L’économie tchadienne peine à décoller, malgré des vents favorables portés par l’embellie pétrolière. Après plusieurs années de stagnation dues à la guerre civile, l’État souhaite relancer l’ambitieux programme de développement engagé sous Idriss Déby Itno. La diversification économique demeure au cœur des priorités du Gouvernement de Transition.
Par Pius Moulolo
Lors de son Conseil d’administration du 23 décembre dernier, le FMI a approuvé un décaissement de 149,3 millions de dollars au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC) en faveur du Tchad. Cet accord de financement conclu le 10 décembre 2021 devrait replacer l’économie tchadienne sur un chemin vertueux de retour à la croissance. Il ressort du communiqué officiel de l’institution de Bretton Woods que « si les recettes pétrolières élevées ont amélioré la situation financière du Gouvernement, le Tchad continue de faire face à des défis considérables, dont l’insécurité alimentaire, la volatilité des cours pétroliers, le changement climatique et les problèmes de sécurité. Il est indispensable de poursuivre les réformes pour stimuler la croissance, réduire la pauvreté et accroître la résilience. »
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L’économie du pays repose essentiellement sur les industries extractives et les cultures de rente, telles que le coton. Elle se trouve de ce fait confrontée aux chocs exogènes, dus principalement aujourd’hui à la guerre en Ukraine, aux aléas climatiques et à la fluctuation des cours des matières premières sur le marché international. « L’accord sur le traitement de la dette conclu avec les créanciers officiels et privés au titre du Cadre commun du G20 — le premier en son genre — procure au Tchad une protection adéquate contre les risques à la baisse et ramènera le risque de surendettement à un niveau modéré d’ici la fin du programme, comme l’exige la politique du FMI en matière d’accès exceptionnel », conclut Kenji Okamura, directeur général adjoint du FMI.
La diversification, pilier du développement
La Vision 2030 du Président Idriss Déby Itno avait pour ambition de jeter les bases d’une transformation structurelle profonde de l’économie, pour faire du Tchad un pays émergent à l’horizon 2030. Il s’agissait pour le Gouvernement de tirer parti des avantages comparatifs du pays afin de le hisser à hauteur de ses véritables potentialités. En 2017, le Gouvernement avait adopté un Plan national de développement (PND) décliné en trois phases : le PND 2017-2021, le PND 2022-2026 et le PND 2027-2030.
C’est dans ce cadre qu’a été élaboré un Plan directeur d’industrialisation et de diversification économique (PDIDE). Ce dernier consiste à rebooster les filières traditionnelles de production que sont l’agriculture, l’élevage, la pêche et les mines. L’une des principales faiblesses du PND 2017-2021 est venue de la difficulté à créer un secteur privé productif et compétitif. Sur le plan de l’industrialisation en revanche, l’ancien Ministre de l’Économie Issa Doubragne explique : « Ce nouveau plan est le plus grand jamais élaboré au Tchad en matière de diversification de l’économie, à travers les industries que nous allons installer. Ainsi, nous aurons sous peu d’importantes discussions sur la filière bétail-viande, pour tirer profit de notre immense cheptel (plus de 100 millions de têtes). »
« Notre vision, a détaillé Issa Doubragne, est de privilégier l’investissement privé, comme dans le cas de la CotonTchad SN dont 60 % des parts ont été vendues au singapourien Olam, pour créer de l’emploi mais aussi pour favoriser le marché local qui importe beaucoup. » Cette démarche repose globalement sur l’augmentation des capacités de production locales. Parmi les mesures incitatives prises par le Gouvernement, on note en effet l’adoption d’une Charte nationale des investissements (CNI) et l’augmentation de la capacité de production énergétique du pays. Le Gouvernement a également bouclé le financement de la construction de la route Abéché-Adré, à la frontière avec le Soudan, qui ouvrira un corridor supplémentaire vers Port-Soudan, complétant ainsi le corridor autoroutier N’Djamena-Douala, principal moteur de croissance entre le Cameroun et le Tchad.
Retour sur la terre
Il est évident que le pétrole n’a pas porté les fruits escomptés. Les performances économiques enregistrées pendant les années 1990 ont davantage creusé les inégalités entre les populations urbaines et rurales. Le Gouvernement souhaite inverser la tendance en faisant du secteur rural son principal moteur de croissance, ainsi que de lutte contre la pauvreté et l’insécurité alimentaire. Le Tchad est en effet classé 2e producteur mondial de gomme arabique et 3e producteur africain de viande bovine. Il dispose d’une réserve de plus de 84 millions d’hectares de pâturages naturels. Toutefois, ce sous-secteur est confronté à de nombreuses contraintes qui limitent sa performance.
