L’article 49 alinéa 3 de la Constitution française permet d’adopter une loi sans passer par le vote des parlementaires. Utilisé à 93 reprises sous la Ve République, il l’a été pour la dernière fois par Édouard Philippe, avant la Première ministre actuelle, Élisabeth Borne.
Par Feliana Citradewi et Rafik Ammar
Passage en force, déni de démocratie ou encore fin du débat parlementaire sont les termes utilisés par l’opposition pour qualifier l’usage de l’article 49 alinéa 3. Le gouvernement d’Élisabeth Borne n’est pourtant pas le premier à utiliser cet article de la Constitution — Constitution née lorsque la France est tombée dans la tourmente politique après l’insurrection de mai 1958 en Algérie (alors colonie française), et que le général Charles de Gaulle, qui avait été Chef du Gouvernement provisoire au milieu des années 1940 mais critique virulent de la Constitution d’après-guerre, revenait à la vie politique en tant que Premier ministre. En charge de former un nouveau Gouvernement, il se vit confier, par la loi constitutionnelle de juin 1958, la responsabilité de formaliser une nouvelle constitution, celle de la Ve République. Ce qu’il fit avec l’aide de Michel Debré. La rédaction de cette constitution et sa promulgation le 4 octobre 1958 ont différé de trois manières principales de celles des anciennes constitutions de 1875 (IIIe République) et de 1946 (IVe République).
Ce contenu est réservé aux abonnés
En premier lieu, le Parlement n’a pas participé à sa rédaction, qui a été faite par un groupe de travail gouvernemental assisté d’un comité consultatif constitutionnel et du Conseil d’État.
Ensuite, les territoires français d’outre-mer ont participé au référendum afin de la ratifier le 28 septembre 1958.
Enfin, l’acceptation initiale a été généralisée, contrairement à la Constitution de 1946 qui, lors de la première ébauche, a été rejetée par référendum populaire, puis n’a été approuvée que de justesse sous une forme révisée. La Constitution de 1958 a été contestée par 85 % des électeurs, avant que 79 % y soient finalement favorables ; parmi les territoires d’outre-mer, seule la Guinée a rejeté la nouvelle Constitution et s’est par conséquent retirée de la Communauté française.
Article 49 alinéa 3 — Constitution
« Le Premier ministre peut, après délibération du Conseil des ministres, engager la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. Dans ce cas, ce projet est considéré comme adopté, sauf si une motion de censure, déposée dans les vingt-quatre heures qui suivent, est votée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent. Le Premier ministre peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou une proposition de loi par session. »
Sous la Ve République, le « 49.3 » a été utilisé 93 fois. Le dernier à l’avoir fait, avant Élisabeth Borne récemment, est Édouard Philippe, afin de faire adopter la réforme des retraites et éviter d’étudier les 29 000 amendements restants déposés par les parlementaires. La réforme sera finalement abandonnée face à la pression des citoyens et à l’urgence de la crise sanitaire. Néanmoins, le champion toutes catégories du 49.3 reste Michel Rocard, qui fut Premier ministre de mai 1988 à mai 1991 et qui, faute de majorité absolue pour faire passer ses textes, y a recouru 28 fois. Au total, 5 motions de censure ont été déposées par l’opposition, à chaque fois rejetées. Plusieurs textes ont finalement été adoptés grâce au 49.3, comme par exemple la loi créant le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la réforme du statut de la Régie Renault ou encore la Loi de programmation militaire 1990-1993.
Révision de la Constitution
Aujourd’hui, un usage trop fréquent du 49.3 est devenu impossible, une réforme en ayant limité le nombre. Auparavant, le Gouvernement pouvait y recourir autant de fois qu’il l’estimait nécessaire et quelle que soit la nature du texte (de 1988 à 1993, il a ainsi été utilisé à 39 reprises). Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, la responsabilité du Gouvernement peut être engagée sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale et sur un seul autre projet (ou proposition) de loi au cours d’une même session.
