En juin 2024, la scène politique française a été profondément remaniée suite à la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président de la République. Cette décision, survenue après des mois de tensions politiques, d’impasses législatives et les résultats du suffrage européen, a ouvert la voie à des élections anticipées, marquées par une recomposition notable des forces politiques. Voici une lecture détaillée du nouveau paysage politique français, qui explore les dynamiques des principaux partis et les perspectives qui en découlent.
Par Rafik Ammar
Un acte politique ou stratégique ?
La décision de dissoudre l’Assemblée nationale a été prise dans un contexte de blocage politique, où le Gouvernement peinait à faire passer des réformes clés en raison d’une majorité relative. Les tensions au sein de la coalition présidentielle, exacerbées par des désaccords sur des questions économiques et sociales, ont conduit à une situation rendant difficile une gouvernance efficace. De plus, en juin dernier, les élections européennes ont profondément redessiné le paysage politique français, marquées par une avancée historique de l’extrême droite et une recomposition des forces politiques traditionnelles.
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Le Rassemblement national (RN), mené par une campagne axée sur les thèmes de l’immigration, de la sécurité et de la critique de l’Union européenne, a obtenu un score record de 35 % des voix. Ce résultat, le plus élevé jamais atteint par le parti, a confirmé sa position de premier plan sur la scène politique française. Le RN a su capter les préoccupations d’un électorat en quête de fermeté et de protectionnisme, en particulier dans les zones rurales et périurbaines où le sentiment d’abandon par les institutions nationales et européennes est fort.
Le groupe Ensemble pour la République (EPR) — ou Ensemble —, alliance ayant pour principaux partis celui de la majorité présidentielle Renaissance (anciennement La République en marche), le Modem et Horizons, a enregistré une défaite notable avec environ 15 % des voix. Cette contre-performance a marqué un recul significatif par rapport aux élections précédentes, soulignant un désaveu des politiques menées par le Gouvernement en place, notamment en matière de réformes économiques et de gestion des crises sociales. Le faible score de la majorité présidentielle a également mis en lumière des divisions internes et une difficulté à mobiliser un électorat autrefois acquis à sa cause.
De leur côté, Les Écologistes, qui ont remplacé l’ancien Europe Écologie Les Verts (EELV), ont réalisé une bonne performance, cumulant avec les autres partis de gauche environ 27 % des suffrages. Ce résultat est en grande partie dû à une mobilisation autour des questions environnementales, sociales et économiques, en résonance avec les préoccupations des jeunes et des électeurs urbains. La gauche, malgré sa fragmentation, a montré des signes de renouveau, tirant profit des débats sur le changement climatique et la justice sociale.
Pour finir, Les Républicains (LR) ont poursuivi leur déclin, obtenant seulement 8 % des voix. Ce résultat a confirmé la difficulté du parti à se positionner clairement dans le paysage politique, étant pris en tenaille entre une extrême droite conquérante et une majorité présidentielle affaiblie. Incapables de proposer une alternative crédible et de se démarquer sur les questions de souveraineté et de sécurité, Les Républicains se retrouvent marginalisés, ce qui pose des questions sur leur avenir à moyen terme.
Ces résultats ont eu des répercussions immédiates et significatives. Le Président de la République Emmanuel Macron a décidé de dissoudre l’Assemblée nationale, une mesure visant à résoudre l’impasse législative et à renouveler le mandat populaire. Cette dissolution a ouvert la voie à des élections législatives anticipées, qui ont été déterminantes pour l’avenir politique du pays. Ceci laisse entendre que les élections européennes de juin 2024 ont marqué un tournant décisif pour la France. Elles ont révélé une polarisation accrue et une montée en puissance des extrêmes, tout en mettant en évidence le désarroi des partis traditionnels. Les résultats ont également souligné l’importance croissante des questions environnementales et sociales, appelant à une réflexion profonde sur les stratégies et les programmes des forces politiques en présence.
Une reconfiguration des forces politiques
Les élections législatives anticipées ont conduit à une redistribution significative des sièges au sein de l’Assemblée nationale, marquant la fin de l’hégémonie de plusieurs partis traditionnels et l’émergence de nouvelles forces politiques.
Toutefois, il est essentiel de s’arrêter sur le déroulement de ce scrutin expéditif pour mieux comprendre le contexte dans lequel cette Assemblée a vu le jour. Les élections législatives de juillet 2024 se sont déroulées dans un climat de forte polarisation politique et d’importante mobilisation des électeurs, dont environ 66,7 % se sont rendus aux urnes. Sur un total de 48,7 millions d’inscrits, cela représente environ 32,5 millions d’électeurs ayant voté. Cette participation est notablement plus élevée que lors des précédents scrutins, reflétant un intérêt accru pour les enjeux politiques du moment dans une période d’instabilité politique.
