Le projet « Le Sénat se réforme » a été initié par le Pr Modeste Bahati Lukwebo, Président du Sénat, afin de renforcer la gouvernance territoriale, pour une décentralisation efficace et au service des populations.
Par Amadou Diop
« L’arbre de la République ne peut porter des branches fleurissant aux couleurs du bien-vivre ensemble national que si les racines de la gouvernance territoriale nourrissent le tronc du pouvoir central de leur sève du développement local », affirme le Pr Modeste Bahati Lukwebo. Son projet de réforme du Sénat qui correspond à la feuille de route qu’il s’est fixée lors de sa prise de fonction à la présidence du Sénat le 2 mars 2021, se décline en sept piliers.
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Intégrer la Conférence des gouverneurs
Par sa mission constitutionnelle de représentant des provinces et de législateur, le Sénat a vocation à être le garant de la décentralisation, le défenseur institutionnel de la gouvernance locale et le laboratoire national du développement local. Cette mission que l’article 104 de la Constitution confie au Sénat, celle de porter avec constance l’exigeante et exaltante charge de garant de la voix des provinces, ne trouve cependant pas sa traduction normative dans l’article 200 de la Constitution, qui crée la Conférence des gouverneurs, et encore moins dans la loi organique du 7 octobre 2008 portant modalités d’organisation et de fonctionnement de ladite Conférence. C’est pourquoi, au mois de juillet 2021, les Sénateurs ont adressé une requête au Président de la République et Président de la Conférence des gouverneurs, formulant le souhait de pouvoir prestement siéger à la Conférence des gouverneurs, car cette haute instance de la République a comme principale mission le renforcement de la décentralisation. En attendant qu’une réforme ad hoc le permette, le Sénat a souhaité, sans délai, en devenir l’« invité spécial permanent ». Cette démarche a rencontré l’assentiment du Président de la République, qui a autorisé le Sénat à rejoindre la Conférence des gouverneurs.
Instaurer le Congrès Sénat-provinces
À la lecture de l’article 104 alinéa 2 de la Constitution, il peut paraître naturel que le Sénat soit le porte-parole national des provinces, le défenseur des pouvoirs locaux et le missus dominicus des élus locaux ou des entités locales décentralisées. Pourtant, en dépit des apparences, les dispositions de cet article font simplement référence au mode de désignation des Sénateurs (article 104 alinéa 5 de la Constitution : ils sont élus au second degré par les assemblées provinciales).
Cette carence normative installe le Sénat dans un double paradoxe : la Constitution n’ayant pas fixé les interactions fonctionnelles formelles entre les Sénateurs et leurs juridictions provinciales respectives, la chambre haute du Parlement ne représente pas les provinces d’une manière satisfaisante, tout en assurant une représentation déformée de la population. Que faire alors dans l’immédiat pour que le Sénat fonctionne selon l’esprit de l’article 104 alinéa 2 de la Constitution ?
Le projet de Congrès Sénat-provinces veut que les Sénateurs et les élus locaux se rencontrent, une fois tous les deux ans et demi, pour deux grands objectifs. Il s’agit en premier lieu d’organiser un forum de partage d’information et de coordination, dans lequel l’information sur les problématiques relatives à la gouvernance territoriale et au développement local est présentée, partagée et discutée afin d’assurer une vision et une compréhension communes desdites problématiques, mais aussi des lacunes et des réponses à apporter, et d’éviter la duplication des efforts. Dans un second temps, il conviendra de tenir un forum de développement et de partage des stratégies de gouvernance locale performante et de plaidoyer se rapportant à une approche territoriale du développement local, portée par des autorités locales, véritables initiatrices et actrices du développement de leurs entités, soutenues et accompagnées par le Sénat.
Tenir la « Quinzaine des provinces au Sénat »
Lors de leurs différentes vacances parlementaires, les Sénateurs donnent la parole aux experts et aux citoyens, rencontrent les élus locaux ainsi que les différents décideurs autour des enjeux clés liés à la décentralisation, à la gouvernance locale et au développement local.