D’où vient l’idée d’une motion de censure ?
Si l’article 20 de la Constitution de 1958 dispose que le Gouvernement est « responsable devant le Parlement », l’article 50 précise que seul un vote émis par l’Assemblée nationale peut entraîner la démission du Gouvernement. Trois procédures de mise en cause de la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale sont définies par l’article 49 de la Constitution :
- L’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale (article 49, alinéa 1), couramment dénommé « question de confiance ».
- Le dépôt d’une motion de censure à l’initiative des députés (article 49, alinéa 2).
- L’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un texte (article 49, alinéa 3).
Dans la pratique, l’usage que les députés font de ces différentes procédures est fortement conditionné par le fait majoritaire.
La mise en cause de la responsabilité du Gouvernement peut enfin résulter de la conjugaison de deux initiatives : celle du Premier ministre d’engager cette responsabilité devant l’Assemblée nationale sur le vote d’un projet ou d’une proposition de loi en discussion devant elle, suivie de celle des députés de riposter par le dépôt d’une motion de censure. Le Premier ministre peut engager la responsabilité du Gouvernement sur le vote d’un projet de loi de finances ou de financement de la Sécurité sociale. Il peut, en outre, recourir à cette procédure pour un autre projet ou proposition de loi par session, ordinaire ou extraordinaire. Cette limitation résulte de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 : auparavant, le Gouvernement pouvait y recourir autant de fois qu’il l’estimait nécessaire et quelle que soit la nature du texte (au cours de la IXe législature par exemple, le Gouvernement utilisa à 39 reprises l’article 49.3). Une délibération préalable du Conseil des ministres est requise, en vue de l’engagement de la responsabilité du Gouvernement sur son programme ou sur une déclaration de politique générale. La décision du Premier ministre entraîne la suspension immédiate, pour 24 heures, de la discussion du projet ou de la proposition de loi sur le vote duquel ou de laquelle la responsabilité du Gouvernement est engagée. Au cours de ce délai, une motion de censure peut être déposée selon les conditions de recevabilité exposées précédemment.
Deux cas de figure sont alors possibles : si aucune motion de censure n’est déposée, le projet ou la proposition est considéré comme adopté ; si une motion de censure est déposée, elle est discutée et votée dans les mêmes conditions que celles présentées « spontanément » par les députés. En cas de rejet de la motion, le projet ou la proposition est considéré comme adopté. Dans l’hypothèse inverse, le texte est rejeté et le Gouvernement renversé.
Son usage
La fréquence de l’usage de l’article 49, alinéa 3 de la Constitution a été variable depuis 1958. Plutôt rare au début de la Ve République, le recours à cette disposition a été largement utilisé par certains gouvernements qui ne disposaient à l’Assemblée nationale que d’une majorité très étroite (gouvernements Barre, Rocard, Cresson et Bérégovoy notamment). Mais surtout, contrairement à sa logique d’origine, la procédure a été utilisée pour permettre d’achever l’examen d’un texte sur lequel un trop grand nombre d’amendements étaient déposés. Toutefois, ce rôle d’arme ultime contre l’obstruction n’est plus aussi évident depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Sous le quinquennat du Président François Hollande, pourtant réfractaire à l’usage du 49.3 qu’il jugeait anti-démocratique, cette arme a été employée à 6 reprises. Le Premier ministre Manuel Valls s’en servit pour la loi Macron sur la croissance, ou encore la loi travail de Myriam El Khomri. Mais certains Premiers ministres ne l’ont jamais utilisé, comme François Fillon, Lionel Jospin ou encore Jean-Marc Ayrault. En revanche, jamais un gouvernement n’a été renversé par une motion de censure à l’issue d’un 49.3.
Que se passe-t-il aujourd’hui ?
