Judith Suminwa Tuluka a été nommée au poste de Premier ministre le 12 juin 2024. Elle est la première femme à exercer cette fonction dans le plus grand pays francophone du monde. Retour sur le parcours de cette femme d’action.
Par Stanislas Gaissudens
Le 1er avril 2024, Félix Tshisekedi nommait Judith Suminwa Tuluka au poste de Premier ministre. Si son nom circulait dans les cercles du pouvoir, ce fut une surprise pour beaucoup, qui n’imaginaient pas celle qui était encore Ministre du Plan accéder à la primature.
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Cette décision émane directement de la volonté du Président Tshisekedi qui souhaitait nommer une femme à ce poste, une grande première dans le pays. Cela dénote son engagement à mettre en application le concept de « masculinité positive », lui qui fut déclaré « Champion de l’UA sur la masculinité positive » lors de la 2e Conférence des hommes sur la masculinité positive, en novembre 2022. Le Gouvernement Sama Lukonde II s’était déjà distingué par une représentation féminine considérable, comptant jusqu’à 27 % de femmes parmi ses membres, selon les autorités congolaises.
Le fait que Judith Suminwa Tuluka soit une femme a pesé dans la balance. Qu’elle soit originaire du territoire de Songololo, dans le Kongo Central, a également compté dans l’équation politique. Cette province est l’une de celles qui a le plus voté en faveur du Président lors de sa réélection. Et jamais un Premier ministre n’en avait été originaire.
En succédant à Jean-Michel Sama Lukonde, qui avait présenté sa démission le 21 février 2024, Judith Suminwa Tuluka prend les rênes d’un pays qui fait face à d’immenses défis.
Une expérience très utile
Âgée de 56 ans, Judith Suminwa Tuluka dispose d’une grande expérience. Elle est la fille d’un diplomate, qui fut ambassadeur du Zaïre au Tchad sous la présidence de Mobutu Sese Seko. Jeune, elle rêvait de devenir médecin. Elle s’est néanmoins tournée vers l’économie. Elle a effectué ses études à l’Université de Mons, en Belgique, dans les années 1990. C’est là qu’elle a rencontré pour la première fois l’actuel Chef de l’État congolais. Son époux, l’homme d’affaires Roger Tuluka, était par ailleurs à l’école primaire à Kinshasa avec Félix Tshisekedi. Les deux couples sont restés proches jusqu’à aujourd’hui.
Son master en économie appliquée en poche, cette spécialiste de la gestion financière entrevoit une carrière dans le domaine bancaire. Lorsqu’elle rentre en 1997 à Kinshasa, elle est employée à la City Bank. Son expérience dans le domaine est toutefois de courte durée, puisqu’elle rejoint rapidement le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme en RDC.
L’actuelle Première ministre intègre par la suite le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Elle œuvre notamment dans l’est de la RDC, à Goma. C’est une région qu’elle connaît parfaitement, et c’est un atout majeur. Fin novembre 2024, elle se déplace à Goma avec une délégation, afin d’évaluer l’état de siège instauré par le Président Félix Tshisekedi il y a 3 ans. Elle y rencontre les députés provinciaux, les chefs coutumiers, des membres de la société civile et la cheffe de la Monusco, Bintou Keïta. Alors que la population locale ne veut plus de l’état de siège, la venue de Judith Suminwa Tuluka avait pour but d’évaluer les défis sécuritaires dans la région et de remettre son rapport au Président Tshisekedi. De nouvelles mesures, plus adaptées, seront sans doute mises en place.
Une femme de confiance
Après avoir été en poste à Goma, Judith Suminwa Tuluka a supervisé aux Comores, toujours pour le compte du PNUD, la réforme de l’armée et la réforme de la police. Cette technocrate intègre a gravi les échelons de l’administration onusienne, puis intégré le Gouvernement congolais.
En choisissant Judith Suminwa Tuluka pour incarner le visage du premier Gouvernement de son deuxième quinquennat, « le Président Félix Tshisekedi a fait un acte de reconnaissance envers la fourmi laborieuse, celle qui, dans l’ombre, a façonné les projets emblématiques de son premier mandat », précise un communiqué du Gouvernement. En effet, entre 2012 et 2014, elle a pris part au cabinet du Ministre du Budget, et s’occupe de la réforme des finances publiques.
Le Programme de développement des 145 territoires est au cœur de la stratégie de développement présidentielle. Sa gouvernance avait été confiée à l’actuelle Première ministre. Cette dernière a contribué à la rédaction du Plan national de développement stratégique (PNSD). En tant que Ministre du Plan, elle s’est forgé une véritable expertise de la planification et de la coordination qui, couplée à sa connaissance intime des rouages du développement acquise lors de son passage au PNUD, lui donne aujourd’hui toute légitimité à occuper ce poste.
Sa nomination survient dans un moment difficile pour la RDC, la nation faisant face à une crise sécuritaire sans précédent. « Je sais que la tâche est grande, les défis sont immenses, mais ensemble […] on y arrivera », a-t-elle déclaré à l’antenne de la télévision nationale juste après l’annonce de sa nomination. Elle a par ailleurs réaffirmé au Chef de l’État sa loyauté sans faille « à œuvrer pour résoudre les enjeux profonds qui entravent la consolidation de la paix et la cohésion nationale ».
La financière
En financière aguerrie, la Cheffe du Gouvernement a mis l’accent sur l’élaboration d’un budget ambitieux destiné à répondre aux priorités. Présenté mi-septembre, ce premier budget du Gouvernement Suminwa prévoit presque 50 000 milliards de francs congolais (environ 16,5 milliards d’euros), contre quelque 41 000 milliards pour l’année dernière (approximativement 13,5 milliards d’euros). Cela représente une augmentation de 21 % en un an. « Nous avons tenu compte des chocs externes qui nous impactent : la guerre en Ukraine et au Moyen-Orient, ainsi que le niveau interne avec la guerre qui nous a été imposée », a déclaré la Cheffe du Gouvernement.
Alors qu’elle avait chiffré en juillet dernier à presque 93 milliards de dollars son programme d’action pour les cinq prochaines années, les finances de 2025 doivent permettre de réaliser les engagements du Président de la République, à savoir davantage de pouvoir d’achat, de services de base et d’éducation. La promotion de l’agriculture est également prioritaire, avec une augmentation de près de 14 % des investissements et de 13 % des ressources allouées au secteur.
La Première ministre Suminwa doit également enrayer le fléau de la corruption qui gangrène le pays, y compris au sein de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), un parti dont elle est militante, sans en être un cadre de premier ordre.
« Soyez pragmatiques, et obtenez-moi des résultats », écrivait Félix Tshisekedi dans son message de clôture du séminaire gouvernemental sur la gestion des affaires publiques ayant eu lieu en juillet 2024. La veille, Judith Suminwa Tuluka appelait les membres de son équipe à « bannir l’exposition d’une vie ostentatoire, d’un luxe insolent, […] alors que la population pour laquelle nous devons travailler pour leur apporter des réponses et des solutions, a du mal à résoudre les questions essentielles liées à son existence ». La nouvelle Cheffe du Gouvernement entend imposer sa marque : bonne gouvernance et pragmatisme.