuit ses efforts de coopération. À titre d’exemple, Kassym-Jomart Tokayev a effectué une visite à Djeddah (Arabie saoudite), fin juillet 2022. Le Chef de l’État kazakhstanais et le Prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, ont annoncé un renforcement de leurs relations économiques. Les secteurs d’investissement les plus prometteurs entre les deux pays concernent les domaines de la pétrochimie, des énergies renouvelables, du dessalement de l’eau, de l’exploitation minière et de la sécurité alimentaire, ainsi que les grands projets liés à la Vision 2030 du Royaume saoudien. Un Forum d’investissement saoudo-kazakhstanais aura prochainement lieu.
Le renforcement de la collaboration avec les organisations internationales et régionales reste une priorité diplomatique des autorités kazakhstanaises. Astana continue notamment de développer sa coopération multiforme avec l’ONU, organisation qui reste pour le Chef de l’État « un rempart du multilatéralisme indispensable à la paix, à la sécurité et à la prospérité de toutes les nations dans le monde ». Le pays a siégé au Conseil de sécurité des Nations unies en 2017-2018, et siège actuellement au Conseil des droits de l’homme des Nations unies et au Conseil économique et social des Nations unies (Ecosoc), jusqu’en 2024.
Depuis 30 ans, l’ONU a fortement contribué au développement du Kazakhstan, et ce dernier se sent aujourd’hui redevable. Il a proposé une initiative visant à établir le Centre des Nations unies pour les ODD pour l’Asie centrale et l’Afghanistan à Almaty. D’autre part, Kassym-Jomart Tokayev a proposé, en 2020, que soit créée une Agence internationale de sécurité biologique, sous égide onusienne.
Non-prolifération des armes nucléaires
S’il est un domaine dans lequel le Kazakhstan est reconnu pour son engagement, c’est celui de la défense du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Entre 1949 et 1989, sous l’époque soviétique, pas moins de 456 essais nucléaires ont été menés à ciel ouvert dans l’est du pays, sur le vaste polygone de Semipalatinsk. Bien que la zone soit faiblement peuplée, plusieurs centaines de milliers d’habitants, le bétail et la végétation ont été irradiés durant cette période. Le nucléaire fait donc partie de l’histoire du pays et tous les 29 août, depuis la fermeture en 1991 du site de Semipalatinsk (aujourd’hui Semeï), les Kazakhstanais commémorent ceux qui en ont été victimes.
En août 2016, Astana a accueilli la conférence internationale « Construire un monde sans armes nucléaires », qui traitait de la non-prolifération et du désarmement nucléaires, ainsi que de la protection physique des armes atomiques. Un an plus tard, l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) ouvrait au Kazakhstan une banque d’uranium faiblement enrichi pour contribuer à l’utilisation de l’énergie nucléaire à des fins pacifiques. Ce projet était soutenu à bout de bras par le Kazakhstan, depuis son lancement en 2006. Fin octobre 2019, le premier lot d’uranium faiblement enrichi a été livré par la compagnie française Orano (ex-Areva) à la banque d’uranium de l’AIEA. Les efforts engagés se sont révélés payants. Aujourd’hui, alors que l’on observe une « augmentation inquiétante des références à l’utilisation des armes nucléaires », il convient de « rappeler que l’énergie atomique est une réalisation exceptionnelle de l’humanité, qui doit être utilisée exclusivement pour le bénéfice pacifique de nos peuples, et non comme une arme destructrice », rappelait en novembre dernier le Président Tokayev.
L’importance de la tolérance religieuse
Parallèlement aux efforts politiques et diplomatiques engagés pour maintenir la paix et la stabilité, le Kazakhstan accorde une grande importance au dialogue interreligieux. Aujourd’hui, le pays est un foyer sûr et confortable pour plus de 3 800 associations religieuses représentant 18 confessions et plus de 100 groupes ethniques vivant en paix et en harmonie.
