Alors que l’Indopacifique devient l’épicentre des enjeux géopolitiques mondiaux, comment la France et l’Indonésie réinventent-elles leur partenariat stratégique à l’aube d’une nouvelle ère ? De la transition énergétique aux industries créatives, en passant par la défense, l’éducation et l’innovation numérique, les relations entre les deux pays connaissent un essor sans précédent. Dans un contexte international marqué par l’incertitude, quelles opportunités et quels défis façonnent cette alliance appelée à s’approfondir ? L’Ambassadeur Fabien Penone, figure clé de la diplomatie française en Indonésie et très apprécié des deux pays, partage sa vision et ses ambitions pour élever ce partenariat à un niveau supérieur.
Par Feliana Citradewi
Nommé Ambassadeur de France en Indonésie, au Timor oriental et auprès de l’ASEAN en 2022, Fabien Penone s’est rapidement imposé comme un acteur clé du renforcement du partenariat franco-indonésien, tant sur les plans politique, économique et culturel que scientifique. Diplômé de Sciences Po Paris et de l’École nationale d’administration (ENA) — désormais Institut national du service public (INSP) —, l’Ambassadeur apporte à Jakarta son expérience diplomatique, ayant notamment exercé les fonctions d’Ambassadeur de France en Corée du Sud, conseiller à la cellule diplomatique de la présidence de la République et directeur des Nations unies et des organisations internationales au Quai d’Orsay.
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Reconnu pour son engagement, Fabien Penone soutient des initiatives ambitieuses visant à approfondir la coopération bilatérale en matière de défense, d’économie, de culture, d’éducation, d’innovation technologique et de développement durable. Depuis son arrivée, il œuvre à un dialogue ouvert avec toutes les composantes de la société indonésienne et s’emploie à mettre en œuvre des projets sur l’ensemble de l’archipel, en s’appuyant notamment sur le réseau des centres culturels français (antennes de l’Institut français d’Indonésie et Alliances françaises). Alors que Paris et Jakarta célèbrent 75 ans de relations diplomatiques en 2025, le partenariat stratégique bilatéral se renforce rapidement, faisant de la France un allié de confiance pour l’Indonésie et de l’Indonésie un partenaire indopacifique majeur pour la France dans un monde en pleine mutation.
Comment voyez-vous l’évolution de la coopération éducative et universitaire entre la France et l’Indonésie, et quelles nouvelles initiatives pourraient être mises en place pour encourager les échanges d’étudiants et de chercheurs ?
Renforcer la coopération éducative, universitaire et en matière de formation professionnelle est une priorité du partenariat bilatéral. Notre coopération avec l’Indonésie ne couvre pas seulement la défense, les questions internationales et l’économie, mais aussi la culture et l’éducation.
Lors de sa visite d’État en Indonésie du 27 au 29 mai 2025, le Président de la République Emmanuel Macron a adopté avec le Président Prabowo Subianto une stratégie culturelle conjointe à Borobudur, portant sur la coopération muséale, le patrimoine et les industries culturelles et créatives. Le Président de la République français, en rencontrant des étudiants indonésiens et des lycéens à Jakarta le 28 mai, a souligné également l’importance attachée par les autorités françaises au développement de la coopération académique et de la mobilité étudiante.
Plus de 200 accords sont déjà en vigueur entre des institutions françaises et indonésiennes, mais nous souhaitons aller plus loin. Notre approche est partenariale. Les universités françaises et indonésiennes construisent ensemble leurs projets, avec le soutien des deux gouvernements. Nous travaillons, par exemple, très étroitement avec l’institut de gestion des fonds indonésiens pour l’éducation (LPDP), pour cofinancer des études de master en France pour les étudiants indonésiens. Ce programme a déjà permis de doubler le nombre d’étudiants indonésiens en France en un an seulement. Compte tenu de son succès, nous avons étendu ce programme aux études doctorales lors de la visite du Ministre français des Affaires étrangères à Jakarta le 26 mars 2025. Les retours sont très encourageants — nous avons reçu plus de 700 candidatures indonésiennes pour 140 sujets de doctorat proposés par les écoles doctorales françaises. Au-delà des échanges universitaires, la formation professionnelle est également prioritaire. Nous travaillons en particulier sur les secteurs des arts culinaires, de l’hospitalité et du tourisme, où nous constatons une forte demande. Lors de la Semaine de la gastronomie française en Indonésie en octobre 2024, nous avons par exemple fait venir des chefs français pour participer à des sessions de formation. Nous établissons également un centre d’excellence pour former des formateurs indonésiens aux métiers de la gastronomie.