En décembre 2017, le Gouvernement a fait adopter un nouveau Plan national de développement de l’élevage (PNDE). D’un coût global de 582,2 milliards de francs CFA, ce programme a permis de créer plusieurs complexes industriels d’exploitation des ressources animales. Il s’agit notamment des abattoirs de Moundou, des complexes industriels d’exploitation des ruminants de Djermaya, de la zone industrielle de N’Djamena, du complexe laitier de Mandelia, ainsi que des trois fermes multidisciplinaires intégrées de Mara, Tilo et Miandoum. « Dans le même temps, nous allons également relancer le processus de la mise en œuvre du complexe industriel agricole de Koundoul, dans la périphérie sud de N’Djamena. Ces quatre complexes seront suffisamment générateurs d’emplois, de richesse additionnelle et de valeur ajoutée », s’est félicité Gayang Souaré, ex-Ministre de l’Élevage et des Productions animales.
La Société nationale des mines et de la géologie (Sonamig)
La Sonamig est née le 8 juin 2018, avec pour mission principale de promouvoir le développement du secteur géologique et minier au Tchad et servir d’interface entre l’État et les investisseurs miniers. Elle veille également à la mise en place des contrats d’achat de métaux et s’assure de la réalisation des cartes géologiques, ainsi que de l’élaboration du Plan de gestion environnementale et sociale (PGES). La Sonamig est une société d’État dotée de la personnalité juridique et de l’autonomie de gestion. Son premier projet porte sur la mise en œuvre du Comptoir national de l’or et des métaux précieux. Son plan d’action quinquennal 2020-2025 accorde une priorité à la recherche, la prospection, l’exploitation et la commercialisation de toutes substances minières du pays.
Relance du secteur pétrolier
La production pétrolière n’a véritablement décollé au Tchad qu’en 2003 avec l’entrée en production du bassin pétrolier de Doba et la construction du pipeline Tchad-Cameroun. Le secteur a connu une croissance fulgurante, portée par le consortium constitué des compagnies ExxonMobil, Chevron et Petronas. En 2012, le Tchad décide de percevoir ses 12,5 % de parts du consortium de Doba en barils de brut. La Société des hydrocarbures du Tchad (SHT) se rapproche de ce fait du négociant suisse Glencore afin de commercialiser son pétrole sur le marché international. La production pétrolière du pays est alors évaluée à 150 000 barils/jour. En 2014, le taux de croissance moyenne du PIB atteint un pic de 13,7 %, avant de connaître une chute vertigineuse.
En 2015, c’est le décrochage. Les relations entre l’État et Glencore se crispent du fait du paiement irrégulier des droits de portage. Le Gouvernement tchadien accumule une dette colossale auprès de son principal trader. Ses revenus pétroliers passent de 72 milliards de francs CFA en 2014 à 20 milliards en 2017. Le pays décide alors de relancer le vieux projet des champs pétroliers de Sédigui, dans la région du Kanem. Le 28 octobre 2017, le Chef de l’État Idriss Déby Itno procède à la pose de la première pierre de construction de ce champ pétro-gazier, ainsi que de l’usine de la société de raffinage de Rig-Rig et d’une usine de traitement et de purification de gaz en partenariat avec le consortium chinois constitué de BlueOcean Clean Energy et PanJin Liaoyou Chenyu.
À partir de 2019, le secteur pétrolier tchadien reprend son souffle avec la remontée du cours du brut et l’entrée en production de nouveaux champs. En juin 2019, la China National Petroleum Corporation International Chad (CNPCIC) démarre l’exploitation d’un troisième champ dans le bassin de Bongor, actif depuis 2009. Une nouvelle raffinerie voit le jour à Djermaya. Dans la foulée, la compagnie Perenco décide de relancer la production des champs pétroliers de Mangara et de Badila mis en vente par Glencore dans le bassin de Doba. Après une légère baisse des revenus due à l’apparition de la crise du Covid-19, le secteur pétrolier renoue avec l’euphorie pour atteindre des recettes de l’ordre de 18,6 milliards de francs CFA entre janvier et juin 2022.
