Les deux crises (Covid-19, guerre en Ukraine) qui se succèdent, en se superposant, mettent à mal les prévisions budgétaires nationales, et oblitèrent notamment les règles de bonne gestion que se sont imposées les États membres de la zone euro. Entre nécessité impérieuse de faire face à la situation actuelle et besoin vital de préserver l’avenir, l’Europe doit prendre des décisions difficiles.
Par Marie Forest
Trouver une ligne de conduite budgétaire qui s’adapte à des pays aux économies inégales et aux intérêts parfois divergents est une gageure. Mais une telle entente se révèle primordiale dès lors que ces pays ambitionnent de partager une monnaie unique. Si la zone euro a réussi à poser les bases d’une politique commune et solidaire, les soubresauts du monde la poussent à réfléchir à une adaptation de son modèle.
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Le Pacte de stabilité et de croissance
Avec l’apparition de la monnaie unique de l’Union économique et monétaire (UEM), les États concernés se sont dotés en 1997 d’un Pacte de stabilité et de croissance (PSC) afin de coordonner leurs politiques budgétaires nationales et d’éviter l’apparition de déficits excessifs. C’est apparu comme une nécessité car si les critères de Maastricht conditionnent une entrée dans l’UEM, aucune règle n’avait été fixée pour contrôler les finances publiques des États une fois qu’ils en étaient devenus membres. Le PSC comporte deux volets, un préventif et un punitif. Le premier, la « surveillance multilatérale », prévoit que chaque État présente annuellement ses objectifs budgétaires afin que le Conseil Ecofin, qui réunit les ministres de l’Économie et des Finances, puisse en cas de doute sur leur faisabilité faire part de ses recommandations. Le second, la « procédure des déficits excessifs », prévoit en cas de dépassement des critères fixés la possibilité d’infliger des amendes. Les critères du PSC sont une limitation des déficits et dettes publics à respectivement 3 % et 60 % du PIB.
Cependant, devant la difficulté de certains États à se conformer à ces critères (France et Allemagne en 2003, plusieurs pays lors de la crise des subprimes en 2008…), des dérogations ont été accordées, et le PSC a été à diverses reprises réformé pour qu’il soit moins contraignant. Une première fois en 2005, avec un élargissement des critères d’exemption. Un État peut désormais s’affranchir des règles s’il est en récession, et des délais lui sont accordés pour qu’il assainisse sa situation. De fait, les sanctions prévues dans le PSC n’ont encore jamais été appliquées. Un second assouplissement allant dans le même sens a eu lieu en 2011, avec de plus la création d’une clause dérogatoire générale en cas de coup dur touchant plusieurs pays. Son but est d’apporter un soutien aux systèmes de santé et de protection civile des États membres afin de protéger leur économie.
Du consensus à la division
Cette clause de sauvegarde a été actionnée en 2020, face à la crise mondiale générée par la Covid-19. Le 21 mars 2020, sur proposition de la Commission européenne, les ministres de l’Économie et des Finances des 27 pays de l’UE ont validé la suspension des règles de discipline budgétaire du PSC — une suspension reconduite pour 2021, 2022, et dernièrement pour 2023. Après la crise sanitaire, la crise générée par la guerre en Ukraine a justifié cette dernière reconduction.
Le consensus a été facilement obtenu en 2020, en réaction aux effets pervers qu’apporte une trop grande rigidité, effets qui ont pu être observés après la cure d’austérité ayant suivi la crise financière de 2008. À l’époque, certains pays, notamment l’Allemagne, avaient rechigné à soutenir la Grèce, en faillite, et la cohésion de la zone euro en avait été ébranlée. Berlin avait finalement cédé, mais demandé en contrepartie un renforcement des règles du PSC, qui avait entravé les investissements des économies européennes. La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, avait mis en garde contre la répétition d’un tel scénario. Il a été conjointement décidé de laisser courir les déficits et dettes publics pour ne pas entraver les investissements, et donc la relance économique. Aujourd’hui, les déficits et dépenses publics ne sont plus sous contrôle (cf. encadré).
