Le système de santé tchadien est confronté à de nombreux défis humains, techniques et financiers. Une stratégie globale a été élaborée pour faire en sorte que, d’ici 2030, selon la vision du Chef de l’État, ce système de santé soit intégré, performant, résilient, et centré sur la personne.
Par Abdoulaye Thiam
Le profil épidémiologique du Tchad est caractérisé par une récurrence de maladies endémiques et épidémiques, au premier rang desquelles figurent le paludisme, la tuberculose, les Infections respiratoires aigües (IRA), le VIH/sida et la diarrhée. À cela s’ajoutent les maladies émergentes et réémergentes. Récemment, le pays a connu des épidémies de chikungunya, d’hépatite E, de fièvre jaune et de rougeole. En dépit des efforts fournis par le Ministère de la Santé publique et de la Prévention (MSPP), le paludisme représente à lui seul 57,29 % des consultations aux Centres de santé, 30 % des hospitalisations et 35 % des décès qui surviennent dans les formations sanitaires. Même nul n’est épargné, les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes sont les plus touchés. Cette situation se traduit par un taux de mortalité néonatale estimé à 33 ‰, de mortalité infanto-juvénile de 122 ‰, et de mortalité maternelle à 860 pour 100 000 naissances vivantes.
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Des défis
Le système de santé est confronté à de nombreux défis, notamment en termes de leadership et de gouvernance. On observe des manques dans le système de gestion de la performance (suivi et évaluation des plans), une insuffisance de la coordination entre les programmes, une faible diplomatie sanitaire, mais aussi un manque de culture de responsabilité, de transparence et de redevabilité. D’une manière générale, il y a peu de développement de l’approche multisectorielle dans le secteur de la santé.
Des défis existent également sur le plan du financement, avec une trop maigre allocation et une difficulté à mobiliser des crédits délégués, un retard dans le décaissement des fonds au Trésor public, un bas niveau de plaidoyer financier auprès des bailleurs de fonds locaux et internationaux, un manque d’efficience dans l’utilisation des ressources, et une faible accessibilité financière aux soins de santé.
Sur le plan des ressources humaines, le personnel est insuffisant, en nombre et en qualité, et on observe une répartition inégale de ces ressources selon les régions et les zones géographiques. D’autre part, la formation initiale est inadéquate et le système d’encadrement de la formation continue est absent. Le Système d’information sanitaire (SIS) est également soumis à des défis dans sa coordination, et ce à tous les niveaux. Ses données sont en trop faible quantité et manquent de fiabilité.
Du point de vue des médicaments, des vaccins et de la technologie, il est à noter un mauvais taux de disponibilité des médicaments essentiels (35 %), une difficulté du recouvrement des créances auprès du Gouvernement, un manque de moyens logistiques pour la chaîne d’approvisionnement, une pénurie d’équipements biomédicaux essentiels (imagerie, GeneXpert®), et une faiblesse du système de maintenance des équipements biomédicaux.
Des réformes majeures
Pour faire face à tous ces défis, le Gouvernement, au travers du MSPP, a entrepris plusieurs réformes, dont celle de l’École nationale supérieure des agents sanitaires et sociaux (ENSASS), qui a abouti à son orientation vers le système Licence-master-doctorat (LMD).
La Stratégie nationale de la Couverture sanitaire universelle (SNCSU), adoptée par le Gouvernement en 2015, met un accent particulier sur les questions liées à la prévention, la protection financière, l’équité dans l’accès aux services de santé, la qualité des services, le développement des ressources humaines, le renforcement du système de santé et la durabilité.
Dans le cadre du processus d’opérationnalisation de la SNCSU, deux lois ont été promulguées. Il s’agit de la loi n° 035/PR/2019 du 5 août 2019, instituant une Couverture santé universelle (CSU), et de la loi n° 026/PR/2020 du 31 décembre 2020, créant la Caisse nationale d’assurance santé (CNAS). L’adoption du cadre juridique de la CSU s’est poursuivie par la signature du décret n° 0577/PCMT/PMT/MSPSN/2021 du 15 octobre 2021, portant organisation et fonctionnement de la CNAS. Des dispositions budgétaires qui dédient des taxes spécifiques (identifiées par une étude sur les financements innovants) à la CSU ont été prises en compte dans les lois de finance 2020, 2021 et 2022.
La loi n° 035/PR/2019 sur la CSU prévoit trois régimes, dont les deux premiers sont contributifs. Il s’agit du régime de l’Assurance santé des salariés (ASS) pour les travailleurs salariés du public et privé, du régime de l’Assurance santé des indépendants (ASI) pour les travailleurs indépendants, et du régime de l’Assistance médicale (AMED) pour les personnes économiquement démunies. Cette loi mandate la CNAS pour la gestion des trois régimes et stipule la possibilité de confier certaines fonctions du dispositif d’assurance santé à des Organismes de gestion déléguée (OGD), à l’exemple des mutuelles et de certaines ONG intervenant dans le domaine de la santé. La délégation est effectuée via un contrat de gestion. Elle prévoit également la création de l’Agence nationale de régulation de la CSU, qui fusionne les instances de coordination et de pilotage actuelles de la SNCSU (CJC/SNCSU, CTS et HC).