Les populations, chaque jour, se demandent à quoi sert le Sénat, ignorant même tout de la qualité des analyses et des réflexions, de la pertinence des résolutions et de la justesse des projets que recèlent les différents rapports. La perspective de la « Quinzaine des provinces au Sénat » a deux niveaux d’exigence. Le premier est celui de la responsabilité sénatoriale, en vertu de l’esprit de l’article 104 alinéa 2 de la Constitution. Le temps est donc venu, non seulement de recréer des ponts de mutualisation des efforts de redressement des provinces entre les autorités provinciales et le Sénat, mais aussi et surtout de le faire savoir, notamment au travers des séances plénières convoquées spécialement à cet effet. Le second niveau d’exigence, indissociable du premier, est relatif à l’impérieuse nécessité que les Sénateurs se présentent aux Congolaises et aux Congolais comme les experts de la décentralisation, les spécialistes du développement local, les architectes ès qualités d’une gouvernance locale visionnaire et performante.
Déployer une nouvelle stratégie de communication
Aucune institution ne peut, aujourd’hui, dans son intérêt bien compris, se passer d’un effort de communication et de visibilité. Et ce, pour au moins trois raisons majeures. La première, la plus évidente, est que le monde actuel est une société de communication. Exister, pour une institution, c’est exprimer ses valeurs, marquer sa différence, et rendre compte à ses mandants.
La deuxième raison est que le Sénat, pour rendre compte à ses mandants, doit expliquer le pourquoi et le comment des lois qu’il élabore ou qu’il vote, en justifiant l’utilité républicaine de son existence notamment au travers du contrôle de l’action du Gouvernement. Le Sénat propose donc une politique en la matière ayant plusieurs facettes, comme l’organisation des visites au Palais du Peuple, l’accès aux travaux et documentaires parlementaires du Sénat, une présence proactive sur les réseaux sociaux, l’organisation d’évènements ou le développement d’actions pédagogiques à destination notamment des élèves, des étudiants, des chercheurs, etc.
Enfin, chacun peut observer que le Sénat, de façon récurrente, est l’objet de critiques mettant en cause son utilité, son efficacité, sa représentativité, son coût financier… Le Sénat doit donc expliquer sans relâche, voire riposter, et tout ceci demande bien sûr une communication vigilante et réactive.
Relever le défi du numérique
Pour mener à bien la numérisation du Sénat, l’institution doit mettre en place une véritable démarche d’accompagnement. Il faut réaliser une évaluation des compétences digitales des Sénateurs et des Sénatrices, puis organiser un forum spécial ayant comme thème « L’entrée du Sénat dans l’ère du numérique ». La plus grande résolution de ce forum devra être la mise en place d’une commission permanente sur le numérique, à l’image des autres commissions existantes.
Dans l’immédiat, le Sénat veut instaurer un système de vote et de demande de parole par boîtier électronique. L’un des premiers avantages du vote par boîtier électronique est le fait d’avoir une automatisation, une accélération de la collecte des avis et motions des Sénateurs, ainsi qu’une simplification du déroulé des travaux en séances plénières. Parallèlement, le vote électronique s’inscrit dans une démarche de digitalisation et de simplification de la collecte des bulletins de vote. De plus, il permet de minimiser le nombre d’erreurs humaines lors du contrôle des votes, et aussi de se libérer de la fastidieuse tâche du dépouillement.
Trois points sont essentiels à la numérisation du Sénat, à savoir : la gestion des arrivées des Sénateurs au Sénat (par badge ou empreinte digitale) ; la mise sur pied du « site intranet greffier du Sénat » (logiciel de gestion, contrôle de présence, système de vote, base de données, archives…) ; et le matériel informatique (tablettes, lecteur d’empreintes / lecteur de cartes, table tactile pour le greffier, logiciel).
Redynamiser la diplomatie parlementaire du Sénat
Dans un contexte où les pays sont de plus en plus interdépendants, la qualité de l’image que projettent les institutions de la République est fondamentale. Il n’est donc pas étonnant que la diplomatie parlementaire fasse de plus en plus partie intégrante de l’arsenal que déploie le Gouvernement de la République pour développer ses échanges avec l’étranger, que ce soit pour tisser des sympathies politiques et entretenir une image positive ou pour établir un climat de coopération facilitant les partenariats, dans le milieu de la culture, bien entendu, mais aussi, plus largement, dans ceux de l’économie, de la finance et du savoir.
