François Bayrou a été nommé Premier ministre le 13 décembre dernier. Il aura la difficile tâche de permettre à la France de renouer avec un semblant d’équilibre, tant sur le plan budgétaire que politique et social. Un « Himalaya » se présente devant lui.
Par Clément Airault
Que peut faire François Bayrou, que n’a réussi à réaliser son prédécesseur, Michel Barnier, resté 91 jours seulement à Matignon ? À 73 ans, les deux hommes ont une longue expérience de la vie politique, des valeurs traditionnelles évoluant entre le centre et le centre droit, et une propension à privilégier l’équilibre budgétaire.
Ce contenu est réservé aux abonnés
« Nul plus que moi ne connaît la difficulté de la situation », a déclaré François Bayrou, qui a ce point commun avec Michel Barnier d’avoir une haute opinion de lui-même. Tous deux se revendiquent comme des hommes de dialogue, souhaitant éviter tout « sectarisme » et relancer le dialogue politique. Vaste chantier, pour lequel le nouveau Premier ministre dispose de certains atouts.
Trouver un équilibre politique ?
Former un « gouvernement d’intérêt général » : telle fut la première grande priorité du nouveau Premier ministre. À la différence de son prédécesseur, lePrésident du MoDem est partie prenante du camp macroniste. Et même si son groupe à l’Assemblée nationale pèse moins que celui qui soutenait Michel Barnier (36 députés MoDem contre 47 Les Républicains [LR]), il est perçu par les élus Renaissance et Horizons comme l’un des leurs, ayant contribué par son ralliement décisif à la victoire d’Emmanuel Macron en 2017. Cela devrait éviter un certain nombre de blocages à l’Assemblée nationale au sein du camp présidentiel.
Néanmoins, on le sait désormais, la nomination de François Bayrou à la tête du gouvernement ne s’est pas faite sans grincements de dents. Elle est le résultat d’intenses tractations de dernière minute entre Emmanuel Macron et le président du MoDem. Selon les informations de BFMTV, l’entretien ayant eu lieu au matin de la nomination de ce dernier fut tendu. Le maire de Pau avait clairement fait savoir au Chef de l’État qu’il accepterait uniquement d’être Premier ministre, et refuserait un autre poste au sein du gouvernement. François Bayrou aurait évoqué la possibilité de retirer le MoDem du bloc central à l’Assemblée nationale, ce qui aurait considérablement réduit le socle parlementaire de la majorité présidentielle. Il apparaît que le Président n’avait dans un premier temps pas retenu François Bayrou comme son choix final. La relation entre les deux hommes s’engage d’ores et déjà sur une confrontation.
Chez Les Républicains, le nouveau Premier ministre reste perçu comme un ancien allié défaillant, voire « un traître » rapportait Le Monde à la veille de sa nomination. L’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy s’est montré particulièrement acerbe quant à la nomination de son opposant politique : « C’est affligeant », a-t-il estimé.
François Bayrou doit aussi faire un pas vers le Nouveau Front populaire (NFP), qui voit d’un très mauvais œil sa nomination. « Niveau crachat au visage des électeurs, c’est encore pire que Barnier », a déclaré le député écologiste Benjamin Lucas. Alors que La France insoumise compte déposer une motion de censure dès que possible, le NFP montre de nouveau ses fractures, car certains souhaitent laisser au Premier ministre le bénéfice du doute. Sans remise en question de la réforme des retraites ou de la mise en place d’une contribution sur les superprofits pour financer un ISF climatique, il sera difficile pour le Chef du Gouvernement d’éviter la confrontation.
À l’extrême-droite, la situation semble plus apaisée, car François Bayrou serait ouvert à des concessions. « Il est trop tôt pour dire si nous avons été entendus », a déclaré avec suspicion Marine le Pen sur BFMTV, mais des échanges téléphoniques ont eu lieu entre les deux personnalités politiques, et François Bayrou aurait promis d’agir rapidement sur l’instauration de la proportionnelle, une revendication majeure du Rassemblement national (RN).
