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La question énergétique ― et celle du prix des carburants ― s’est invitée dans la campagne présidentielle. Tous les candidats y sont allés de leur proposition. Alors qu’Emmanuel Macron vient d’être réélu pour un second mandat à la tête de l’État, quelles vont être ses décisions sur le sujet ?
Par Clément Airault
Le prix de l’essence augmente-t-il vraiment inexorablement d’année en année, pénalisant le pouvoir d’achat des Français ? Il n’est pas aisé de le dire, puisqu’il faut tenir compte des cours des prix des carburants sur une longue période, calculer leur évolution, afin de juger si oui ou non la hausse est réelle. Dans l’imaginaire collectif, on a tendance à croire que notre quotidien est toujours plus difficile, car le coût de la vie est de plus en plus cher. Or cette question est particulièrement prégnante à l’approche d’une élection présidentielle.
L’essence toujours plus chère ?
En 1984, Jean Fourastié et Béatrice Bazil assuraient dans leur ouvrage Pourquoi les prix baissent ? que, d’une manière générale, notre pouvoir d’achat augmentait constamment. Pour arriver à cette conclusion, ils estimaient qu’il convenait d’effectuer les calculs sur un prix constant pour rendre compte de la réalité des choses. En effet, le franc de 1960 n’avait pas grand-chose à voir avec celui de 1990, de même que pour 1 euro on n’achetait pas la même chose en 2003 qu’en 2021. Il s’agit de la même monnaie, de la même pièce, mais elle n’a pas la même valeur intrinsèque. Trente-huit ans plus tard, est-on en mesure de maintenir cette affirmation ? Cela coûte-t-il toujours plus cher de faire le plein de son véhicule ? Quand le prix au litre augmente, le prix au kilomètre augmente-t-il pour autant ? Il ne faut pas négliger le fait que les voitures consomment aujourd’hui beaucoup moins que dans les années 1960, mais il faut néanmoins prendre en compte le coût de leur entretien, qui ne cesse de croître.
Si on s’arrête aux chiffres, le prix de l’essence entre 1960 et 2007 a été exponentiel. Il est passé de 0,99 à 8,3 francs, soit une majoration de 738 %. L’augmentation, à partir du milieu des années 1980, a été similaire pour le gazole. Le premier choc pétrolier de 1973 fut à l’origine de la première hausse des prix des carburants, et en dépit d’une légère baisse au milieu des années 1980, le prix de l’essence n’a depuis cessé de grimper. En 1996, l’essence franchit les 6 francs au litre, pour ne jamais redescendre en dessous de cette barre, connaissant même une très forte hausse en 2004.
Ces derniers mois, l’inflation a progressé de manière historique. L’Insee l’a chiffrée à 4,5 % sur le seul mois de mars 2022. Une telle accélération ne s’était pas vue depuis décembre 1985. Quelles en sont les raisons ? La hausse du coût des hydrocarbures, qui a atteint presque 29 % sur les 12 derniers mois, a été montrée du doigt. L’invasion russe en Ukraine, le 24 février, a provoqué un boom des cours du pétrole, et en France un pic du prix du gazole, dont la Russie est un exportateur majeur.
Selon le ministère de la Transition écologique, le gazole a atteint la deuxième semaine de mars 2,14 €/L en moyenne sur l’ensemble du territoire (+ 26 centimes sur sept jours) et le sans-plomb 95-E10, 2,03 €/L (+ 16 centimes sur sept jours). Face à cette situation exceptionnelle, le Premier ministre Jean Castex a annoncé une remise exceptionnelle à la pompe de 18 centimes (15 centimes hors taxes) par litre, effective au 1er avril. Ce geste du Gouvernement, chiffré à 3 milliards d’euros de manque à gagner pour le budget de l’État, a été jugé insuffisant par de nombreux Français. Et les premières voix à s’élever pour dénoncer la faiblesse de la mesure au regard du poids des taxes sur les produits pétroliers (cf. encadré) furent celles des candidats à l’élection présidentielle.
