C’était une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron, et ce fut l’un des principaux points de crispation pour les « gilets jaunes » : la suppression de l’ISF. Ou plutôt son remplacement par l’IFI. Le Chef de l’État avait affirmé que si les résultats escomptés n’étaient pas au rendez-vous, la réforme serait corrigée. Cinq ans plus tard, quel en est le bilan ?
Par Marie Forest
Pour étudier la pertinence du remplacement de l’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF) par un Impôt sur la fortune immobilière (IFI) et l’instauration du Prélèvement forfaitaire unique (PFU) sur les revenus du capital, France Stratégie, organisme dépendant du Gouvernement, a mis en place un comité d’évaluation des réformes de la fiscalité du capital en décembre 2018, soit un an après le lancement de sa profonde rénovation. Régulièrement, ce comité, constitué d’économistes, de représentants de l’Insee et de partenaires sociaux, analyse les données macroéconomiques pour que l’exécutif puisse se forger une opinion. De son côté, le Sénat a également rendu un rapport d’évaluation de la Commission des finances. Divers constats ont pu être faits.
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Historique
Prélèvement à haute portée idéologique s’il en est, l’impôt sur la fortune a fait son apparition dans le paysage français en 1982, avec l’accession à la présidence de François Mitterrand. Il est d’abord appelé Impôt sur les grandes fortunes (IGF), et a pour objet de faire davantage participer les plus riches aux besoins de la nation. Jacques Chirac, à son arrivée à la tête du Gouvernement en 1987, le supprime, souscrivant ainsi aux desiderata du Conseil national du patronat français (CNPF). Mais cet impôt est rapidement rétabli, en 1989, lors de la réélection de François Mitterrand, sous le nom d’Impôt de solidarité sur la fortune (ISF). L’argument invoqué est qu’il servira à financer le Revenu minimum d’insertion (RMI). Ce prélèvement est alors presque une « exception française » : selon l’ONG Oxfam, dans le monde, 4 % seulement de la fiscalité provient d’un impôt de cette nature.
En 2018, Emmanuel Macron décide de le remplacer par un Impôt sur la fortune immobilière (IFI), afin de faire sortir de la base imposable les actifs mobiliers. Ces derniers se voient appliquer un Prélèvement forfaitaire unique (PFU), ou « flat tax », de 30 % (soit un taux forfaitaire d’Impôt sur le revenu [IR] de 12,8 % auquel s’ajoute un taux global de prélèvements sociaux porté à 17,2 %), en remplacement de leur taxation au barème de l’IR. Le but est de simplifier et rendre plus lisible la fiscalité des revenus de l’épargne (intérêts, dividendes…).
Arguments
L’argument principal en faveur de la création de l’ISF était d’intensifier la redistribution des richesses, et donc d’éviter l’accentuation des inégalités patrimoniales. Mais les opposants à cette mesure, qualifiée d’« impôt idéologique » par ses détracteurs, soulevaient divers écueils. Tout d’abord, cette retenue s’additionnait à la taxe foncière pour les biens immobiliers, ainsi qu’aux droits de succession (qui sont aussi une retenue sur le patrimoine). De plus, les revenus versés dans un actif mobilier ou un bien immobilier ayant déjà été imposés au moment où ils ont été perçus, l’ISF faisait « double emploi ». Enfin, apparaissait un risque d’expatriation fiscale vers des pays à l’imposition moins lourde (les huit autres États de l’Union européenne où un tel impôt était en vigueur l’ont tous supprimé), et donc un appauvrissement de la France. Selon l’économiste Patrick Artus, cela « coûterait deux fois en TVA non perçue ce que ça rapporterait ».
Concernant ce dernier point, la parade imaginée par Emmanuel Macron a été de transformer l’ISF par l’IFI. Sortir le revenu du capital de l’assiette assujettie devrait selon lui créer « un environnement favorable pour les investisseurs français et étrangers », et ainsi freiner l’exil fiscal des plus fortunés. Son credo : exonérer « tout ce qui finance l’économie réelle » pour réorienter l’épargne des Français vers l’économie productive. Mais des iniquités induites par ce système ont été pointées du doigt, comme le fait que certaines valeurs mobilières luxueuses, tels les yachts ou les jets privés, n’étaient pas prises en compte dans l’IFI, contrairement à l’ISF ; ou que l’IFI constituait un impôt sur la « valeur imaginaire » d’un bien, qui au moment de sa vente pourrait être bien différente que celle estimée. De plus, la possession d’un patrimoine fortement valorisé n’est pas nécessairement associé à des revenus importants, ce qui peut mettre des propriétaires en difficulté.
