Ce contenu est réservé aux abonnés
Le patrimoine d’un pays constitue le socle d’une identité commune. Les nations d’Afrique, spoliées de leurs œuvres d’art, demandaient depuis les indépendances qu’elles leur soient restituées. Le Chef de l’État français a engagé le processus, et les premières œuvres font leur retour en Afrique.
Par Clément Airault
« Je veux que d’ici 5 ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », déclarait Emmanuel Macron devant les étudiants de l’université de Ouagadougou en 2017. Il fut le premier président à s’emparer du sujet.
Des restitutions tant attendues
Depuis les indépendances des années 1960, un grand nombre de nations africaines demandent à avoir accès à leurs œuvres, confisquées pour être exposées dans des musées occidentaux, ou tout simplement pillées. Selon les estimations, plus de 500 000 œuvres africaines sont stockées sur le continent européen, contre environ 100 000 en Afrique. Un rééquilibrage semble donc nécessaire. En France, pas moins de 90 000 œuvres africaines sont recensées dans les musées, dont 70 000 se trouvent au seul musée du quai Branly. Les restitutions d’œuvre d’art constituent aujourd’hui l’un des points majeurs de la « nouvelle relation » que le Chef de l’État français a décidé de nouer avec l’Afrique.
En mars 2018, l’économiste Felwine Sarr de l’université de Saint-Louis au Sénégal et l’historienne de l’art Bénédicte Savoy de l’université technique de Berlin et du Collège de France se sont vu confier la rédaction d’un rapport remis au Président Emmanuel Macron en novembre 2018. Ce rapport, qui centrait sa réflexion sur l’Afrique subsaharienne, fit grand bruit (cf. encadré). En effet, tenant compte « de l’histoire et des responsabilités particulières de la France dans cette région du monde », il prônait le retour dans leur pays d’origine de 46 000 œuvres d’Afrique subsaharienne se trouvant au musée du quai Branly. La promesse présidentielle a commencé à se concrétiser le 10 novembre dernier avec la rétrocession au Bénin de 26 objets d’art (dont trois statues géantes) issus des palais royaux d’Abomey, et qui avaient été ramenés comme butin de guerre par les troupes françaises en 1892.
Le 26 octobre, lors de la cérémonie de restitution, Emmanuel Macron, désireux d’accélérer les choses, a annoncé sa volonté de créer une loi-cadre définissant « une doctrine et des règles précises de restituabilité ». L’objectif est de ne plus légiférer au cas par cas, car d’un point de vue juridique, les collections françaises des musées publics sont inaliénables : à chaque restitution, sa loi.
De son côté, le Sénat a présenté le 15 décembre une proposition de loi visant à assurer une « gestion éthique » des restitutions. Les sénateurs veulent que chaque œuvre fasse l’objet d’une étude justificative. Pour cela, ils souhaitent nommer un conseil d’experts indépendant, qui prime sur le politique.
En effet, pour le Parlement, les rétrocessions sont trop souvent soumises à la bonne volonté du pouvoir exécutif qui en use comme d’une arme diplomatique. Il est arrivé que le Président de la République décide de rendre des œuvres avant que les textes ne soient votés, à l’image de la Couronne de la reine des Malgaches, rendue par l’ambassadeur de France à Madagascar sans que le Parlement ait eu son mot à dire. S’il s’agissait officiellement d’un dépôt, et non d’une restitution, pour le Sénat cela s’apparente à un « déni de démocratie ». Il reste aujourd’hui à voir si la loi-cadre voulue par le Chef de l’État suivra les préconisations des sénateurs.
Quelles conditions d’accueil ?
« Le patrimoine africain doit être mis en valeur à Paris, mais aussi à Dakar, à Lagos, à Cotonou. Ce sera l’une de mes priorités », assénait Emmanuel Macron lors de son discours de 2017 à Ouagadougou. Oui, mais dans quelles conditions ? Faut-il craindre que les œuvres restituées se dégradent ? Pour les auteurs du rapport Sarr-Savoy, la question ne se pose pas : « Restituer, c’est reconnaître aux peuples et aux pays africains la capacité de conserver eux-mêmes leur patrimoine. Donc, la question de savoir s’ils possèdent ou pas des musées relève du paternalisme. »
S’il est vrai que bon nombre de musées africains ne sont pas aux normes internationales, la tendance s’inverse progressivement. Ces dernières années, beaucoup d’entre eux ont mis l’accent sur l’art et la culture, un domaine jusqu’à présent souvent négligé dans les budgets nationaux. « Art, culture et patrimoine » fut même la grande thématique de l’UA en 2021.