Sujet de campagne
Comment faire en sorte de réduire le montant de la facture énergétique, et en particulier le prix des carburants à la pompe ? Chaque candidat a cherché à se démarquer sur cette question avant le 10 avril, date du premier tour de l’élection présidentielle.
Parmi les propositions, Valérie Pécresse promettait de baisser le prix du carburant de 25 centimes si elle était élue. Avec 4,8 % des voix, elle ne pourra mettre sa mesure à exécution. Nicolas Dupont-Aignan (2,1 % des voix) déclarait sur Europe 1 le 1er avril qu’avec la remise de 18 centimes, « le Gouvernement ristourne ». Il estimait qu’au cours du dernier quinquennat, l’État avait délibérément augmenté le gazole de 19 centimes, et que « donc, à la fin, il ne rend[ait] rien du tout ». Éric Zemmour (7,1 % des voix) proposait que les entreprises remboursent 50 % des frais de carburant de leurs salariés pour leur trajet domicile-travail, comme cela se fait pour les transports en commun. Dans le même registre, Yannick Jadot, le candidat écologiste (4,6 % des voix), souhaitait que l’employeur débourse 1 000 euros par an dans le cas d’une utilisation de transports respectueux de l’environnement (covoiturage, autopartage, etc.), et augmenter le montant du chèque énergie. Il voulait également soutenir les transports peu carbonés, notamment en créant un « fonds vélo » de 500 millions d’euros. Le candidat LFI, Jean-Luc Mélenchon, arrivé en 3e position (22 % des voix), avait prévu de bloquer les prix des carburants à 1,40 euro à la pompe, comme l’avait fait savoir Adrien Quatennens, coordinateur de LFI, le 16 mars sur RTL.
Qualifiée pour le second tour face à Emmanuel Macron (avec 23,1 % des suffrages contre 27,8 % pour le Président sortant), la candidate du RN Marine Le Pen s’était longuement attardée sur la question du coût de l’énergie pour les Français. « La population est toujours très sensible à la question du pouvoir d’achat, et toujours prompte à croire ceux qui lui jurent qu’il baisse », estimait dans Contrepoints l’historien économique Jean-Baptiste Noé en octobre 2021. Le prix du carburant est un marqueur important. Il fut en 2018 l’étincelle qui embrasa la France des gilets jaunes. Marine Le Pen a estimé, lors du débat de l’entre-deux tours du 20 avril, qu’Emmanuel Macron « a[vait] déclenché d’abord les problèmes de pouvoir d’achat pour les Français, mais également la crise des gilets jaunes ». Mais s’il est vrai que la remise de 18 centimes à la pompe consentie par le Gouvernement était destinée à éviter une crise nationale à la veille du premier tour, il est erroné de faire porter la hausse du prix de l’essence sur ce seul Gouvernement. Cette hausse n’est en effet que très partiellement imputable à l’augmentation des taxes, étant majoritairement liée aux variations extrêmes du cours du pétrole ces dernières années. La proportion des taxes dans le prix global du litre de carburant a en réalité diminué en cinq ans.
Néanmoins, la candidate du RN avait annoncé sa volonté d’annuler les hausses de la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) décidées entre 2015 et 2018, jusqu’à ce que le baril de pétrole soit repassé en dessous des 100 dollars. Selon elle, ceci aurait permis de faire baisser le prix du litre de gazole de 44 centimes et celui du litre d’essence de 34 centimes, pour tous les utilisateurs. Afin de financer cette mesure, elle défendait l’idée d’une taxe exceptionnelle sur les compagnies pétrolières.
