Le Président Emmanuel Macron a déclaré le 21 octobre 2022 que la France se retirait du Traité sur la Charte de l’énergie. Une annonce importante qui souligne un changement de priorité du Gouvernement dans la gestion de sa politique énergétique nationale vis-à-vis de sa coopération internationale.
Par Clarisse Laffarguette
Depuis le début de l’invasion russe en Ukraine le 24 février, le sujet de l’énergie a été remis sur le devant de la scène en Europe, et notamment en France. Les contraintes de développement durable, de souveraineté et d’autosuffisance énergétique inondent les discussions et doivent faire l’objet d’une ligne politique forte et organisée. La récente annonce du Président Macron, lors du Sommet européen à Bruxelles, du retrait de la France du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) sonne comme un engagement fort en faveur de l’environnement.
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Le TCE : principes et application
La gestion de l’énergie se heurte régulièrement aux accords et impératifs gouvernementaux auxquels la France doit souscrire pour répondre aux enjeux du réchauffement climatique. Le TCE est un accord d’investissement international multilatéral pour organiser la coopération transfrontalière dans le secteur de l’énergie. Signé en 1994 par l’ensemble des États de l’Union européenne et par des anciens pays membres de la Communauté des États indépendants de l’ex-URSS en Europe, c’est un accord contraignant qui comprend en lui-même des méthodes de règlements en cas de conflit. L’essence du Traité, qui est économique, ne porte pas sur le climat ni sur l’autonomie souveraine en matière d’énergie pour les États. Au sortir de la guerre froide, il s’agissait avant tout d’intégrer les pays d’Europe de l’Ouest et les anciens membres du bloc soviétique afin de sécuriser l’approvisionnement de l’ensemble du continent en énergies fossiles.
Or, l’Europe du XXIe siècle fait face à de nouveaux défis et l’énergie est un enjeu clé. Le Traité devait promouvoir la coopération des États dans le secteur en assurant des marchés ouverts et concurrentiels, ce qui n’était jusqu’alors pas le cas, dans le but d’atteindre la sécurité énergétique pour tous les États de la zone. Ses fondements organisent les investissements étrangers, garantissent une concurrence libre et ouverte, empêchent la manipulation des marchés, garantissent une distribution équitable et permanente, tout en créant des conditions favorables et stables pour les investisseurs du secteur.
Cependant, les dysfonctionnements de ce traité, illustrés par des affaires juridiques retentissantes, se sont renforcés avec l’émergence de nouvelles priorités économiques et de coopération européenne. L’affaire Ioukos,qui a duré presque une dizaine d’années, s’est d’ailleurs soldée par une amende record de 50 milliards de dollars en faveur des investisseurs.
Dès le départ étaient prévues dans le TCE les conditions selon lesquelles une partie contractante pouvait s’en retirer, notamment l’article 47-2 qui définit un délai d’un an, après la notification par l’État concerné de sa décision à la Conférence sur la Charte de l’énergie, pour en être définitivement libéré. Par ailleurs, pour des raisons de continuité, le Traité prévoit aussi une « clause de survie » stipulant que les investissements pour les énergies fossiles continueront de s’appliquer sur une période de 20 ans après le retrait du pays. Ce sont ces dispositions qui ont prêté à de nombreux contentieux entre investisseurs et États à la suite de changements de politiques dans ce secteur.
La ligne énergétique et environnementale du gouvernement Macron
La décision du Chef de l’État français de quitter le TCE repose sur une ligne politique renouvelée, portant sur la réforme des investissements dans le secteur de l’énergie. Il veut d’abord améliorer les pratiques énergétiques grâce à un Plan climat ambitieux. Ce plan, en œuvre depuis 2017, a pour but de remplir les engagements signés lors de l’accord de Paris issu de la COP21 en 2015 afin de contribuer à la solidarité climatique. Le mot d’ordre est la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il faut pour cela inciter financièrement les acteurs, et ce à tous les niveaux. Parmi ces mesures figurent l’encouragement à l’autoconsommation d’énergies renouvelables, notamment à destination des particuliers, plusieurs aides à la transition telles que la prime à la conversion des véhicules, et la feuille de route pour l’économie circulaire à destination des PME pour une meilleure gestion des déchets et de l’énergie dans le cadre de leurs activités.
Un autre axe majeur de la politique gouvernementale réside dans la volonté d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Cela signifie que le Gouvernement ne permet plus d’explorer de nouveaux gisements d’hydrocarbures et que la fiscalité écologique est durcie concernant les énergies fossiles. Cet objectif s’applique conformément à la Stratégie nationale bas-carbone, dont une mise à jour a été adoptée en mars 2020, la France s’engageant à réduire ses émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à 1990.
Cette volonté de « décarbonation » était déjà inscrite dans la loi du 30 décembre 2017 mettant fin à la recherche et à l’exploitation d’hydrocarbures sur le territoire français, ainsi que la sortie graduelle de la production de pétrole et de gaz d’ici à 2040. Cependant, les défauts d’application de ces engagements avaient été pointés du doigt par le Haut conseil pour le climat (HCC) en 2021, et ont été condamnés le 3 février 2021 par la justice qui accusait l’État de préjudice écologique et lui donnait jusqu’à fin 2022 pour le réparer. Entre les objectifs et la réalisation, les obstacles sont nombreux et les critiques sur les revirements politiques du Gouvernement s’intensifient.
Modernisation insuffisante et non conforme au droit européen
Le retrait du TCE annoncé par le Président Macron marque une prise de position forte en faveur de l’UE et de l’environnement, contre une logique libérale et économique d’investissement. Il ne s’agit donc pas d’un changement de politique mais de la réaffirmation de son tropisme européen vers la mutualisation des efforts. Le Chef de l’État et son Gouvernement promeuvent la logique d’investissement mais souhaitent que cela aille dans le sens de la transition écologique pour l’atteinte des objectifs climatiques fixés par l’UE et l’accord de Paris sur le climat. Par ailleurs, du fait de ses failles, le TCE a pu favoriser les investisseurs qui soutenaient les énergies fossiles, ce qui va à l’encontre des intentions de la politique énergétique annoncée.
Malgré une récente modernisation, le TCE n’apparaît plus suffisant et serait non conforme au droit européen. C’est ce qu’a affirmé la Cour de justice de l’UE, dénonçant les mécanismes de règlement des différends qui ne suivent pas les principes européens. Le TCE a été très décrié par les ONG environnementales et les militants écologistes car il permettait aux investisseurs de se retourner contre les États signataires si ceux-ci portaient atteinte à leurs investissements. Il est pour cela toujours critiqué, et est un exemple imparfait de la coopération internationale en matière d’énergie. D’autres pays avaient déjà pris la décision de se retirer du Traité pour des raisons similaires. Peut-être faut-il aussi y voir un repli nationaliste en matière de gestion des politiques environnementales et énergétiques.