Mais l’entente unanime sur la question n’est désormais plus de mise. Les États du nord et du sud s’opposent. Les premiers (Allemagne, Autriche, Pays-Bas, Suède, Danemark) prônent un retour à la rigueur. À contrario, les seconds (France, Italie, Espagne, Portugal, Grèce) veulent plus de flexibilité. Ainsi par exemple, le Chancelier allemand Olaf Scholz refuse le principe d’un nouveau plan de relance européen, quand le Président français Emmanuel Macron plaide pour un abandon des objectifs chiffrés définis par le traité de Maastricht en 1992. La clôture de la présidence française du Conseil de l’Union européenne, le 30 juin 2022, n’a pas donné lieu comme il était initialement prévu à un débat sur une éventuelle remise en cause du PSC, le sujet ayant été éclipsé par la guerre russo-ukrainienne.
Une consultation publique
En octobre 2021, la Commission européenne a officiellement ouvert une consultation publique sur la pertinence de réformer à nouveau le PSC. Le débat, amorcé avant la crise sanitaire et mis entre parenthèses au début de la pandémie, a alors été relancé.
Dès septembre 2019, le Comité budgétaire européen avait ouvert la voie à une adaptation de ces règles pour répondre de façon pragmatique à la réalité des différentes économies nationales. Pour autant, son président, Niels Thygesen, prônait en juin 2021 pour que les mesures d’exception concernant les dérogations aux règles budgétaires cessent dès que possible : « La réintroduction d’un cadre budgétaire révisé fondé sur des règles constitue une véritable priorité pour consolider notre crédibilité et atténuer le caractère incertain des prochaines politiques liées », estime-t-il.
Deux enjeux majeurs se télescopent : le maintien ou non des règles budgétaires, et la nécessité d’investir dans la lutte contre le changement climatique. Le vice-président exécutif de la Commission européenne, Valdis Dombrovskis, a résumé la situation : il s’agit de « résoudre la quadrature du cercle : d’une part, réduire la dette publique, et d’autre part, promouvoir l’investissement ». Afin de parvenir à une solution pérenne, la France et l’Espagne proposent de décorréler les deux sujets et d’exclure les dépenses concernant la transition énergétique du calcul des déficits. Une piste pour ne pas déroger aux principes du PSC, mais les financements restent à trouver. Début 2021, la dette moyenne des pays de la zone euro a tourné autour de 100 % du PIB, soit bien au-dessus de la limite des 60 % définie par le PSC, et le déficit a allègrement franchi la barre des 3 % pour atteindre près de 8 %.
LES CHIFFRES (2021)
Dette :
La dette publique moyenne des États de l’Union européenne a atteint 88,2 %. Les performances des bons élèves — Estonie (18,1 %), Luxembourg (24,4 %), Bulgarie (25,1 %) — n’ont pas compensé l’explosion de la dette de certains autres — Grèce (193,3 %), Italie (150,8 %), Portugal (127,4 %) —, la France se situant elle aussi au-dessus de la moyenne (113,3 %)
Déficit :
Au 4e trimestre 2021, en données non ajustées (sans tenir compte des variations saisonnières), le déficit public moyen de l’Union européenne s’est établi à 2,9 % du PIB, soit une forte baisse par rapport au 1er trimestre où il atteignait plus du triple. Mais la moitié des États membres dépassaient le seuil des 3 % — dont l’Espagne (8,6 %), la Pologne (5,8 %) ou l’Allemagne (3,7 %). Cependant, plusieurs pays présentaient un excédent budgétaire — Irlande (3,3 %), France (1,7 %), Danemark et Chypre (0,6 %).
LES CHIFFRES (2021)
Dette :
La dette publique moyenne des États de l’Union européenne a atteint 88,2 %. Les performances des bons élèves — Estonie (18,1 %), Luxembourg (24,4 %), Bulgarie (25,1 %) — n’ont pas compensé l’explosion de la dette de certains autres — Grèce (193,3 %), Italie (150,8 %), Portugal (127,4 %) —, la France se situant elle aussi au-dessus de la moyenne (113,3 %)
Déficit :
Au 4e trimestre 2021, en données non ajustées (sans tenir compte des variations saisonnières), le déficit public moyen de l’Union européenne s’est établi à 2,9 % du PIB, soit une forte baisse par rapport au 1er trimestre où il atteignait plus du triple. Mais la moitié des États membres dépassaient le seuil des 3 % — dont l’Espagne (8,6 %), la Pologne (5,8 %) ou l’Allemagne (3,7 %). Cependant, plusieurs pays présentaient un excédent budgétaire — Irlande (3,3 %), France (1,7 %), Danemark et Chypre (0,6 %).
Source : https://www.touteleurope.eu/