Lors du débat du 20 avril, Marine Le Pen a également réitéré son souhait de « baisser de manière pérenne la TVA sur l’énergie de 20 % à 5,5 % ». Cette mesure, inscrite dans son programme, concernait à la fois le carburant, le gaz, l’électricité et le fioul. Mais cela semblait peut réaliste, car le taux de TVA à 20 % sur les carburants en France est régi par le droit européen, qui ne prévoit pas qu’une baisse en dessous de 15 % puisse être définitive. La candidate RN n’ayant pas été élue, il revient au Président Macron, lequel entame un second mandat, de trancher sur la question du prix du carburant.
Quels choix pour le nouveau Président ?
Le 25 janvier, alors qu’il était en déplacement en Haute-Vienne, le Chef de l’État estimait concernant la hausse du coût des carburants que « très peu de mesures [avaient] un impact substantiel sur quelque chose qui ne dépend[ait] pas de nous ». La réduction de 18 centimes à la pompe doit prendre fin au 1er août 2022, et il reste à espérer pour l’utilisateur que le cours du baril baisse. De son côté, le Gouvernement a réfléchi au relèvement du barème utilisé pour le calcul de l’indemnité kilométrique sur les frais réels dans la déclaration d’impôts. Cela concernerait 2,5 millions de foyers imposés. Mais aucune décision n’a été prise à ce jour. « Ce qu’on doit améliorer, c’est l’accompagnement sur l’essence », précisait Emmanuel Macron le 8 mars, à Poissy (Yvelines), lors de son premier déplacement en tant que candidat. Si peu de précisions ont été apportées par son équipe, il semble que la prolongation au-delà du mois d’août de l’aide sur les carburants soit ciblée sur « les travailleurs qui gagnent peu ainsi que les gros rouleurs ».
D’une manière générale, la dépense énergétique pour les consommateurs va continuer d’augmenter au fil des ans. La France est dépendante des cours mondiaux du pétrole, ce qui l’oblige à subventionner la baisse des prix des carburants en cas de hausse intempestive. La paix sociale est à ce prix. La seule solution, connue de longue date et rappelée par Emmanuel Macron le 25 janvier, est de « réduire notre dépendance aux hydrocarbures et aux énergies fossiles ».
Taxes sur les carburants
La marge de l’État
Les taxes représentent actuellement plus de la moitié du prix du carburant pour le consommateur final. Pour l’État, les recettes liées aux taxes sur les produits pétroliers sont une manne indispensable. Concrètement, deux taxes s’appliquent aux carburants.
La première est la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), anciennement appelée Taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP), qui s’applique sur tous les produits énergétiques servant de carburants ou de combustibles (à l’exception de ceux utilisés dans les transports aérien et fluvial). Le montant de cette taxe varie selon les régions. À titre d’exemple, pour 2022, la TICPE sur le gazole est de 0,62 €/L en Île-de-France et de 0,59 €/L en Corse. Pour le sans-plomb 98, elle est de 0,70 €/L en Île-de-France et de 0,67 €/L en Corse. En Auvergne-Rhône-Alpes, le président de région Laurent Wauquiez (LR) a proposé une baisse de 20 % de la taxe régionale sur le carburant (soit la portion de la TICPE qui lui revient), conformément à un engagement annoncé au début du mois de décembre 2018.
La seconde taxe qui touche les produits pétroliers est la TVA. Des taux réduits sont prévus pour certaines personnes utilisant les carburants routiers dans le cadre de leur profession. Le taux normal de la TVA est de 20 %. Cette taxe s’applique non seulement sur le coût du produit, mais aussi sur le montant de la TICPE ― soit une double taxation, ce qui révolte les usagers et les associations de consommateurs. En 2019, UFC-Que Choisir a initié une pétition réclamant la fin de cette double taxation. En vain. Selon les données de l’Union française des industries pétrolières (UFIP), la TVA sur produit représente 0,20 € sur un litre de gazole à 1,98 € (au 18 mars 2022). La TVA sur taxe est pour sa part équivalente à 0,12 €. Le montant total des taxes représente 47,3 % du prix du gazole.