Au niveau de l’ASEAN aussi, des discussions sont en cours entre le Secrétariat, les États membres et les autorités françaises pour développer les coopérations en matière d’éducation et de formation. Les programmes sont variés, sur la prévention des feux de forêt ou le leadership pour les jeunes femmes à haut potentiel par exemple. L’Indonésie bénéficiera directement de ces initiatives.
Dans un contexte géopolitique en mutation, comment la France et l’Indonésie peuvent-elles renforcer leur partenariat dans l’Indopacifique pour promouvoir la stabilité, la prospérité et un ordre régional inclusif ?
Le Président de la République l’a clairement exprimé lors de sa visite d’État en Indonésie, aussi bien dans ses échanges avec le Président Prabowo Subianto que lors de ses différentes rencontres avec les responsables indonésiens, ainsi qu’avec le Secrétaire général de l’ASEAN : la France est particulièrement attachée au développement de son partenariat avec l’Indonésie dans le cadre de sa stratégie indopacifique et du renforcement de ses relations avec l’Asie du Sud-Est.
Nous partageons avec l’Indonésie des principes communs qui fondent notre rapprochement : le respect du droit international, l’attachement au multilatéralisme, la volonté de régler pacifiquement les différends, l’importance de garantir notre souveraineté et notre autonomie stratégique.
Au-delà de la France et de l’Indonésie, nous souhaitons favoriser le rapprochement entre l’Europe et l’Asie du Sud-Est, deux régions qui aspirent à la paix, à la stabilité et à la prospérité. Nous encourageons donc le dialogue et la coopération autour de projets concrets entre l’Union européenne et l’ASEAN. Nous pouvons aussi travailler davantage ensemble dans les enceintes internationales comme les Nations unies.
L’Union européenne et l’ASEAN ont intensifié leurs relations ces dernières années. Quel rôle la France et l’Indonésie peuvent-elles jouer ensemble pour renforcer ces liens multilatéraux au bénéfice des deux régions ?
La France et l’Indonésie ont en commun d’être deux membres fondateurs respectivement de l’Union européenne et de l’ASEAN. Les deux régions partagent les mêmes aspirations, de paix, de stabilité, de prospérité, et la même manière de travailler, c’est-à-dire le dialogue et la coopération. Quand on regarde le poids démographique et économique de l’Europe et de l’Asie du Sud-Est, il est évident que nous avons toutes les raisons de renforcer notre partenariat, surtout dans un monde de plus en plus instable. La France et l’Indonésie ont un rôle important à jouer dans ce rapprochement.
Pour la France, l’ASEAN est une priorité. Nous avons mis en place avec l’ASEAN un partenariat de développement en 2020, puis adopté une feuille de route pour 2022-2026 qui couvre l’ensemble des trois piliers de l’ASEAN : le pilier politique-sécurité, le pilier économique et le pilier socioculturel, ainsi que des politiques transversales comme la connectivité. Nous renforçons également nos projets à travers l’Agence française de développement et le nouveau fonds France-ASEAN, qui permet de lancer des initiatives complémentaires sur ces différents piliers.
Du côté de l’Union européenne, le partenariat avec l’ASEAN existe depuis 1977. En 2027, nous célébrerons le 50e anniversaire de cette relation. La France est très attachée à ce partenariat et appuie son renforcement, en parallèle du renforcement des relations entre la France et l’ASEAN.
Quels sont, selon vous, les secteurs prioritaires pour approfondir la coopération économique bilatérale, notamment après la signature de plusieurs accords lors des visites présidentielles récentes ?