C’est pour cela qu’il devient nécessaire de mieux articuler la « diplomatie de premier ordre », qui est exercée directement par les autorités gouvernementales responsables de la politique extérieure, et la « diplomatie parlementaire », qui relève des institutions parlementaires, dont le Sénat.
Le Sénat préconise d’accompagner la « diplomatie des provinces », dans le cadre de la coopération internationale décentralisée, et d’intensifier la « diplomatie sénatoriale de conférence », pour démultiplier les opportunités de plaidoyer en faveur de la paix et de la sécurité nationale et régionale.
Il souhaite également promouvoir la « diplomatie culturelle, patrimoniale et touristique du Sénat » pour soutenir le rayonnement artistique et intellectuel de la RDC, contribuer à la protection et à la valorisation des sites touristiques et du patrimoine national, et promouvoir des partenariats en matière muséale, patrimoniale et touristique. Le projet de réforme doit également engager la « diplomatie associative du Sénat », en intensifiant la coopération avec les ONG internationales et en mobilisant des experts internationaux. Il doit également construire la « diplomatie sénatoriale d’entreprise et d’industrie » en facilitant le rapprochement de petites et grandes entreprises de tous les secteurs d’activité. Cette approche économique de la diplomatie du Sénat repose sur deux axes : attirer les investissements directs étrangers et soutenir les exportations des biens finis internationalement compétitifs.
En renforçant la « diplomatie climatique du Sénat », l’institution entend faire du climat l’une des grandes priorités de l’action internationale du Sénat. Ce dernier a d’ores et déjà créé, au sein de la Commission de l’environnement, une « Task Force Climat ».
Enfin, il convient, selon le Président du Sénat, d’entreprendre la « diplomatie sénatoriale de la diaspora congolaise », pour faire des Congolais vivant à l’extérieur de véritables agents des missions économiques et culturelles internationales, à triple vocations : d’investissement, de codéveloppement et de rayonnement mondial de l’identité culturelle congolaise.
Mettre en place des « Œuvres sociales et du mécénat scientifique » du Sénat
Face à l’état de misère généralisée dans les populations, les Sénateurs n’ont pas le droit de se recroqueviller dans leur strict rôle législatif. Mettre en place une politique d’« Œuvres sociales et de mécénat scientifique » n’est pas une facétie institutionnelle, mais une nécessité, et même un devoir. Il est impératif que les Sénateurs, qui forment le cénacle des Sages, mettent un point d’honneur à mériter ce titre en étant intellectuellement, moralement et patriotiquement irréprochables, et plus valeureux que tous les autres responsables politiques du pays.
Le Sénat doit organiser à la fin de chaque trimestre une opération « Œuvre du Sénat pour une école », en alternance avec l’opération « Œuvre du Sénat pour un hôpital ». Les œuvres sociales arrêtées par la plénière du Sénat devront être programmées et mises en œuvre par une structure de gestion spécialisée, constituée par une commission ad hoc. Cette structure spécialisée devra gérer toutes les ressources affectées aux œuvres sociales du Sénat. Elle sera appelée à rendre compte, à la fin de chaque trimestre, de l’état de fonctionnement des œuvres sociales et de l’exécution du programme, en fournissant les observations nécessaires et les suggestions éventuelles. La commission des œuvres sociales du Sénat sera donc une commission spéciale permanente, permettant à la chambre haute de participer, autant que faire se peut, à l’amélioration des conditions d’existence des Congolais, notamment via des prestations à caractères social, culturel ou ludique.
Le Sénat entend aussi promouvoir le concept de « citoyenneté scientifique », en soutenant les chercheurs et les créateurs. Autant que possible, il doit s’engager à soutenir financièrement et/ou matériellement les organes de la recherche scientifique. Ce mécénat scientifique consiste à mettre en place un Fonds du Sénat pour la promotion de la recherche scientifique.
Toutes les propositions du Sénat sont orientées vers un but global, à savoir la paix, la sécurité, le travail et le bien-vivre ensemble, pour un développement national intégral qui ancre ses racines dans les villages et les territoires.