Une grave crise économique multisectorielle touche le Vénézuéla depuis plusieurs années désormais, mais 2022 aura marqué un regain de la croissance. Retour sur cette lueur d’espoir dans un pays qui attend désespérément d’inverser la tendance sur le long terme.
Par Maguy Camélinat
Le Vénézuéla est le pays où l’inflation est la plus importante, avec une monnaie totalement dévalorisée, des dizaines de milliers de bolivars étant nécessaires pour acheter n’importe quel bien de consommation classique. Pourtant, 2022 est peut-être le début d’un tournant dans cette crise pluriannuelle et marque, à plusieurs égards, un retour du Vénézuéla dans son espace national, son voisinage régional et même, timidement, sur la scène internationale. Retour en chiffres sur cette croissance avec explication de ses causes, et les prévisions pour l’avenir.
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Des chiffres optimistes pour 2022
Le Vénézuéla a atteint 28,7 millions d’habitants en 2021. Depuis le début de la crise économique et sociale qui a frappé le pays, la plus forte baisse de population (-1,75 %) a été enregistrée en 2018, résultant de la fuite de près de 5 millions de personnes en 5 ans. Ce phénomène s’explique par divers facteurs, notamment la misère sociale dans laquelle se trouvent presque 60 % des Vénézuéliens. L’impossibilité pour Caracas de rembourser sa dette souveraine, du fait d’une crise économique sans précédent et d’une hyperinflation continue, pèse fortement sur le pays, qui n’est toujours pas parvenu à suffisamment diversifier ses activités économiques. Mais le retour à une hausse du prix du baril de pétrole lui a permis de renouer en 2022 avec une croissance significative.
Le socialisme d’Hugo Chavez ne parvenait plus à trouver de solution pour relancer l’économie. Le Président Maduro, élu en 2013, a donc décidé de prendre un grand virage en mettant fin aux nationalisations à outrance engagées par son prédécesseur. Il a pris l’initiative de revendre des parts de marché à des entreprises privées en passant par la Bourse. Cette ouverture du capital des entreprises publiques vénézuéliennes a fait gonfler leur valeur marchande. Englué dans une période de récession et d’hyperinflation depuis 7 ans, le pays a enfin retrouvé le chemin de la croissance en 2022. Cependant, d’après plusieurs observateurs économiques, cela est principalement dû à l’augmentation du prix du pétrole en 2022, ce qui a permis à la République bolivarienne de récupérer des capitaux et de chercher des leviers de croissance pour les années à venir. Un accord pétrolier a été signé avec l’Iran en 2021, et la guerre en Ukraine a permis au Vénézuéla d’augmenter sa production. L’essor des exportations est une aubaine qui a réussi à stabiliser le déficit de la balance commerciale. Le pays possède, en effet, la plus grande réserve mondiale de pétrole brut prouvée dans le monde.
Les transactions en devises étrangères et l’assouplissement du contrôle des prix restent limités en raison des sanctions internationales qui pèsent sur l’exportation et l’achat du pétrole vénézuélien. Si les chiffres autour de l’exploitation et de la vente des ressources pétrolières sont bons, d’autres le sont moins, tels ceux du chômage ou des trafics illicites. Même si les prévisions sont encourageantes pour 2022 et 2023, le pétrole seul ne permettra pas de sécuriser une croissance durable pour le Vénézuéla, qui aura besoin d’asseoir sa reprise économique et son retour sur la scène internationale.
Les leviers de la sortie de crise
Caracas dispose de plusieurs leviers pour redresser son économie et amorcer une sortie de crise. Il y a d’abord ce qu’il a déjà entrepris d’activer, comme la dynamisation boursière. Le pays peut également suivre d’autres pistes, telles que la diversification de son économie, l’exploitation de son immense potentiel agricole ou celle de ses autres ressources de métaux précieux et de terres rares. Pour cela, il devra amorcer la reprise de ses relations diplomatiques sur la scène internationale, accepter des échanges plus fournis avec ses voisins, et s’inscrire dans une logique plus coopérative avec le reste du monde. La levée des sanctions sur l’exportation de ses productions pétrolières semble être le premier pas de son retour dans la compétition mondiale pour les hydrocarbures.
La stabilité politique interne du Vénézuéla et le chemin vers un gouvernement plus ouvert qui interagisse avec les forces d’opposition seront des éléments clés de la montée en puissance du pays dans les prochaines années. La reconnaissance d’élections libres et transparentes, reconnues par l’ensemble de la communauté internationale, est un prérequis pour que le Vénézuéla puisse participer plus largement aux transactions commerciales. L’apaisement des échanges avec le leader Juan Guaido, qui contestait jusqu’alors la légitimité de la présidence de Nicolas Maduro, confirme l’amorce d’un dialogue démocratique.