Depuis le discours de Ouagadougou, plusieurs pays se sont dotés d’infrastructures muséales de grande qualité. C’est le cas du Musée des Civilisations noires (MCN) de Dakar. D’une superficie de 14 000 m2, il peut accueillir jusqu’à 18 000 pièces dans des conditions optimales, puisque la chaleur et l’humidité sont régulées dans toutes les salles d’exposition. Il est l’écrin parfait pour le sabre avec fourreau du conquérant El-Hadj Omar Tall, fondateur de l’empire Toucouleur. Cette pièce, qui avait été symboliquement remise ― d’abord sous forme de prêt de 5 ans ― par la France au Président Macky Sall, lors de la visite à Dakar du Premier ministre Édouard Philippe en novembre 2019, a depuis officiellement été rendue au Sénégal. Le Gabon a pour sa part inauguré en février 2019 un nouvel espace d’exposition au sein du musée national des Arts, Rites et Traditions du Gabon, à Libreville.
Mais le Bénin, qui fut l’un des premiers pays à demander la restitution de ses œuvres en 2016, ne dispose pas encore de structure à même de mettre en valeur ses fameuses statues d’Abomey. Elles sont à ce jour conservées dans un musée privé, celui de la Fondation Zinsou. Cette situation est en passe de changer puisque l’Agence française de développement (AFD) va financer, à hauteur de 23 milliards de francs CFA, la réhabilitation des palais royaux d’Abomey et la construction d’un nouveau musée aux normes internationales. Livraison prévue en 2023.
À Abidjan, c’est un musée d’art contemporain qui a ouvert ses portes en 2020. Le musée des Cultures contemporaines d’Abobo a été dessiné par l’architecte de renom Issa Diabaté. Son musée des Civilisations, situé sur le Plateau, a fait peau neuve en 2017. Considéré comme le plus grand du pays, il a accueilli 120 000 visiteurs en 2019, soit quatre fois plus qu’en 2010. Il va désormais pouvoir compter dans ses collections le djidji ayokwé, un tambour long de 3 m utilisé par les Ébrié, l’ethnie historique d’Abidjan. La Côte d’Ivoire avait officiellement demandé fin 2018 à la France la rétrocession de 148 œuvres d’art, dont ce tambour, extrêmement symbolique, qui était sur le sol français depuis 1930.
Une démarche qui se généralise ?
Aujourd’hui, la plupart des États européens s’accordent sur l’importance du retour dans leur pays d’origine des œuvres d’art spoliées, sans toutefois qu’existe de projet commun au niveau de l’UE. Et encore faut-il que les paroles soient suivies d’actes. En 2005, l’Italie a rendu l’obélisque d’Axoum, volé en 1937 par le régime fasciste de Mussolini. En Belgique, un projet de loi est en préparation en ce début d’année, afin de permettre la restitution de dizaines de milliers d’œuvres. La Belgique est le premier pays à se lancer dans un programme d’une telle ampleur. En Grande-Bretagne, le Jesus College de Cambridge a rendu le coq Okukor au Nigéria, sous la pression des étudiants. Cette œuvre avait été pillée par les forces coloniales britanniques en 1897. Mais ce cas n’est pas représentatif du reste des institutions britanniques. Le British Museum ne semble pas encore prêt à rétrocéder les 900 bronzes du Bénin qu’il possède. Pour le moment, les actes de restitution demeurent rares en Europe.
Concernant le musée du Vatican, qui possède une des plus importantes collections ethnographiques au monde, des restitutions n’ont pas encore été évoquées. Il reste du chemin à parcourir avant que la plupart des œuvres africaines retrouvent leur terre d’origine.
Un rapport qui divise
Le rapport Sarr-Savoy, à l’origine de la restitution des œuvres étrangères, a provoqué un certain nombre de remous. D’une part, les conservateurs de musées n’ont pas été associés à l’écriture de ce rapport et s’inquiètent de rétrocessions hâtives. Ils préviennent contre une tentation de réécriture de l’histoire et lui opposent l’expertise. Ils craignent aussi que les collectionneurs ayant envie de prêter ou de faire don d’une œuvre préfèrent éviter toute visibilité, plutôt que de se voir obligés de restituer leurs biens.
D’autre part, il existe de fortes inquiétudes quant au risque de répercussions économiques sur le marché des arts premiers. Les collectionneurs et les maisons de ventes, qui ont eu le sentiment d’être jugés par des personnes ne maîtrisant pas l’histoire des constitutions de collections ni le marché de l’art, ne veulent pas être assimilés à des pilleurs. Cela pourrait déprécier la valeur marchande des œuvres.