Depuis son accession au pouvoir en 2019, Kassym-Jomart Tokayev a engagé de profondes réformes politiques et sociales. Ces dernières se sont accélérées en 2022, en réponse aux évènements de janvier.
Par Antoine Boggi
« Les réformes politiques se poursuivront », déclarait, en mai 2020, le Président Tokayev à un quotidien kazakhstanais. Il évoquait à cette occasion le fait que les partis politiques assuraient un quota de 30 % de femmes et de jeunes aux élections au Parlement, et la modification par le Parlement de la loi sur les manifestations pacifiques, « un document important en vue de démocratiser davantage le pays ». Force est de constater qu’il a tenu sa parole.
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Mise en place d’un dialogue
Dès sa prise de fonction en 2019, le Chef de l’État a souhaité insuffler un vent de nouveauté sur le pays. Cela passait par une série de réformes en profondeur : la décentralisation du pouvoir, l’institutionnalisation de l’opposition politique, la participation du peuple, la responsabilité et une gouvernance locale fortes, ainsi qu’une répartition équitable des richesses. Ces sujets font partie des priorités de l’État en matière politique depuis trois ans. De plus, Kassym-Jomart Tokayev précisait dans une interview accordée fin 2019 à L’Essentiel des relations internationales : « Une attention particulière sera apportée au renforcement de la société civile. Un travail est déjà en cours dans cette direction, et cela rentre dans le cadre de mon concept d’un État à l’écoute. »
Afin de mettre en place un dialogue basé sur la confiance, le Chef de l’État a décidé de créer un Conseil national pour la confiance du public, qui compte dans ses rangs des personnalités politiques connues, des militants et des représentants des milieux d’affaires. L’objectif était de proposer de nouvelles approches pour résoudre les problèmes politiques et socioéconomiques auxquels faisait alors face le Kazakhstan. L’autre orientation de l’action du Président vise à trouver des solutions à même d’améliorer le niveau de vie des populations. « Cela passe par une éducation de qualité, des soins médicaux accessibles, une bonne protection sociale, un accès généralisé à l’eau potable et des routes modernes », détaillait-il alors.
En dépit des réformes initiées, le pays a connu, en début d’année 2022, des mouvements sociaux d’une ampleur inégalée dans l’histoire de la jeune République. Ces évènements, qui ont été qualifiés de « tentative de coup d’État » par le Président Tokayev, ont entraîné une accélération du processus de réforme. Dans son discours à la Nation du 16 mars 2022, le Chef de l’État a annoncé la mise en œuvre de changements politiques de grande ampleur.
Il a soumis au vote du peuple kazakhstanais la révision de plus d’une trentaine d’articles de la Constitution de 1995 lors d’un référendum national sur les amendements et les ajouts à la Constitution, organisé le 5 juin dernier. Cette révision a été adoptée par 77,18 % des votants avec un taux de participation de 68,05 %. Les résultats de ce plébiscite ont conduit à la formation d’un nouveau modèle d’interaction entre les différentes branches du Gouvernement, pour permettre aux citoyens de participer à la gouvernance et renforcer les garanties de protection des droits de l’homme et des libertés. Le 5 novembre 2022, faisant suite au référendum, le Président Kassym-Jomart Tokayev a promulgué six lois importantes.
Bonne gouvernance
Jusqu’à présent, l’équilibre du pouvoir reposait sur la formule « Président fort – Parlement influent – Gouvernement responsable ». Désormais, l’ensemble des propositions du Chef de l’État ont pour but de renforcer la démocratisation du système politique kazakhstanais. L’équilibre des pouvoirs s’améliore, avec la limitation de ceux du Président. Le 16 mars dernier, Kassym-Jomart Tokayev a proposé que le Président en exercice ne puisse pas être membre d’un parti politique. Il a aussi tracé les pistes d’une éventuelle réforme de l’élection des parlementaires, dans laquelle le nombre de députés et sénateurs nommés directement ou indirectement par le Président de la République serait réduit. À l’avenir, 70 % des parlementaires seront élus au scrutin proportionnel, 30 % au scrutin majoritaire.
S’exprimant devant le Parlement, Kassym-Jomart Tokayev annonçait vouloir réformer les pouvoirs du Président afin de développer un système politique dans lequel le Parlement aurait un poids plus important. C’est aujourd’hui le cas. Le rôle et l’indépendance du Majilis (Chambre basse du Parlement) et des maslikhats (organes représentatifs locaux) ont été renforcés. La « Loi constitutionnelle sur les amendements et les ajouts à certaines lois constitutionnelles de la République du Kazakhstan sur la mise en œuvre du discours du Chef de l’État du 16 mars 2022 » ont introduit une procédure de révocation des membres du Majilis et des maslikhats élus dans une circonscription uninominale dans le cas où les citoyens auraient perdu confiance en ces membres.
L’enregistrement de nouveaux partis politiques sera facilité, en réduisant le nombre minimum requis de militants (de 20 000 à 5 000) pour la création d’un parti. A aussi été annoncée la recréation de trois provinces qui avaient fusionné avec d’autres au début des années 1990.
La lutte contre la corruption est l’un des grands chantiers du Chef de l’État, et la loi interdit désormais aux proches du Président d’exercer des responsabilités politiques ou bien encore d’occuper des postes de direction dans des entreprises publiques. C’est une rupture majeure avec ce qui se pratiquait avant, et une mesure inédite en Asie centrale.
