La récente élection présidentielle brésilienne était un rendez-vous démocratique clé pour l’avenir du pays, de l’Amérique latine, mais également du monde entier. En effet, la taille et la démographie du Brésil, ainsi que la présence d’une grande partie de la forêt amazonienne dans les limites du territoire, en font un acteur majeur sur la scène géopolitique internationale.
Par Clarisse Laffarguette
Le scrutin présidentiel 2022 au Brésil a donné à l’ancien Président Luiz Inácio Lula da Silva, dit « Lula », membre du Parti travailliste, une courte victoire. Sans être inattendue, celle-ci est une renaissance pour l’homme qui a purgé une peine de prison pour corruption entre 2018 et 2019. Il avait même été déclaré inéligible à l’époque et beaucoup parlaient de sa « mort » politique. Son succès, avec 50,9 % des voix, reste néanmoins le plus ténu depuis l’avènement des élections démocratiques au Brésil. Ce résultat est la preuve de l’ancrage profond de la droite portée par l’actuel Président Jair Bolsonaro. C’est sur cette victoire en demi-teinte et sur une fragmentation de plus en plus visible de la société que la passation de pouvoir doit s’effectuer en janvier prochain.
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Un premier tour qui a déjoué les pronostics
Les résultats du scrutin auront été une surprise à plusieurs égards. D’abord, le retour sur la scène politique de Lula, fervent représentant du Parti travailliste. Ensuite, le manque de précision des instituts de sondage qui prévoyaient un écart bien plus important en faveur de Lula, prédisant même sa victoire dès le premier tour avec la majorité absolue. À l’inverse, les partisans de Jair Bolsonaro ont été sous-estimés, notamment ceux appartenant à la droite évangéliste (certains, pour expliquer cette erreur d’appréciation, ont mis en cause l’ancienneté des derniers recensements). Tous ces éléments concourent à montrer un pays grandement divisé, avec au sortir du premier tour de l’élection une extrême gauche et une extrême droite au coude-à-coude dans la course à la présidence.
Les instituts de sondage ont mal évalué l’importance de la droite bolsonariste, négligeant la base de son électorat lors de l’étude du vote du peuple brésilien. Les résultats du scrutin montrent une polarisation drastique entre les extrêmes, et illustrent la fracture de l’électorat et la diversité de ses problématiques. Dans un pays où la corruption a été largement associée à l’extrême gauche et à son parti politique, la confiance envers la gauche de Lula s’est effritée depuis la fin de la dictature. À l’issue du premier tour, on comptait un peu plus de 20 % d’abstentions sur 156 millions d’électeurs, et plus de 48 % des voix pour Lula contre 43 % pour Bolsonaro. Au Congrès, dont l’élection avait eu lieu plus tôt en octobre, le bolsonarisme a progressé, rendant une coalition en faveur de Lula plus difficile à obtenir. Les assemblées générales des 27 circonscriptions régionales ont aussi largement été acquises au même courant, lui assurant 16 des 27 États, pour seulement 8 pour le Parti travailliste de Lula. Et c’est un proche de Jair Bolsonaro qui a remporté l’État de Sao Paulo, poumon économique du Brésil, et traditionnellement acquis à la gauche.
Un pays fragmenté où les priorités divergent
Le principal enjeu pour le nouveau Président élu sera de rétablir une unité dans la population brésilienne pour faire baisser les violences qui éclatent dans toutes les strates de la société. Lula souhaite être le « Président de tous les Brésiliens » et promet plusieurs mesures pour combattre le fléau de la pauvreté. En effet, le bilan économique laissé par la politique ultralibérale de son prédécesseur Bolsonaro, qui a procédé à des privatisations massives d’entreprises, s’est soldé par une augmentation importante des inégalités. D’après le chercheur Christophe Ventura, spécialiste de l’Amérique latine à l’IRIS, « aujourd’hui, 1 % de la population du pays détient plus de la moitié de la richesse ». Un phénomène accentué par la crise liée à la Covid-19. Le manque d’aides sociales durant la pandémie a eu un impact fort sur l’augmentation de la pauvreté, notamment au sein des classes moyennes déjà affaiblies.
Face au renforcement des courants conservateurs traditionnels incarnés en partie par Bolsonaro, Lula et son Gouvernement devront contenir la polarisation des idéaux brésiliens et leur radicalisation. La gestion de l’information dans les médias, des fake news et des propos complotistes sera aussi un enjeu de taille car Bolsonaro n’a pas manqué de s’illustrer dans ces pratiques. Particulièrement au plus fort de la pandémie, qui aura fait presque 700 000 morts au Brésil, il affichait son scepticisme face aux vaccins et son désaccord devant toute mesure visant à réduire la transmission du virus. Sa communication en rupture permanente sur tous les sujets avec la « bonne morale », sa stratégie d’accusation des corrompus et ses frasques polémiques, dont l’envergure n’est pas sans rappeler celles de Donald Trump, ont confirmé son ancrage dans la partie de la population qui rejette le bilan de la gauche brésilienne. Bolsonaro incarne un Président qui prend des mesures fortes, à la limite de l’autoritarisme, qui ne promet rien d’extravagant et qui s’intéresse aux problèmes concrets, sociaux et économiques de la population. Il convainc une part croissante des Brésiliens.
La violence au pouvoir incarnée par Bolsonaro fait écho à la violence des inégalités de la société brésilienne et aux violences qui émergent de cet état de fait. Les discours populistes du Président de l’extrême droite ont été accompagnés de nombreuses attaques contre la démocratie, que ce soient des conflits avec le système judiciaire ou la remise en cause du mode de scrutin électoral. Il y a au Brésil deux opinions en totale opposition, qui semblent irréconciliables.
Positionnement international
La victoire de Lula le 30 octobre à l’issue du second tour de l’élection a été saluée par de nombreux dirigeants mondiaux, notamment Joe Biden et Emmanuel Macron dont le relatif soulagement s’explique entre autres par l’espoir d’une continuité démocratique au Brésil, d’un retour plus consensuel sur la scène internationale et de la préservation de l’Amazonie. Autant d’éléments et d’engagements, de la part du candidat Lula lors de sa campagne, qui ont la faveur des puissances occidentales, jusque-là écartées par un Président défendant des valeurs chrétiennes et antiglobalistes (contre la mondialisation néolibérale).
Le bilan de Bolsonaro concernant l’Amazonie, forêt primaire majeure dont 60 % se situe sur le territoire brésilien, est qualifié de catastrophique par l’ensemble des commentateurs sur le plan environnemental. Défenseur de l’agro-industrie, Bolsonaro a encouragé la déforestation en permettant aux investisseurs de convertir des terrains en terres cultivables. Or cela pourrait à terme empêcher la forêt de se régénérer, et les sols seraient progressivement transformés en savane, ce qui accélérerait le réchauffement climatique. La violation de terres indigènes à des fins d’exploitation minière a aussi été autorisée, entraînant des séquelles irréversibles sur la population autochtone et sur ses terres. Lula a promis pendant la campagne, pour s’opposer à son rival et malgré son bilan mitigé au début des années 2000, de ne plus fermer les yeux sur l’orpaillage illégal, les incendies intentionnels et la déforestation de l’Amazonie.
Un autre défi de Lula sur le plan national sera, en vue de son investiture, de préparer la transition dans les meilleures conditions possibles, en évitant de se retrouver dans une impasse avec Jair Bolsonaro et en réussissant à sécuriser une coalition efficace au Congrès.