Un système tourné vers l’humain
La santé communautaire a pour but de rapprocher davantage les bénéficiaires des services de soins. Une prise en charge précoce à domicile permet d’éviter des complications dont la prise en charge serait nécessairement plus chère en termes de temps et de ressources. Le cadre juridique pour le développement de la santé communautaire est renforcé par la mise en place de plusieurs actes officiels définissant la santé communautaire et ses attributions.
Cependant, le statut juridique de l’Agent de santé communautaire (ASC) reste à définir. La Stratégie nationale de santé communautaire 2015-2018 n’a été que partiellement mise en œuvre, faute de financement adéquat. Cette Stratégie, révisée en 2021, a été adoptée et accompagnée d’un nouveau Plan stratégique 2021-2025, mais sans plan de mobilisation de ressources financières. Il est à noter que les interventions retenues pour être menées au niveau communautaire sont diverses et peu intégrées, ce qui fait que les interventions verticales sont toujours de mise. Il existe également peu de synergie dans la couverture géographique des interventions car chaque programme intervient uniquement pour ses propres objectifs.
La culture de la gestion axée sur les résultats et de la redevabilité demeure faible en raison de la non mise en place d’un budget adapté. Le contrôle de la gestion des ressources a cependant été amélioré grâce au renforcement de l’Inspection générale du MSPP, aux missions ponctuelles du Contrôle d’État et à la réalisation d’audits. Cela a permis la restauration progressive de l’obligation de rendre compte. Malgré tout, les moyens dont dispose l’Inspection générale demeurent encore insuffisants pour lui permettre de remplir convenablement sa mission.
Depuis les années 1980, les services de santé sont déconcentrés avec une délégation de pouvoirs aux niveaux des Délégations provinciales de la santé publique et de la prévention (DPSPP) et des districts sanitaires. Mais dans la pratique, les pouvoirs de décision restent très fortement centralisés. Les centres de santé sont créés depuis le niveau central sans tenir compte des textes en vigueur ni des avis techniques des districts et délégations. Cette situation a pour conséquence une création anarchique des formations sanitaires, dont la viabilité n’est pas souvent garantie, et désorganise le plan de développement global. Le manque de déconcentration effective limite la prise de décisions à ces niveaux pour améliorer la prise en charge des populations.
Une volonté politique
Les collectivités locales sont décentralisées, mais elles n’ont pas toujours le pouvoir de décision sur les services de santé à cause du retard enregistré dans l’application des textes de la décentralisation de façon générale, et de l’absence de définition claire de leurs responsabilités dans la gestion des services déconcentrés et décentralisés en particulier. Au niveau de la DPSPP de N’Djamena, un accord de collaboration signé avec la mairie lui permet de créer et de gérer les centres de santé publique.
Le dialogue politique concernant la santé a commencé au Tchad en 2012. Cependant, les organes de mise en œuvre de ce dialogue ne sont pas fonctionnels. La Police sanitaire, créée par le décret n° 1611/PR/MSP/2019 du 3 octobre 2019, est chargée de promouvoir l’information, la sensibilisation, la communication sociale en matière de santé, d’hygiène publique et de protection de l’environnement. Elle doit procéder à la recherche et la constatation des infractions en matière d’hygiène et d’assainissement, à leur répression conformément à la législation en vigueur, et plus spécifiquement à faire face à tous les problèmes liés à la santé, l’hygiène publique et l’environnement. Elle doit, à cet effet, lutter contre les médicaments de la rue, les aliments malsains ou périmés, le mauvais environnement, le tabagisme, et globalement toutes les infractions aux textes.
Toutes ces réformes s’inspirent de la vision du Chef de l’État en matière de santé. Il voudrait que d’ici 2030, le système de santé du Tchad soit intégré, performant et résilient. Ce système doit être axé en particulier sur les groupes vulnérables, dans le cadre de la CSU mise en œuvre par le Gouvernement avec l’appui des partenaires et l’adhésion des populations. In fine, il s’agit d’assurer aux Tchadiens l’accès universel à des soins de santé de qualité, globaux, continus et centrés sur la personne, afin de contribuer efficacement au développement socioéconomique du pays. Très préoccupé par la santé de la population, le Chef de l’État, en dépit de son agenda chargé, tient régulièrement des réunions, dites « réunions du 24 », qui servent de cadre de suivi des indicateurs de la santé. C’est un exercice unique en son genre et qui témoigne de l’intérêt que porte le Président de la Transition à la santé de sa population.