Ingénieur agronome de formation, disposant d’une grande expérience, Prosper DODIKO met aujourd’hui son savoir-faire au service de la vision présidentielle, faisant de l’agriculture la priorité numéro 1 dans le pays.
Propos recueillis par Clément Airault
Quels sont les principaux atouts du Burundi en termes d’agriculture ?
Le Burundi est un petit pays qui s’étend sur une surface d’un peu plus de 27 800 km2. Malgré cette petitesse, le Burundi dispose de plusieurs atouts, dont une importante diversité de climats qui lui donne une diversité alimentaire. Notre pays est subdivisé en régions naturelles qui nous procurent un avantage pour la production échelonnée. Dans certaines régions nous récoltons, quand dans le même temps sur d’autres régions nous cultivons. C’est une chance, qui nous permet d’avoir une production tout au long de l’année. Nous avons également plus de huit mois sur douze de pluies, avec beaucoup de sources d’eau propre prête à être consommée. Le Burundi est un pays depuis lequel toutes les sources d’eau partent vers d’autres pays, y compris la source du Nil. Nous avons donc une disponibilité de l’eau, d’une pureté incroyable. Nous avons des sols de grande qualité qui permettent à notre pays d’avoir des saveurs extrêmement bonnes si on se réfère au café, au thé et aux fruits qui ont déjà battu des records au niveau mondial. Tous les produits de l’agriculture burundaise sont de qualité supérieure et cela est dû à la composition de la roche-mère et à celle du sol qui en découle.
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Nous avons la chance d’avoir le lac Tanganyika, qui est une écorégion d’eau douce définie par le Fonds mondial pour la nature (WWF) et The Nature Conservancy (TNC). Elle comprend le lac Tanganyika lui-même et son bassin drainant, entre le Burundi, la République démocratique du Congo, la Tanzanie et la Zambie. L’écorégion abrite l’une des faunes lacustres les plus riches de la planète et concentre un nombre très élevé d’espèces endémiques. Elle abrite un type de poisson qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde, il s’agit du poisson appelé « Mukeke », qui a une saveur unique avec une richesse en éléments nutritifs extraordinaire.
En résumé, bien que le PIB par habitant soit faible nous avons un secteur agricole actif, mais difficilement quantifiable. En effet, les ménages ruraux parviennent à produire tout ce qu’ils consomment tout au long de l’année et assurent une autosuffisance alimentaire sans transactions financières visibles ; ce type d’économie rurale échappe à la compréhension des experts économistes. C’est cela qui nous permet de peu importer et d’assurer une bonne partie de notre sécurité alimentaire. C’est pourquoi notre agriculture offre de bonnes opportunités d’investissement.
Quelle stratégie a été mise en place par le Gouvernement pour développer l’agriculture ?
Le Gouvernement a pris la décision de faire de l’agriculture la priorité numéro 1, en lui allouant d’importants moyens, notamment pour la redynamisation de la recherche agricole, la subvention des intrants agricoles, la protection du patrimoine foncier avec l’aménagement des bassins versants, la mise en place d’infrastructures d’appui au secteur agricole, la redynamisation et la diversification des cultures d’exportation, etc. Cela a permis aux acteurs d’augmenter la production. L’État a également mis en place des mécanismes de financement de projets qui opèrent activement dans le domaine agricole, via la création et le financement de : 1) la Banque d’investissement pour les jeunes (BIJE) ; 2) la Banque d’investissement et de développement pour les femmes (BIDF) ; 3) le Programme d’autonomisation économique et d’emploi des jeunes (PAEEJ) ; 4) le Projet d’appui à l’inclusion financière agricole et rurale (PAIFAR) ; 5) le Programme de développement de l’entrepreneuriat rural (PRODER) ; 6) le Fonds d’impulsion, de garantie et d’accompagnement (FIGA) du secteur agricole.