La campagne a été marquée par des débats intenses sur des sujets clés tels que l’immigration, l’économie, le climat et la sécurité. Les principaux partis ont intensivement utilisé les médias sociaux et les plateformes numériques pour atteindre les électeurs, tandis que des tensions et incidents isolés ont été signalés dans certaines circonscriptions. Malgré cela, le processus électoral s’est globalement déroulé sans heurts majeurs. Le résultat a abouti à une répartition fragmentée des sièges au sein de l’Assemblée nationale, nécessitant des négociations complexes pour la formation d’une coalition majoritaire. Le taux de participation élevé, en particulier parmi les jeunes et les populations rurales, a démontré un engagement citoyen significatif.
Le Nouveau front populaire (NFP) a vu le jour — une coalition clé formée pour les élections législatives de 2024. Ce front regroupe La France insoumise (LFI), le Parti socialiste (PS), Les Écologistes, le Parti communiste (PC), et d’autres forces de gauche. Conçu comme une réponse à la fragmentation de la gauche, le NFP a réussi à mobiliser un électorat large, capitalisant sur les préoccupations environnementales et sociales. Cette stratégie commune a permis de maximiser les sièges obtenus, totalisant 182 députés, devenant ainsi le plus grand bloc de l’Assemblée nationale. Toutefois, la création de ce front a été marquée par des négociations intenses pour surmonter les divergences idéologiques et programmatiques, notamment sur les questions environnementales, le nucléaire ou encore sur la politique étrangère. Le NFP a mis en avant des propositions telles que la justice sociale, la transition écologique, et une réforme démocratique profonde.
La construction de ce front s’est faite sur la base d’un compromis entre les différentes composantes, chacune apportant ses priorités et ses sensibilités. Le succès de cette coalition est attribué à sa capacité à présenter un programme unifié et à mobiliser des électeurs de divers horizons, y compris les jeunes et les Françaises et Français vivant en périphérie des grandes villes. Ce travail d’unification a été crucial pour maximiser l’impact électoral et pour offrir une réponse cohérente aux défis posés par l’extrême droite et la majorité présidentielle. Le NFP incarne une tentative de refonte de la gauche française, visant à dépasser les querelles internes et à proposer une vision collective pour l’avenir du pays. Il se positionne désormais comme une force centrale de l’opposition, capable d’influencer les débats parlementaires et de proposer des alternatives crédibles aux politiques gouvernementales.
De son côté, la majorité présidentielle, sous la bannière Ensemble, a obtenu 129 sièges, un résultat que l’on peut qualifier de décevant par rapport aux attentes. Cette coalition, qui avait initialement capitalisé sur une image de modernité et de renouvellement politique, a vu son influence s’affaiblir en raison des controverses autour de réformes impopulaires, telles que la réforme des retraites, et des tensions internes. Ces tensions ont éclaté à cause de divergences sur les priorités politiques, avec des voix discordantes au sein de la coalition — notamment dans le parti de l’ancien Premier ministre, Édouard Philippe — sur la gestion des crises économiques et des politiques d’immigration.
La stratégie de la majorité présidentielle, axée sur la stabilité et la continuité, a été mise à mal par la montée des oppositions de droite et de gauche, ainsi que par une certaine désillusion des électeurs centristes. Le manque de cohésion interne a également complexifié la présentation d’un programme unifié, affaiblissant la capacité de la coalition à séduire un électorat plus large. Par-dessus tout, la difficulté à défendre un bilan perçu comme mitigé par les Français, conjuguée à une opposition farouche tant de l’extrême droite que de la gauche, a limité les marges de manœuvre d’Ensemble, l’obligeant à envisager des alliances complexes pour maintenir une influence parlementaire.
Les Républicains, quant à eux, avec 46 sièges, ont montré des signes évidents de fragmentation et de crise identitaire. Ce faible score résulte d’une scission interne marquée entre les factions modérées et les plus conservatrices. Certains ont été tentés par un rapprochement avec le RN, en raison de convergences idéologiques sur des questions telles que la sécurité, l’immigration et la souveraineté nationale. Si on met de côté les scènes dignes d’une série Netflix concernant les choix personnels du président du parti Éric Ciotti, ce rapprochement a été encouragé par d’autres figures influentes des LR, qui ont vu dans une alliance avec le RN une opportunité de reconquérir un électorat perdu au profit de l’extrême droite. Cependant, cette stratégie n’a pas été unanime et a conduit à des tensions internes, exacerbant les divisions au sein des LR. Une autre faction, plus centriste, s’est opposée à toute forme d’alliance avec le RN, préférant maintenir une distance pour préserver l’identité républicaine traditionnelle et éviter une polarisation excessive. Ce désaccord sur la direction du parti a contribué à une campagne électorale peu cohérente et à une incapacité à mobiliser efficacement l’électorat.
