C’est l’histoire épique d’un fils de berger, devenu Président par la force des armes. Arrivé au pouvoir le 1er décembre 1990, Idriss Déby Itno hérite d’un pays laminé par 30 années de dictature des « seigneurs de guerre ». Le Maréchal s’est fixé pour ambition de bâtir un Tchad nouveau, le pays étant devenu, au gré de ses dirigeants, un grand corps malade.
Par Pius Moulolo
1979. Idriss Déby Itno retourne au Tchad, nanti d’une licence de pilote professionnel de l’Institut aéronautique Amaury-de-la-Grange, en France. Cinq années seulement après les indépendances, le Tchad bascule dans la guerre avec la naissance d’une dictature tragique, une explosion de groupes armés et une partie du pays occupée par la Libye. Soldat de formation, Déby décide de soutenir le camp d’Hissène Habré, « pour la simple raison, explique-t-il, que les autres tendances politico-militaires étaient avec l’occupant. » Nommé commandant en chef des Forces armées du Nord (FAN), il est promu colonel, puis chef adjoint des armées en 1983. Il se rend en France en 1985 pour se perfectionner à l’École supérieure de guerre. De retour au Tchad en 1986, il est nommé conseiller spécial à la défense et à la sécurité. Mais vers la fin de la décennie, les relations entre les deux hommes se détériorent.
Ce contenu est réservé aux abonnés
« Quand j’ai décidé de rompre avec Habré, c’est parce que j’ai vu l’injustice dans le pays. Un peuple bâillonné, tué, vous n’avez ni bien, ni rien. Une dictature pure et simple. J’ai refusé de coopérer avec cette dictature », confiait-il à la chaîne panafricanisteAfrique Média. Estimant que le temps de se dire les vérités est arrivé, Déby décide de claquer la porte après d’intenses affrontements menés contre les FAN d’Hissène Habré. De nombreux frères d’armes tombent sur le champ de tir. On comptera parmi eux le valeureux Hassan Djamous. Réfugié au Soudan voisin, Déby crée le Mouvement patriotique du salut (MPS) et organise la contre-offensive. Le 1er décembre 1990, il rentre triomphalement à N’Djamena après avoir défait les troupes d’Hissène Habré.
« Quand je suis arrivé, qu’est-ce que j’ai trouvé comme situation au Tchad ? Il n’y avait ni administration, ni armée, ni avenir, ni système de sécurité fiable, et il n’y avait pas de Tchadiens. Les Tchadiens étaient dans tous les pays autour. Soit des réfugiés, soit des exilés. Parce qu’en réalité, la guerre de 1979 a été une guerre de division nord-sud, est-ouest. Et les différentes tendances politico-militaires ont déchiré le tissu social. Il faudra que les Tchadiens se parlent et se connaissent. C’est la base », explique Déby lors d’une interview exclusive accordée à la radio RFI. Il fallait repartir de zéro. Un vaste chantier de reconstruction, qui passerait nécessairement par les trois piliers que sont la réconciliation nationale, le développement économique, et enfin la paix et la sécurité.
La Conférence nationale souveraine
Les assises de la Conférence nationale souveraine (CNS) ont démarré le 15 janvier 1993 dans l’enceinte du Palais du peuple. Ce grand rendez-vous a permis de réunir quelque 800 délégués représentant toutes les composantes sociologiques du pays. Outre la cérémonie de destruction des armes par le nouvel homme fort de N’Djamena, les échanges ont permis de poser un diagnostic froid et sévère sur les institutions de la transition, et jeter les bases d’une société démocratique, reposant sur un socle granitique de gouvernance. Le Chef de l’État a souhaité « qu’à l’issue de cette conférence, comme beaucoup l’ont dit, il n’y ait ni vainqueur, ni vaincu, mais une société soudée par des intérêts communs et régie par des règles claires et sécurisantes ».
