Levier essentiel des relations bilatérales, la coopération éducative franco-indonésienne s’inscrit dans un vaste horizon culturel, scientifique et diplomatique. Stratégique par nature, elle façonne les élites, encourage la mobilité étudiante et stimule la circulation des savoirs. Dans cette perspective, la Déclaration conjointe Horizon 2050 a renforcé l’engagement de Paris et Jakarta à développer ce volet de leur coopération. Ce partenariat revêt une importance particulière pour l’Indonésie, dont le système éducatif doit accompagner une croissance démographique et économique rapide. Le pays investit de manière croissante dans l’éducation et la formation de son capital humain, devenu l’une de ses priorités nationales.
Par Deniz Sahin
La France et l’Indonésie s’efforcent de tirer mutuellement parti de leurs forces respectives : l’excellence scientifique française et la richesse académique indonésienne offrent des opportunités de coopération renforcée. Cependant, les établissements hexagonaux doivent inévitablement surmonter des obstacles pour rivaliser avec les partenariats historiques de l’Indonésie, longtemps tournés vers l’enseignement supérieur anglo-saxon ou néerlandais ou ayant des liens étroits avec les universités asiatiques. Parmi ces défis figurent la méconnaissance dans l’archipel du système français, les appréhensions liées à la langue, les distances géographique et culturelle, ainsi que le poids déterminant accordé aux classements internationaux.
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Mobilité étudiante croissante
Les compétences françaises sont toutefois reconnues dans les secteurs d’avenir identifiés comme prioritaires par l’Indonésie : aéronautique et spatial, agroalimentaire, santé et sciences de la vie, environnement et biodiversité, numérique.
Sur plus de 8 millions d’étudiants indonésiens, 53 000 poursuivent leurs études à l’étranger. La France en a accueilli près de 1 000 en 2020-2021, un chiffre en hausse régulière. Bien que l’Hexagone ne figure pas parmi les dix premières destinations, elle reste l’une des options européennes privilégiées, notamment en ingénierie, sciences sociales, arts et management. Les bourses (LPDP et Gouvernement français) jouent un rôle clé : un tiers des étudiants indonésiens en France en bénéficient. À cela s’ajoutent le développement de doubles diplômes et de masters conjoints, associant grandes écoles françaises (Sciences Po, INSA, Essec) et universités indonésiennes de premier plan. Cette dynamique est soutenue par un réseau de coopération universitaire en plein essor : plus de 210 accords sont aujourd’hui en vigueur, contre une quinzaine en 2012, incluant désormais des universités indonésiennes prestigieuses naguère peu associées, telles qu’Atma Jaya, UII, USU ou Airlangga.La recherche constitue un autre pilier majeur. Le programme PHC Nusantara finance des projets conjoints et favorise la mobilité de jeunes chercheurs. Le CNRS et son équivalent indonésien collaborent de longue date, et de nombreux accords de doubles diplômes ou de cotutelles renforcent cette coopération. Des initiatives comme le Consortium franco-indonésien en ingénierie et management (Ficem) illustrent la volonté des deux pays d’ancrer leurs partenariats dans les domaines scientifiques et technologiques d’avenir.
Former les architectes de la gouvernance
Au-delà des étudiants et chercheurs, la formation des élites administratives représente un instrument discret mais puissant de diplomatie d’influence. La coopération entre le Pusdiklat (centre de formation) indonésien et l’Académie diplomatique française, ainsi que les programmes internationaux de l’Institut national du service public (INSP), héritier de l’ENA, offrent aux cadres indonésiens une expérience unique de gouvernance publique européenne.
Ces formations ont déjà produit une génération d’anciens élèves occupant des postes stratégiques dans l’administration, la diplomatie et le secteur privé, constituant un réseau influent au service des relations bilatérales.
Parmi eux, le Dr Sapta Nirwandar, diplômé de la promotion Liberté-Égalité-Fraternité (1987-1989), a été Vice-Ministre du Tourisme et de l’Économie créative, et membre du comité du Programme de l’OMT pour la région Asie-Pacifique (2007-2013). Il est actuellement conseiller honoraire auprès du Ministre indonésien du Tourisme.
Gustaf Daud Sirait, diplômé de la promotion Jean-Monnet, est chef de chancellerie et coordinateur des affaires économiques et politiques à l’ambassade d’Indonésie à Astana. Il a également été représentant permanent adjoint auprès de la FAO, en charge des dossiers liés à l’IFAD et au WFP. Son expertise en sécurité alimentaire et en diplomatie multilatérale renforce les relations stratégiques entre l’Indonésie et les institutions internationales.
Mexind Suko Utomo, de la promotion Winston-Churchill, est aujourd’hui responsable des affaires publiques pour Airbus en Indonésie. Il a été honoré par le Gouvernement français lors des Trophées des Alumni en 2019, pour ses contributions à la coopération franco-indonésienne.
Diplômée de la promotion George-Orwell, Feliana Citradewi est la première indonésienne à avoir intégré l’INSP. Elle a par ailleurs obtenu un master en droit international et européen à Sciences Po Grenoble en 2014, puis un master à la Sorbonne en 2016. La même année, elle a facilité la visite en France du Ministre indonésien de la Réforme administrative et bureaucratique, qui a abouti à la signature d’un protocole d’accord avec l’ENA. Entrepreneuse dans le domaine digital, elle est également fondatrice et développeuse de plusieurs projets innovants et d’un club de soutien pour les femmes, combinant expertise en startups, stratégie et technologies numériques pour renforcer l’impact économique et social.
Au-delà d’un partenariat éducatif, une collaboration de long terme pour façonner une bonne gouvernance
Ces alumni incarnent le fruit d’un partenariat éducatif stratégique qui allie excellence académique et impact concret sur les politiques publiques. Dans ce contexte, la formation pour la haute administration ne constitue pas un simple exercice académique, mais s’impose comme une nécessité pour soutenir la modernisation de l’État et assurer une gouvernance adaptée aux réalités du pays. Ainsi, la formation des hauts fonctionnaires indonésiens en France s’inscrit dans une stratégie de long terme : elle prépare une génération d’élites familières des valeurs, des méthodes et des priorités françaises et européennes. En retour, ces élites enrichissent le dialogue en apportant leur connaissance fine des réalités asiatiques et indonésiennes.
La coopération éducative entre la France et l’Indonésie, telle qu’elle s’exprime à travers les programmes de l’INSP, fonde une alliance intellectuelle et institutionnelle qui participe de la construction d’une relation durable. En formant ensemble les hauts fonctionnaires de demain, Paris et Jakarta posent les jalons d’une diplomatie de confiance, ancrée dans le partage du savoir et la compréhension mutuelle. Dans un monde où les équilibres géopolitiques se redessinent, l’éducation apparaît comme l’un des leviers les plus subtils de l’influence. En ce sens, le partenariat éducatif franco-indonésien n’est pas seulement un chapitre secondaire de la relation bilatérale : il en constitue l’un des fondements les plus prometteurs pour l’avenir.