Les 14 et 15 septembre 2022, Astana a accueilli le VIIe Congrès des leaders des religions mondiales et traditionnelles, sur le thème « Le rôle des leaders des religions mondiales et traditionnelles dans le développement spirituel et social de la civilisation humaine dans la période post-pandémique ». Depuis la création de ce forum unique en son genre, il y a 19 ans, jamais il n’avait connu un tel retentissement. Environ 100 représentants de 50 pays et de 8 religions ont participé à ce VIIe Congrès. Y étaient présents l’imam suprême de la mosquée d’Al-Azhar, Ahmed el-Tayeb, le grand-rabbin ashkénaze, David Lau, le grand-rabbin séfarade d’Israël, Yitzhak Yosef, ainsi que des chefs spirituels de Chine, de Corée et du Japon (taoïstes, bouddhistes, shintoïstes). Du côté des instances internationales, le directeur général de l’Organisation du monde islamique pour l’éducation, les sciences et la culture (Isesco), l’ancienne directrice générale de l’Unesco Irina Bokova, le président de l’Union interparlementaire et le secrétaire général de l’OCI ont participé à cet évènement. Le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a adressé un message vidéo aux participants du Congrès.
Le 13 septembre 2022, le pape François est arrivé au Kazakhstan pour une visite apostolique, et a pris part au VIIe Congrès. Sa visite était pour le moins attendue. Comme l’a précisé le souverain pontife, le Kazakhstan joue un rôle particulier en tant que « lieu de rencontre et de dialogue ». Il est vrai qu’aujourd’hui, le pivot eurasiatique est l’un des créateurs majeurs et faisant autorité du dialogue mondial intercivilisationnel, interreligieux et interconfessionnel. Faisant suite au Congrès, une déclaration a été adoptée, et a été distribuée comme document séparé lors de la 77e session de l’Assemblée générale des Nations unies à New York. Le Congrès a une fois de plus souligné l’importance de la tolérance religieuse, du dialogue et de la résolution pacifique des problèmes.
Une paix favorable à l’essor économique
Au sein des instances internationales, telles l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS), dont il fut l’un des fondateurs en 2001, ou la Communauté des États indépendants (CEI), le Kazakhstan déploie ses efforts pour renforcer les relations commerciales et économiques. Il convient de noter qu’il représente l’option la plus attrayante parmi les États membres de la CEI. En effet, son économie est la plus intégrée aux processus financiers mondiaux. Cela signifie que le pays dispose de tous les outils nécessaires pour atteindre ses objectifs. Par ailleurs, le Kazakhstan s’engage activement au sein de l’Union économique eurasienne (UEE), notamment dans le but de protéger ses intérêts nationaux à long terme dans les domaines économique et financier.
Au second semestre de l’année 2023, le Kazakhstan assumera la présidence de l’OCS. Pour le pays, c’est l’occasion de prouver sa qualité de pivot économique et diplomatique dans la sous-région, alors que l’OCS est en mesure de contribuer à résoudre les problèmes les plus aigus de notre temps.
Face à l’isolement de la Russie :
Quelle réponse du Kazakhstan ?
Après le début de l’invasion russe en Ukraine, le 24 février dernier, de grandes entreprises étrangères ont commencé à quitter le marché russe. Kassym-Jomart Tokayev a donc chargé son gouvernement de créer des conditions favorables à leur délocalisation au Kazakhstan. Il s’agit du transfert d’installations de production et de bureaux régionaux. Pour l’instant, 56 entreprises ont exprimé le désir de relocaliser leurs bureaux au Kazakhstan. Parmi elles figurent de grandes sociétés internationales telles que In Drive, Fortescue et Marubeni. Des négociations sont en cours avec Youngsan, EMAG, Carlsberg, Canon, Kronospan, Alstom, Haier, etc.
D’autre part, après l’annonce de la mobilisation partielle en Russie, le Kazakhstan a dû faire face à un afflux massif de Russes. Plus de 200 000 citoyens de la Fédération de Russie sont entrés sur le territoire en quelques jours. Les files d’attente aux postes-frontières s’étendaient sur plusieurs kilomètres. Contrairement à d’autres pays de la région, le Kazakhstan n’a pas fermé ses frontières. Kassym-Jomart Tokayev a déclaré à propos des citoyens russes désireux de venir : « Nous devons prendre soin d’eux et assurer leur sécurité. Il s’agit d’une question politique et humanitaire. Dans cette situation difficile, il faut d’abord faire preuve d’humanité, de patience et d’organisation. » Il a demandé à son gouvernement de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer l’ordre légal et la sécurité, ainsi que pour aider les ressortissants russes à s’enregistrer en temps voulu et à résoudre les problèmes de travail, conformément à la législation de l’UEE. La plupart de ces migrants utilisent le Kazakhstan comme pays de transit. Selon le Ministre de l’Intérieur du Kazakhstan Marat Akhmetjanov, 8 000 à 9 000 Russes arrivaient chaque jour dans le pays et 10 000 à 11 000 autres en repartaient.