Les travaux, qui ont duré trois mois, se sont achevés le 7 avril 1993 avec l’adoption de la Charte de la Conférence, le Conseil supérieur de transition, et la désignation d’un Premier ministre de transition en la personne de Fidèle Abdelkerim Moungar.Les résolutions de la CNS ont abouti à l’adoption d’une nouvelle Constitution en 1996, ainsi qu’à de nouvelles élections présidentielle, législatives et municipales. De nombreux partis politiques ont vu le jour, de même que plusieurs organes de presse. Le Forum national inclusif organisé en 2018 a permis d’adopter de nouvelles réformes institutionnelles. « La lutte que nous avions menée n’aurait aucun sens si ce n’était pour libérer le peuple tchadien de la dictature, et lui donner le cadeau le plus cher, la liberté et la démocratie. Je suis très heureux de constater aujourd’hui qu’il n’y a aucun Tchadien en prison à cause de son opinion ou de ses prises de position », relevait Déby à la veille du scrutin présidentiel du 11 avril 2021. Les membres de la société tchadienne, qui n’était jusqu’alors qu’une mosaïque d’ethnies, ont appris à se connaître et à vivre ensemble. Le Tchad venait ainsi de tourner une page de son histoire.
Le gendarme du Sahel
Le 26 juin 2020, Idriss Déby Itno a reçu de l’Assemblée nationale la plus haute distinction de l’État, celle du grade de maréchal. Cette reconnaissance intervient un mois après l’opération militaire « Colère de Bohoma » du 31 mars, qui a permis de venir à bout de quelque 1 000 combattants de la secte islamiste Boko Haram dans la région du lac Tchad. « À ceux qui s’étonnent qu’un Chef d’État soit aux côtés de ses troupes en opération, je leur réponds simplement qu’il y a des moments qui sont faits pour travailler dans la douceur des bureaux climatisés, et il y a des moments où un chef doit partager la rusticité du terrain avec ses hommes, surtout lorsque la survie de la Nation est en jeu », a déclamé le Président tchadien devant la représentation nationale.
Arborant son uniforme de soldat et menant les opérations depuis un hélicoptère de l’armée, Déby venait ainsi d’atteindre son objectif, celui de nettoyer le territoire du cancer terroriste. Et de reconquérir les droits de chacun : « Faut-il rappeler que l’intégrité territoriale, la paix, la stabilité, la dignité et la liberté ont été sauvées dans l’atrocité de ce combat. […] C’est grâce à ces héros de la liberté et de la sécurité qu’aujourd’hui l’opposition s’exprime à sa convenance, que la presse critique à sa guise, que les institutions démocratiques fonctionnent normalement et que les citoyens se prévalent des droits fondamentaux dont ils étaient privés avant le 1er décembre 1990. » Cet engagement dans la lutte contre le terrorisme a été démontré sur tous les champs d’opération de la région du Sahel. Le pays compte à lui seul 4 000 soldats dans la Force multinationale mixte (FMM) et plus de 1 800 soldats intervenant dans le cadre du G5 Sahel, tous formés, équipés et financés sur fonds propres de l’État tchadien.
Interrogé sur son nouveau statut, Idriss Déby Itno répond qu’être maréchal, ce n’est pas un grade, mais une sorte de dignité qu’on accorde à une personnalité qui a accompli un fait d’armes ou œuvré pour la nation. « Je suis un soldat avant d’être Président de la République. Mais un soldat, jusqu’à ce qu’il s’efface, il est soldat », déclarait-il sur les antennes d’Afrique Média. Le corps du Maréchal est arrivé le 23 avril 2021 à l’aéroport international d’Amdjarass, à bord d’un avion de la force aérienne tchadienne. Accueilli par les populations d’Ennedi-Est, il a été enterré au cimetière de la ville, dans l’intimité familiale. Après avoir déjoué deux tentatives successives de coup d’État, en avril 2006 puis février 2008, Idriss Déby Itno a finalement succombé le 20 avril 2021 à ses blessures, occasionnées lors d’un combat face aux rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (FACT). Ainsi s’achève le parcours de ce valeureux soldat, tombé au champ d’honneur, conformément à sa promesse faite aux Tchadiens de mourir pour son pays armes à la main.