De l’ouverture des travaux du Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) le 20 août, à leur clôture officielle le 8 octobre 2022, les Tchadiens ont posé les bases d’une réconciliation nationale et d’une refondation de la nation. Le DNIS est une étape décisive du processus de transition en cours au Tchad.
Par Yamingué Bétinbaye
Le DNIS a réuni un parterre de plus de 1 500 participants représentant les différentes composantes des forces vives du Tchad. Au terme de discussions âpres, ponctuées parfois de coups de gueule et même de départs ou d’aller-retour de certains acteurs à la table du dialogue, les assises ont débouché sur une série de conclusions et résolutions fortes. Des résolutions destinées à poser les bases d’une consolidation de la paix et de l’unité nationale, et à lancer le chantier d’une refondation des institutions. Mais aussi, et surtout, des résolutions pour mieux organiser la gestion du processus de transition et la transmission du pouvoir aux civils.
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Des assises plutôt inclusives
À la clôture des travaux le 8 octobre, le président du présidium, le Dr Gali Ngothé Gatta, a fait une remarque qui est loin d’être futile : « Personne ne peut affirmer sans mauvaise fois que notre dialogue est un monologue. » En effet, le caractère inclusif des assises a été contesté du début à la fin du dialogue par quelques acteurs de la scène publique tchadienne et certains observateurs.
Néanmoins, il importe de préciser que le DNIS a réuni des participants issus des partis politiques, de la société civile, de l’armée nationale, de groupes armés, de la diaspora ainsi que des médias. Par exemple, 217 des 227 partis politiques que compte le Tchad y ont été représentés, ainsi que 45 des 61 groupes rebelles ayant participé aux négociations avec le Gouvernement de Transition au Qatar, et qui ont signé l’Accord pour la paix en Afghanistan de Doha.
Il est vrai que quelques grands acteurs publics du Tchad actuel n’ont pas pris part au dialogue. C’est le cas du parti Les Transformateurs, de la coalition Wakit Tama et du groupe rebelle du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT). Les démarches entreprises par le Groupe des religieux et des aînés, ou encore par quelques médiateurs internationaux, pour les amener à la table des discussions se sont révélées infructueuses.
Un contexte national tendu
La tenue du DNIS apparaît d’emblée comme une prouesse. La mort au combat de l’ancien Président de la République, le maréchal Idriss Déby Itno, le 20 avril 2021 et le refus du Président de l’Assemblée nationale d’assurer la continuité du pouvoir d’État, suivant les dispositions de la Constitution, ont porté au pouvoir l’armée. Un Conseil militaire de Transition (CMT), mis en place par 15 généraux de l’Armée nationale tchadienne (ANT), a pris le pouvoir et a proposé de le transmettre à un exécutif civil dans un délai de 18 mois. Le processus de transition ainsi enclenché est placé sous la direction de l’un des fils du défunt Président, le général Mahamat Déby Itno.
Cette succession a rapidement été contestée dans les médias, puis dans la rue par une partie des Tchadiens. Les groupes armés ont durci leur position et l’opposition civile s’est braquée. Des manifestations ont fait plusieurs morts le 27 avril 2021. Les militaires au pouvoir ont alors proposé la tenue d’un dialogue national inclusif dans la feuille de route de la Transition publiée le 29 juillet. Le dialogue a même été envisagé comme une action prioritaire, programmée pour novembre-décembre.
Toutefois, les préparatifs de ces assises ont été plus ardus que prévus. Le pré-dialogue avec les groupes rebelles, par exemple, a duré environ cinq mois, alors qu’il était planifié sur deux à trois semaines. En conséquence, le DNIS a été repoussé à trois reprises : de novembre-décembre 2021 au 15 février 2022, puis au 10 mai 2022, et enfin au 20 août 2022, une dizaine de jours après la signature d’un Accord de paix entre le Gouvernement et les groupes rebelles à Doha, le 8 août.
Clés pour gérer la Transition
Le DNIS s’est principalement focalisé sur cinq thématiques, les participants échangeant au sein de cinq commissions dédiées. Les axes de discussion ont été les suivants : paix, cohésion sociale et réconciliation nationale ; questions sociétales ; droits et libertés fondamentales ; politiques publiques sectorielles ; forme de l’État, constitution, réformes institutionnelles et processus électoral. Les questions, pour le moins clivantes, de la gestion de la Transition et du calendrier du retour à l’ordre constitutionnel ont été traitées par une commission ad hoc.
À l’entame des travaux du dialogue le 20 août, le Président de la Commission de l’Union africaine, par ailleurs ancien chef de la diplomatie et ex-Premier ministre du Tchad, a tiré la sonnette d’alarme avec beaucoup de fermeté : « Vous voulez décider dans le sens de l’histoire et dans l’intérêt supérieur du peuple tchadien ? Alors décidez dans ce sens. Vous voulez continuer à tourner en rond ? Alors allez-y, têtes baissées, à faire comme avant, ignorant les exigences d’une population longtemps silencieuse. C’est si simple et si terrifiant à la fois. »
Les discussions ont donc été sans langue de bois et sans tabou. Les principales conclusions auxquelles le DNIS est parvenu sont : l’éligibilité de tout citoyen, y compris des dirigeants de la Transition ; la prolongation de la Transition pour une durée de 24 mois ; l’organisation d’un référendum unique pour choisir la forme de l’État et adopter une constitution, dont le projet sera une version réaménagée de la Constitution de 1996 ; la dissolution du CMT et la décoration de ses membres pour services rendus à la nation, tout en maintenant le Président du CMT qui devient Président de la Transition.
De plus, les conclusions du DNIS ont été de fixer le mandat présidentiel à cinq ans renouvelables une fois, sans possibilité de révision. Il a été décidé de fixer l’âge minimum de candidature pour le poste de Président de la République à 35 ans, sans plafonnement. Le DNIS a octroyé au Président de la Transition le pouvoir de nommer et révoquer le Premier ministre, et il a décidé de créer un poste de vice-président. Enfin, figure dans les conclusions une augmentation du nombre de conseillers nationaux de 104 nouveaux membres.
Selon le Président de Transition, les résultats du DNIS montrent que les Tchadiens sont en quête d’une meilleure gouvernance, de justice et d’égalité. Ils réclament une répartition plus équitable des ressources nationales, une plus grande participation de la population à la gestion des affaires locales, ainsi qu’une gestion transparente et axée sur le résultat.
C’est pourquoi, à la clôture du DNIS, le général Mahamat Déby Itno a pris « un engagement solennel devant Dieu et devant le peuple tchadien, en tant que garant de ce dialogue, mais aussi en tant que soldat et loyal serviteur de la patrie, de traduire fidèlement dans les faits les résolutions de ces assises ».