Il faut d’abord rappeler que plus de 200 entreprises françaises sont déjà implantées en Indonésie, dans des secteurs très variés. Cela va des activités minières aux biens de consommation, en passant par la banque, l’assurance, l’ingénierie et les industries culturelles et créatives.
Notre premier objectif est de soutenir le développement des entreprises françaises déjà installées dans l’archipel. Ces entreprises font partie intégrante de la base industrielle et technologique indonésienne, elles y investissent, transfèrent des technologies, emploient et forment des Indonésiens. Nous souhaitons qu’elles continuent à croître localement et puissent exporter à partir de l’Indonésie, notamment grâce à des alliances avec des entreprises locales. Cela peut se faire dans les deux sens : des entreprises françaises qui s’associent à des sociétés indonésiennes, ou des entreprises indonésiennes qui intègrent les chaînes de valeur des groupes français.
La deuxième priorité est d’attirer de nouvelles entreprises françaises en Indonésie. Pour cela, nous devons renforcer la connaissance mutuelle entre nos milieux d’affaires, encourager les liens humains et mettre en place des structures d’appui. La Chambre de Commerce et d’Industrie France-Indonésie joue un rôle important à cet effet, de même que les conseillers du commerce extérieur, en association avec les services de l’ambassade. Nous encourageons les visites de délégations d’affaires et l’organisation de forums, comme cela a été le cas à Jakarta lors de la visite d’État du Président de la République le 28 mai dernier. À l’occasion du déplacement en France du Président Prabowo Subianto, invité d’honneur du défilé militaire du 14-Juillet, un Dialogue économique franco-indonésien s’est aussi tenu à Paris le 15 juillet 2025 au siège du Medef, en présence des ministres et d’entreprises des deux pays.
En parallèle, nous souhaitons également voir davantage d’entreprises indonésiennes investir et se développer en France.
Quant aux secteurs prioritaires, il revient d’abord aux entreprises d’identifier les opportunités, mais nous voyons clairement des secteurs d’avenir où le partenariat peut s’intensifier : la transition énergétique, le développement urbain, les transports modernes, le numérique, mais aussi les minéraux critiques, l’agriculture, la pêche, ainsi que les industries culturelles et créatives.
Quels nouveaux mécanismes diplomatiques ou forums de dialogue la France et l’Indonésie pourraient-elles développer afin de faire progresser leur partenariat stratégique et leurs intérêts communs sur la scène internationale ?
La visite d’État du Président de la République a d’abord permis de souligner très clairement que la France et l’Indonésie sont engagées dans un partenariat de long terme. La déclaration « Horizon 2050 », adoptée par les deux Présidents trace une feuille de route pour les 25 prochaines années, à l’horizon du centenaire de nos relations diplomatiques. L’invitation du Président indonésien au défilé du 14-Juillet 2025 était aussi un signal fort : l’Indonésie compte désormais parmi nos principaux partenaires stratégiques.
Nous devons maintenant approfondir, diversifier et opérationnaliser le partenariat bilatéral. Pour y parvenir, nous mettons en place de nouvelles structures : par exemple, un dialogue stratégique « 2 + 2 » entre nos Ministres des Affaires étrangères et de la Défense ; un dialogue culturel stratégique entre nos Ministres de la Culture. Nous travaillons aussi à développer les échanges au niveau des hauts fonctionnaires. Nous avons ainsi mis en place un dialogue maritime bilatéral.
Nous coopérons aussi dans les instances multilatérales, à New York, Genève ou Rome, sur les grands dossiers globaux. Ce fut le cas pour la Conférence des Nations unies sur l’océan, qui s’est tenue du 9 au 13 juin 2025 à Nice et où l’Indonésie a ratifié le traité sur la haute mer.
Enfin, il est crucial que nous agissions de concert face aux grandes crises internationales. Lors de la visite d’État, les deux Présidents ont adopté une déclaration conjointe sur le règlement pacifique de la question de la Palestine et la mise en œuvre de la solution à deux États. Nous échangeons également sur la guerre d’agression russe en Ukraine, qui concerne non seulement l’Europe mais aussi l’Asie, ainsi que sur les défis stratégiques dans l’Indopacifique.