Les ZES pour booster l’emploi
Malgré ce boom pétrolier, le Gouvernement n’a pas réussi à résorber l’épineux problème du chômage de masse des jeunes. C’est pour y parvenir qu’a été lancé le projet de création des Zones économiques spéciales (ZES), aires géographiques dans lesquelles les lois économiques sont plus avantageuses pour les entreprises dans les provinces à forte potentialité. Le 12 juillet 2022, le Chef de l’État Mahamat Idriss Déby a signé une ordonnance fixant le cadre général de création et de gouvernance des ZES en République du Tchad. Cette décision a été suivie le 28 juillet par la création d’une Agence d’administration des Zones économiques spéciales (AAZES), avec Ousmane Abdramane Djougourou (directeur général) et Nicole Ndoubayo (directrice générale adjointe) à sa tête.
Cette nouvelle structure a pour missions d’assurer l’administration, la régulation, le contrôle ainsi que le suivi des activités ayant trait à l’aménagement et à la gestion des ZES que comptera le Tchad. Une convention a été signée avec le Groupe Arise (partenaire technique) pour la construction de dix ZES à Sarh, Moundou, Am-Djarass, Ati, Dourbali et N’Djamena. Pour un coût d’investissement de 500 milliards de francs CFA, le projet devra générer 45 000 emplois à terme. Les ZES seront spécialisées dans le traitement et la commercialisation de la viande et de ses sous-produits. Les villes de N’Djamena et Moundou ont été choisies comme zones pilotes pour accueillir la filière bétail et viande. Y seront ainsi créés environ 5 000 emplois.
Par cet acte, le Gouvernement souhaite attirer les investissements directs étrangers en vue de promouvoir le développement et la diversification de l’économie tchadienne, favoriser l’exportation des produits locaux et permettre de créer des emplois pour les jeunes. « La création des ZES est identifiée comme un véritable levier de développement économique. Elle est l’une des priorités du Plan directeur de l’industrialisation et de la diversification économique (PDIDE) et la Vision 2030, le Tchad que nous voulons », a expliqué Wanledom Robertine, Ministre en charge de l’industrie et du commerce.
L’espoir dans les mines
Le secteur minier tchadien est resté pendant longtemps inexploité, la cartographie des indices miniers n’ayant été réalisée par la société française Orstom qu’entre 1948 et 1960. De surcroît, le Code minier de 1995 ne répondait plus aux exigences d’une exploitation minière moderne. L’absence de données géologiques exhaustives, d’un inventaire minier et d’un cadastre minier a constitué un important frein économique. « Nous avons des indices localisés mais qui ne sont pas développés. D’où l’importance de les quantifier pour que cela devienne des minerais, c’est-à-dire, économiquement intéressant », explique le Dr Djimadoum Nambatingar, directeur de recherche à la Société nationale des mines et de la géologie (Sonamig).
Les conditions sont désormais réunies pour que le Tchad devienne un véritable État minier. L’inventaire des ressources minières fait état « des réserves considérables d’étain et d’uranium découvertes dans la région d’Aozou, ainsi que des gisements de columbium (niobium), de tantale, de tungstène, d’or et de diamant alluvionnaire dans plusieurs pays de la région », selon Outhman Abderahman Hamdane, directeur général de la Sonamig. Le Ministre des Mines et de la Géologie Abdelkerim Mahamat Abdelkerim a lancé le 10 septembre 2021 le Programme d’appui au développement du secteur minier au Tchad (PADSMT) 2021-2024. Le secteur attire à nouveau les investisseurs. Les affrontements meurtriers qui ont éclaté entre orpailleurs le 23 mai dernier à Kouri Bougoudi (à la frontière avec la Libye), faisant des centaines de morts, démontrent à suffisance qu’après le pétrole, les mines sont en passe de devenir le nouvel eldorado au Tchad.
Société des hydrocarbures du Tchad (SHT)
Créée par la loi no 27/PR/2006 du 23 août 2006, la SHT est une société anonyme avec conseil d’administration, placée depuis le 11 avril 2017 sous la tutelle de la Présidence de la République du Tchad. Elle a pour mission de mettre en œuvre la politique industrielle et commerciale du Tchad en matière d’hydrocarbures, concernant l’amont (la prospection, la recherche, le développement, la production et le transport des hydrocarbures liquides et gazeux), mais aussi l’aval pétrolier (la commercialisation des hydrocarbures liquides et gazeux et des produits finis). Elle détient 40 % de la raffinerie de Djermaya, en coentreprise avec la société chinoise CNPC (60 %). La SHT possède à ce jour deux stations-service, à Djermaya et sur le site pétrolier de Badila.