Kassym-Jomart Tokayev a également proposé de modifier le mode d’élection du Président de la République, afin que ce dernier, auparavant élu au scrutin uninominal majoritaire à deux tours pour un mandat de cinq ans renouvelable, soit désormais élu pour un mandat de sept ans non renouvelable. Ce projet a été validé par le Conseil constitutionnel le 13 septembre dernier.
Droits de l’homme et justice
La première des six lois promulguées concerne la mise en place, à partir de janvier 2023, d’une Cour constitutionnelle, composée de 11 juges, dont le président et son suppléant. C’était l’une des propositions présidentielles lors du discours du 16 mars dernier. La Cour constitutionnelle, en tant que successeur légal du Conseil constitutionnel, examinera les questions précédemment traitées par ce dernier. Cela comprend les questions sur l’opportunité d’organiser des élections et des référendums, l’interprétation officielle des normes de la Constitution, et d’autres sujets connexes. La grande évolution réside dans la possibilité, pour toute personne estimant que des actes juridiques violent ses droits constitutionnels, de saisir la Cour. Le procureur général, dont le rôle est modifié, via la Loi constitutionnelle « sur le Parquet général », peut saisir la Cour constitutionnelle pour diverses violations des droits constitutionnels des citoyens, et le Commissaire aux droits de l’homme peut s’adresser à elle pour des questions concernant les droits et libertés constitutionnels des citoyens.
La loi constitutionnelle « sur le Commissaire aux droits de l’homme de la République du Kazakhstan » renforce d’ailleurs fortement les fonctions de ce dernier. Il obtient le droit de visiter sans restriction les organisations qui fournissent des services sociaux spéciaux et les institutions du système pénitentiaire. Il examinera les plaintes des citoyens, des étrangers et des apatrides au Kazakhstan. Il peut demander au tribunal de défendre des personnes dont les droits ou libertés auraient été violés par des décisions ou des actions de l’État. Le Commissaire peut également soumettre des recommandations et des propositions au Gouvernement et aux organes de l’État sur les mesures visant à prévenir les violations et à rétablir les droits et libertés des citoyens. Il convient de mentionner que le Commissaire bénéficiera d’une immunité et de garanties d’autonomie et ne sera pas responsable devant les agences et les fonctionnaires du Gouvernement.
Transparence
La réponse gouvernementale aux évènements de janvier
Le gouvernement du Kazakhstan confirme que l’enquête sur les évènements de janvier 2022 par les forces de l’ordre se poursuit. Selon le Parquet général, à la date du 10 novembre 2022, 324 enquêtes préliminaires ont été ouvertes pour usage de la torture et abus de pouvoir, dont 29 contre des agents des forces de l’ordre. Cinq officiers de police, dont trois officiers du Département de la police criminelle, un inspecteur du Département de la police administrative et un officier de l’Unité spéciale d’intervention rapide, sont en cours de jugement pour des actes de torture au titre de l’article 146 du Code pénal du Kazakhstan.
Le 27 octobre dernier, le Sénat du Kazakhstan a approuvé une loi accordant une amnistie de masse aux participants des émeutes de janvier, qui concerne près de 1 500 personnes. Cette loi a été signée par le Président Tokayev. Seul 1 des 49 agents des forces de l’ordre qui ont violé la loi en janvier sera amnistié, ont annoncé les autorités.
Selon le Gouvernement, la loi couvre la « resocialisation » des anciens condamnés. Ils recevront une aide pour trouver un emploi, et bénéficieront d’une assistance médicale. D’autre part, Janbolat Mamaï, chef du parti non enregistré Democratic Party of Kazakhstan, a été libéré et placé en résidence surveillée le 2 novembre 2022. Les charges retenues contre lui ont été renommées, passant d’« organisation d’émeutes de masse » en « violation de la procédure d’organisation et de tenue de réunions pacifiques ».
Abolition de la peine de mort
Un symbole du changement
S’il est un exemple de l’évolution en cours dans le pays, c’est celui de la peine de mort : le Kazakhstan compte aujourd’hui parmi les 107 États abolitionnistes de la planète. Si les exécutions étaient suspendues depuis 2003 à la suite d’un moratoire, les tribunaux continuaient néanmoins à condamner à mort des accusés pour des crimes exceptionnels, notamment ceux relevant d’actes de terrorisme.
Le 23 septembre 2020, le représentant permanent auprès des Nations unies à New York a présenté la ratification, par le Kazakhstan, du deuxième protocole facultatif au Pacte international relatif aux droits civils et politiques (OP2), qui constitue le seul traité international prévoyant l’abolition totale de la peine de mort. Le 2 janvier 2021, le Président Kassym-Jomart Tokayev a signé la loi de ratification de ce document, faisant de son pays le 90e sur 193 États membres de l’ONU à adhérer au protocole. Dans son discours sur l’état de la Nation en date du 16 mars 2022, le Président du Kazakhstan a déclaré que « pour consolider définitivement la décision d’abolir la peine de mort, il [serait] nécessaire d’apporter les changements appropriés à la Constitution ». Cette décision a été approuvée à la suite du référendum national du 5 juin 2022 et est aujourd’hui entrée en vigueur.