Un élément important pour la sortie de crise du pays a été activé par le nouveau Président colombien, Gustavo Petro, avec le dégel entre ces deux nations qui possèdent une frontière commune de plus de 2 200 km, et dont les relations avaient été interrompues ces trois dernières années. Cette normalisation a débuté avec le retour des relations commerciales. Elles ont été suivies par des discussions concernant la réouverture de la frontière, la reprise des relations militaires et le contrôle des trafics illégaux qui ont cours entre les deux pays. Le Vénézuéla, qui n’avait pas été invité au Sommet des Amériques qui s’est tenu aux États-Unis en juin 2022, a été soutenu par la Colombie et le Mexique, lesquels ont déploré son absence à ce rassemblement diplomatique stratégique. La reprise des échanges avec la Colombie renforce la position de Nicolas Maduro. Cela assoit sa légitimité comme Président du Vénézuéla, fait essentiel pour assurer son maintien à la tête de l’État et permettre la continuité de son mandat.
Le changement ces derniers mois dans le pays a été amorcé d’abord sur le plan politique par le gouvernement de Nicolas Maduro, qui est en bonne place dans les négociations face aux groupes de l’opposition. Malgré les sanctions américaines et la reconnaissance du gouvernement autoproclamé de Juan Guaido, son rival de droite, les États-Unis n’auront pas réussi à faire tomber le nouveau Chef de l’État ni à déstabiliser l’armée qui le soutient toujours. Le Président Maduro a été conforté dans ses fonctions, d’autant que son rival est en perte d’influence depuis son boycott des élections législatives en 2020, et qu’il n’est même plus membre de l’Assemblée bolivarienne.
Le chemin de la renaissance sera long
La reprise d’une relative croissance économique est un signe encourageant, mais ne peut pas être considérée comme une renaissance durable pour l’heure. Par ailleurs, de nombreuses problématiques continuent à peser sur la population vénézuélienne et les inégalités qui ont émergé durant la crise dans laquelle le pays a été plongé pendant tant d’années ne permettent pas d’espérer une résolution rapide. Des manifestations quotidiennes dénoncent encore les inégalités, la misère et l’inflation. Plus de la moitié de la population est sous le seuil de pauvreté et souffre d’une insécurité alimentaire chronique. Les observateurs estiment que 10 millions de Vénézuéliens n’arrivent pas à subvenir à leurs besoins chaque mois. Même si l’émergence d’une nouvelle économie basée sur la dollarisation relative de certains biens de consommation profite à une partie de la population, cela reste très minoritaire et tend à renforcer les inégalités avec ceux qui n’en bénéficient pas.
En outre, l’exode de 4 à 6 millions de personnes joue massivement sur le défaut de dynamisme économique et humain de la République bolivarienne. Elle peine à garder et à faire revenir sa population. Les principaux pays qui accueillent cette diaspora sont en premier lieu la Colombie, puis les autres voisins d’Amérique latine tels que le Pérou, le Brésil et le Chili. Cette immigration, qui a été ralentie sans pour autant s’arrêter pendant la pandémie de Covid-19, est un défi car il faut assurer l’intégration de ces populations. Mais elle peut aussi être un levier de croissance important et inédit pour ces pays d’accueil. Les manifestations récurrentes et l’insécurité croissante sont des menaces pour l’autorité du pouvoir en place. La répression sévit contre ces soulèvements populaires et occasionne de nombreuses entraves et violations de la liberté d’expression. L’ONU dénonce régulièrement cet autoritarisme et certains experts craignent même que soient commis des crimes contre l’humanité. Le climat d’impunité qui règne normalise la pratique de la torture et des conditions de détention abusives, qui ont contribué à faire du Vénézuéla un paria sur la scène internationale. La profonde crise des droits humains dénoncée par les ONG reste un frein à l’intégration plus large de Caracas dans le système mondial, et demeure un défi pour les futurs politiques du pays.
La guerre en Ukraine et son impact géopolitique sur le Vénézuéla
L’invasion de l’Ukraine par les forces armées russes en février 2022 a créé une onde de choc internationale. Même le Vénézuéla, pourtant géographiquement loin du conflit, a été impacté par cet évènement géopolitique majeur. La paralysie presque complète de l’Ukraine, berceau agricole pour le blé et dont le sol est riche en hydrocarbures et en gaz, a agité les marchés financiers et les échanges commerciaux dans le monde entier, faisant craindre des pénuries. Ce stress énergétique a pu participer à un retour timide de Caracas dans les négociations internationales. Les États-Unis, souhaitant entre autres diversifier leurs approvisionnements en gaz, ont effectué récemment une visite diplomatique au Vénézuéla. Des prisonniers auraient été libérés en échange d’un accord commercial. La situation actuelle ne permettant plus aux États-Unis de prétendre à l’importation de gaz russe, cela donne une chance à la République bolivarienne de bénéficier d’une levée partielle des sanctions qui la touchent et de reprendre un commerce avec son voisin nord-américain. Du fait de la crise énergétique mondiale inhérente au conflit Ukraine-Russie, l’allègement de l’embargo sur les sociétés pétrolières vénézuéliennes marque un dégel notable des relations entre les deux pays. Il faut espérer, pour la croissance économique du Vénézuéla, que le Président Maduro saura poursuivre sur la voie de l’apaisement diplomatique et faire fructifier les échanges.