À cela s’ajoute un appel du Chef de l’État à la classe moyenne, et notamment aux fonctionnaires et aux investisseurs privés, pour qu’ils investissent dans le secteur agricole. Il les a incités à pratiquer l’agriculture en donnant lui-même le bon exemple. Aujourd’hui, chaque fonctionnaire doit avoir un champ et/ou un élevage moderne. La combinaison de l’agriculture de subsistance pratiquée par les ménages et de l’intervention de la classe moyenne et du secteur privé, a augmenté significativement la production. À titre d’exemple, cette année, nous avons eu un surplus de maïs. C’est également la première fois que nous constatons que la récolte des haricots, qui est la principale culture du pays, arrive alors que la production du maïs de la saison passée n’est pas encore finie, et cela prouve qu’au cours de cette année, il n’y a pas eu de période de soudure entre deux saisons. Sur appel des agriculteurs, le Gouvernement du Burundi a accepté d’acheter le surplus de production, en fixant un prix rémunérateur aux agriculteurs. Cela a encouragé les paysans et augmenté significativement la production. Les petits cultivateurs sont motivés par cette fixation des prix.
Avant, la tendance était de laisser l’agriculture aux paysans. Désormais, tout le monde investit dans le secteur, car il est devenu rentable.
Quels principaux produits d’exportation ciblez-vous ? Et comment améliorer la valeur ajoutée ?
Si vous produisez du café et voulez exporter, il n’y a pas de blocage à condition que le prix de vente soit juste. Il en est de même pour les fruits. Mais pour le café, la commercialisation et la production sont libéralisées. Le secteur privé peut exporter. Nous avons constaté qu’il existait un grand défi : notre café est de très bonne qualité et très apprécié sur le marché international, mais malheureusement, ce sont les intermédiaires qui engrangent les bénéfices. L’agriculteur ne bénéficie pas de la valeur ajoutée. Nous vendons le café à 3,5 dollars au kilo, alors que sur le marché international, cela se vend près de 10 dollars au kilo. C’est l’un des facteurs qui a motivé la reprise en main par l’État de la filière caféière. Il y avait beaucoup de spéculation, y compris dans le rapatriement des devises. C’est la même chose pour le thé, qui se vend aux enchères de Mombasa, au Kenya, à des prix très bas. Cela est dommageable de savoir que notre production de grande qualité est mélangée sur les marchés à d’autres produits. Il faut que l’on ait accès au marché direct. Nous voulons que le café, comme le thé, soit rémunéré à sa juste valeur. Il faut que l’on puisse goûter dans le monde au café 100 % burundais !
Nous sommes à un tournant, pour passer d’une agriculture de subsistance à une agriculture de marché. La nouvelle approche, c’est que désormais toutes les terres de l’État vont être mises entre les mains du secteur privé, qui aura la charge de développer une agriculture moderne afin de dégager le surplus pour exportation.
Comment votre ministère peut-il agir pour développer une agriculture moderne, notamment au niveau de l’élevage ?
Concernant l’élevage, nous avons mis en place ce que nous appelons les « centres naisseurs ». Nous avons observé, au Burundi, une dégénérescence des espèces animales, due à la consanguinité. C’est à partir de ces centres naisseurs que nous allons approvisionner les éleveurs modernes. Nous voulons mettre entre les mains du secteur privé les centres naisseurs de l’État, et nous comptons nous concentrer sur la recherche, afin de maintenir des espèces de grande qualité génétique. Nous allons mettre en place un centre régional qui devra apporter des espèces de haute valeur génétique pour approvisionner dans la région ceux souhaitant développer des élevages modernes.
Le Gouvernement a également décidé de renforcer l’institut de recherche agronomique du Burundi pour en faire une industrie semencière de haute qualité qui donnera une meilleure production tout en résistant aux maladies et stress hydrique. Concernant les intrants agricoles, nous travaillons sur la production locale de semences hybrides, pour éviter les importations. Nous travaillons sur ce sujet avec les experts chinois, en particulier pour la production de semences hybrides pour le riz et le maïs. Nous sommes aussi en train de tester d’autres variétés plus productives et plus résistantes. Nous cherchons à augmenter la productivité, via l’irrigation, pour obtenir une bonne productivité lors de la saison intermédiaire.