Le RN, quant à lui, a consolidé sa position avec 130 sièges, se présentant comme une force politique incontournable. Il a mené une campagne efficace, centrée sur des thèmes populistes tels que la protection des frontières ou la lutte contre l’insécurité, et une critique acerbe des élites politiques et de l’Union européenne. Le parti a réussi à élargir sa base électorale, attirant non seulement les électeurs traditionnels de l’extrême droite, mais aussi une partie des électeurs déçus des Républicains et de la majorité présidentielle. Le RN a ainsi bénéficié de la fragmentation des autres partis, et de la montée des préoccupations liées à la souveraineté nationale et à l’identité culturelle. Marine Le Pen, en tant que figure de proue du parti, mais aussi Jordan Bardella ont su capitaliser sur l’insatisfaction croissante envers les politiques gouvernementales et sur le sentiment d’insécurité qu’a une partie de la population. Le succès du RN est également attribué à sa capacité à se présenter comme une alternative crédible et structurée, capable de répondre aux préoccupations des électeurs sur des questions clés.
Ces élections législatives ont révélé une polarisation accrue et une recomposition des forces politiques en France, avec le RN et le NFP en position de force, une majorité présidentielle affaiblie, et des Républicains divisés et en quête de ligne politique. Les résultats témoignent d’un paysage politique en mutation, marqué par une montée des extrêmes et une fragmentation des partis traditionnels. Plus encore, on observe l’émergence de nouveaux mouvements politiques, comme Place publique (PP), ainsi que de partis régionalistes et de plateformes citoyennes. Ces groupes, bien que minoritaires, ont gagné en visibilité et en légitimité, reflétant une demande croissante de représentation locale et de démocratie participative.
Perspectives
Un scénario envisageable est celui d’une stabilité relative, où le Gouvernement parvient à naviguer entre les différentes forces politiques pour mener des réformes progressives. Cette voie nécessite une gestion prudente des alliances et un dialogue constant avec les partenaires sociaux. Un autre scénario pourrait être une instabilité continue, avec des difficultés à former des majorités stables et un risque de nouvelles élections anticipées avant 2027. Ce contexte pourrait favoriser l’émergence de nouveaux leaders politiques et de mouvements citoyens. Enfin, le débat politique pourrait se radicaliser entre les tenants des différentes forces, notamment du RN et de LFI, qui sont jusqu’à présent renvoyés dos à dos. Dans ce cas, les questions identitaires et de souveraineté pourraient dominer l’agenda, au détriment des réformes économiques et sociales.
Historique des dissolutions de l’Assemblée nationale en France
La dissolution de l’Assemblée nationale est un mécanisme constitutionnel utilisé en France pour résoudre des crises politiques. Depuis l’instauration de la Ve République, cette mesure a été utilisée à plusieurs reprises afin de redonner la parole au peuple face à des blocages institutionnels.
– 1962 : Le général de Gaulle dissout l’Assemblée pour obtenir une légitimité renforcée après la crise d’Alger et l’échec du référendum sur l’élection du Président au suffrage universel direct.
– 1968 : Suite aux évènements de Mai 68, la dissolution permet au Gouvernement de renforcer sa majorité face à une société en crise.
– 1981 et 1988 : François Mitterrand utilise la dissolution après ses deux élections pour asseoir sa majorité à l’Assemblée nationale.
– 1997 : Jacques Chirac dissout l’Assemblée dans un contexte de cohabitation, mais la manœuvre se retourne contre lui, ouvrant la voie à une majorité socialiste.
La dissolution de 2024 s’inscrit donc dans cette tradition d’utilisation stratégique de cet outil, visant à rétablir l’ordre politique et à renouveler le contrat démocratique avec les citoyens français.
La dissolution de juin 2024 et les élections qui ont suivi ont redessiné le paysage politique français. Ce nouveau contexte politique, marqué par des alliances fragiles et une diversité accrue des forces en présence, pose de nombreux défis pour le Gouvernement et les institutions démocratiques.
Toutefois, le fait que le Président n’ait pas encore nommé de nouveau Premier ministre et ait choisi d’attendre la fin des Jeux olympiques de Paris 2024 peut être interprété comme une stratégie politique et de communication. Cette décision permet d’éviter d’attirer l’attention sur les tensions et les éventuels désaccords politiques, alors que la France est sous les projecteurs du monde entier pendant que se déroule cet évènement international de grande envergure. De plus, cela laisse le temps aux différentes forces politiques de négocier et de potentiellement former des alliances pour une gouvernance plus stable. L’attente du Président pourrait également être liée à une volonté de se concentrer sur la réussite des Jeux, un moment de fierté nationale, avant de revenir à des décisions politiques délicates. Cette approche pourrait permettre à Emmanuel Macron de minimiser les tensions internes et de préparer le terrain pour une transition plus douce et une nouvelle dynamique gouvernementale une fois les Jeux terminés. Donc, affaire à suivre…