Quelques semaines seulement après la réélection d’Emmanuel Macron pour un second mandat en avril 2022, battant l’extrême droite de Marine Le Pen, le groupe LREM, devenu Renaissance, a perdu sa majorité absolue au Parlement, totalisant environ 40 sièges de moins que le nombre requis pour adopter des lois à lui seul. Le Gouvernement français envisage donc d’utiliser les pouvoirs constitutionnels spéciaux pour imposer son budget 2023 sans vote parlementaire, suscitant des accusations d’« autoritarisme » de la part de l’opposition et soulignant la position intérieure affaiblie du Président Emmanuel Macron depuis les dernières élections législatives. Le Gouvernement a justifié sa décision en assurant que la France disposait d’un budget réaliste et rigoureux, ce qui a mis fin à plusieurs jours de débats houleux sur le budget « pro-entreprises » qui, selon les ministres, permettrait de protéger les Français de l’augmentation du coût de la vie tout en évitant les hausses d’impôts. Le bloc d’opposition de gauche au Parlement n’a toutefois pas été convaincu et a annoncé qu’il demandera une motion de censure contre le Gouvernement, motion néanmoins considérée comme largement symbolique et ayant peu de chances d’être adoptée.
Quel coût politique ?
Le Rassemblement national de Marine Le Pen est désormais le plus grand parti d’opposition au Parlement, tandis que la France insoumise de Jean-Luc Mélenchon est le plus grand parti de gauche d’une large coalition connue sous le nom de Nupes, qui comprend également les socialistes et les écologistes. Avec Les Républicains à droite, tous les groupes d’opposition avaient annoncé dès cet été qu’ils ne voteraient pas pour le budget. Le RN a déclaré qu’il proposerait lui aussi un vote de défiance pour tenter de forcer la démission du Gouvernement.
Les membres du groupe Renaissance soutiennent depuis des mois que le Gouvernement n’a d’autre choix que d’utiliser des pouvoirs spéciaux pour adopter le budget parce que tous les partis d’opposition se sont engagés dans une obstruction délibérée. La Première ministre a insisté sur le fait que la tenue de plusieurs jours de débat parlementaire sur le budget avait été utile, mais des fissures étaient apparues au sein même du groupe de la majorité présidentielle. Certaines idées de la gauche ont été portées par des députés centristes, comme celle visant à introduire une taxe forfaitaire sur les « super-dividendes » des entreprises versés par les géants de l’industrie et de l’énergie.
Le Gouvernement a réagi en indiquant que cela pénaliserait les Français par rapport aux personnes qui réalisent des bénéfices à l’étranger, et irait à l’encontre de sa promesse de ne pas augmenter les impôts. Malgré cela, 19 législateurs de la majorité présidentielle ont voté pour. Le recours au décret constitutionnel risque d’exposer le Président, sa Première ministre et son Gouvernement à des allégations de rudesse sur le Parlement, en dépit de ses promesses répétées de créer une forme de gouvernance plus inclusive. Cela ouvre également la voie à une bataille difficile sur la refonte des retraites envisagée par Emmanuel Macron qui repousserait l’âge de la retraite à 64 ou 65 ans.
En Europe, de l’Italie à la Suède, de la Hongrie à la France, l’extrême droite est à nouveau une force dont il est impératif de tenir compte dans les stratégies politiques. Son conservatisme social menace les droits durement acquis des LGBTQ+ et son euroscepticisme a déjà bouleversé la dynamique de l’Union européenne. N’adhérant pas à une normalisation de la rhétorique d’extrême droite, les Français se sont clairement exprimés dans les urnes au printemps dernier en confiant un second mandat de Président à Emmanuel Macron, mais, cette fois, sans majorité absolue. C’est avec cette nouvelle réalité politique que le Gouvernement va devoir composer. Il y a donc fort à parier qu’il recourra de nouveau au 49.3 au cours de cette législature complexe, à moins que… les codes d’une autre « arme nucléaire législative » prennent corps dans le mot « dissolution ».