Le Chef du Gouvernement n’a cessé de revendiquer son indépendance et sa liberté d’action. Au regard de la situation économique, sa marge sera cependant limitée. De plus, en l’absence de majorité, il devra forcément établir des compromis et accepter des concessions avec les oppositions.
Agir rapidement sur l’économie
Le 16 décembre, l’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité le projet de loi spéciale visant à permettre à l’exécutif de percevoir l’impôt et d’emprunter sur les marchés pour assurer la continuité de l’État et de la Sécurité sociale. Le texte, déposé en réaction à la censure de Michel Barnier et à l’impasse politique entravant l’adoption d’un budget pour 2025, a été examiné au Sénat en vue d’une adoption définitive le 18 décembre. Il a vocation à servir de béquille en attendant l’adoption de textes budgétaires plus ambitieux début 2025, qui seront les premiers véritables tests du futur gouvernement Bayrou.
Car si la note de la France reste parmi les meilleures au monde, le jour même de la nomination de François Bayrou, l’agence de notation Moody’s l’a dégradée. Dans son communiqué, elle pointe la division du pays, peu propice selon elle au rétablissement rapide des finances publiques. L’agence, qui classait la France jusque-là légèrement au-dessus de ses concurrentes, les rejoint : Standard & Poor’s classe la France AA- avec perspective stable, et Fitch AA- avec perspective négative.
Pour Moody’s, les finances publiques de la France seront « considérablement plus faibles » dans les trois prochaines années que ce qu’elle prévoyait auparavant, en raison d’une « fragmentation politique plus susceptible d’empêcher une consolidation budgétaire significative ». L’agence juge « faible » la probabilité de voir le prochain Gouvernement « réduire durablement l’étendue du déficit budgétaire au-delà de l’année prochaine ».
« Je n’ignore rien de l’Himalaya qui se dresse devant nous, des difficultés de toute nature », déclarait François Bayrou lors de sa prise de fonction. La réduction de la dette publique est son cheval de bataille depuis des décennies. Lors de l’élection présidentielle 2007, qui l’avait vu dépasser les 18 % au premier tour, le candidat du MoDem avait axé sa campagne sur la réduction de la dette et du déficit. « L’avenir de notre pays est compromis si nous continuons à vivre à crédit », rappelait-il alors. Depuis, la crise liée à la pandémie de Covid-19 a légèrement infléchi sa pensée, et il a soutenu le plan de relance du Chef de l’État.
Des différences avec le macronisme
Sur la question de la réforme des retraites, décalant l’âge légal de départ de 62 à 64 ans, qui cristallise les tensions sociales, François Bayrou est en désaccord avec le Président de la République. Il a bien appuyé le projet afin de rendre le système de retraites plus soutenable, mais a critiqué sur le fond une réforme qu’il qualifiait de « mal préparée, mal expliquée ». Il estime également qu’il conviendrait de mettre à contribution les entreprises, en augmentant légèrement les cotisations nationales. Ancien Ministre de l’Éducation nationale, François Bayrou prône par ailleurs des mesures au sein de l’école qui favorisent l’innovation, en adéquation avec le monde du travail. Face à la colère des agriculteurs, le nouveau Premier ministre, qui se dit proche du monde paysan, n’a pas encore fait part de ses propositions, notamment sur l’accord de libre-échange UE-Mercosur.
Enfin — c’est peut-être un détail —, l’une de ses propositions vise à revenir sur le non cumul des mandats. Le maire de Pau estime qu’il est nécessaire d’avoir aux responsabilités de la nation des leaders ayant des attaches locales. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, n’y est pas favorable. Ainsi, elle aurait « préféré que le Premier ministre prenne l’avion pour Mayotte » après le passage du cyclone qui a dévasté le département, plutôt qu’il assiste au conseil municipal de Pau. À peine nommé, François Bayrou est déjà critiqué.