Bilan
Le résultat le plus tangible de la transformation de l’ISF en IFI semble être le ralentissement de l’exil fiscal, dès 2018. Selon Albéric de Montgolfier, rapporteur général (LR) de la Commission des finances, il « semblerait qu’il y ait eu un impact positif sur le nombre de départs » de contribuables à l’étranger. Au point que le solde des retours par rapport aux départs est depuis cette date positif. Les conséquences financières sont toutefois à nuancer. Les quelques centaines d’impatriations fiscales observées chaque année sont à mettre en perspective avec les 150 000 contribuables assujettis à l’IFI. De plus, Cédric Audenis, commissaire général adjoint à France Stratégie, reste prudent : le lien entre ces retours ou arrivées et le passage de l’ISF à l’IFI « n’est pas une évaluation scientifique mais […] une présomption ».
Concernant le poids de la fiscalité sur les actifs mobiliers, « les réformes de 2018 ont conduit à ramener les taux d’imposition de la France […] à des niveaux proches de la moyenne observée dans les principaux pays développés », constate France Stratégie. En 2020, les recettes de taxation sur le capital ont en effet représenté 23 % des prélèvements obligatoires, contre une moyenne de 20 % dans l’Union européenne. Néanmoins, « exprimés en pourcentage du PIB, les prélèvements sur le capital en France demeurent parmi les plus élevés en termes de standards internationaux » — en contrepartie il est vrai de dépenses publiques, et notamment une protection sociale, plus importantes qu’ailleurs. Et naturellement, concernant l’immobilier, l’Hexagone taxe et impose bien plus fortement que les autres États. L’IFI est venue s’ajouter à une TVA élevée et une forte fiscalité locale. Or, avant même cette imposition, en 2014, le cabinet d’avocats Fidal avait sorti une étude concluant que « tant pour la construction que pour la vente de logements neufs, la France présentait le niveau d’imposition le plus élevé d’Europe ».
Pour ce qui est des répercussions sur l’épargne, France Stratégie estime impossible pour le moment de savoir si la suppression de l’ISF a permis une réorientation vers le financement des entreprises, car « les fluctuations des variables agrégées résultent de l’addition de multiples facteurs, de nature très diverse. » De plus, le contexte socioéconomique (Covid-19, guerre en Ukraine…) a brouillé le jeu et n’a pas permis d’en mesurer avec précision l’impact. Le constat a cependant été fait que l’ensemble des revenus du capital soumis à l’impôt sur le revenu, puis éligibles au PFU, a connu une forte hausse, passant de moins de 35 milliards d’euros en 2017 à 45 milliards en 2018. Pour autant, la provenance de cet argent ne tiendrait pas tant à de nouveaux investissements qu’au déblocage d’investissements anciens, faits par un faible nombre de foyers fiscaux, et « ne semble donc pas liée à un phénomène de redénomination de revenus déjà existant ». Difficile donc de tirer des conclusions définitives.
Un bilan en demi-teinte, donc. Alors que l’ISF avait rapporté 4,2 milliards d’euros en 2017, l’IFI a rapporté 1,3 milliard l’année suivante (1,67 milliard en 2021). Pour Vincent Eblé, président (PS) de la Commission des Finances, « il n’a pas permis de remédier à l’iniquité de l’ISF », certains des plus grands patrimoines financiers échappant à l’assujettissement à l’IFI : 18 % des patrimoines supérieurs à 10 millions d’euros sont exonérés, alors que 20 % des redevables de l’IFI ont un revenu inférieur à 60 000 euros.
Globalement, en 2022 comme en 2021, France Stratégie ne peut confirmer ni infirmer la pertinence du remplacement de l’ISF. Elle estime que « l’observation des grandes variables économiques — croissance, investissement, flux de placements financiers des ménages, etc. — avant et après les réformes ne suffit pas pour conclure sur l’effet réel de ces réformes ».