L’humanité en est persuadée : son avenir est lié aux évolutions technologiques. Sont-elles cependant indispensables ? Le concept de low-tech, qui vise à réduire la consommation de matériaux, tend à prouver que des alternatives soutenables existent. En France, il compte de plus en plus d’adeptes.
Par Clément Airault
Le monde est en crise. La plupart des nations de la planète connaissent une croissance en berne, notamment en Europe. Récemment, la guerre en Ukraine a entraîné de fortes tensions sur l’approvisionnement en énergie, et les prix des matières premières ont explosé. Du point de vue environnemental, on observe un effondrement de la biodiversité, une pollution généralisée, et les effets du changement climatique se font de plus en plus prégnants. Notre modèle de croissance doit être réinventé. Que mettre en œuvre face à ce tableau bien sombre pour l’avenir de l’humanité ? D’une seule voix, les nations le clament : la technologie nous sauvera. Le tout-technologique accapare les débats. Les principales réponses proposées par les États, les entreprises et de nombreux scientifiques aux défis écologiques s’appuient immanquablement sur une relance de la recherche et de l’innovation high-tech, grâce à une multitude de solutions techniques complexes : intelligence artificielle, robotique, numérique, énergies vertes, avions à hydrogène ou encore 5G. Le Président Emmanuel Macron est le premier promoteur des technologies comme facteur de progrès. Avec la création du collectif Tech for Good, il espère voir les grandes entreprises du numérique s’engager pour « une “tech” à impact positif ».
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Un effort de sobriété
Comment ne pas être convaincu que la technologie, « verte » qui plus est, est le meilleur moyen de sauver notre mode de vie, la croissance et la planète ? Les évolutions technologiques ne marquent toutefois pas une rupture avec le modèle actuel, puisqu’elles sont d’importantes consommatrices de ressources naturelles fossiles — terres rares et lithium en tête. En France, le numérique représente 3 % de la consommation d’énergie finale. Selon l’association NégaWatt, l’empreinte électrique du numérique devrait augmenter de 15 TWh d’ici à 2030, soit +25 % par rapport à 2015, ce qui lui ferait atteindre environ 15 % de la consommation électrique du pays. Les innovations high-tech, gourmandes en énergie, seraient-elles un pis-aller ? En effet, la croyance en l’évolution technologique ne sous-entend pas la diminution de l’esprit de consommation. Face à cette course effrénée au progrès axé sur la croissance économique, d’autres voix se font entendre, appelant à un effort de sobriété. Les partisans des low-tech (basses technologies, par opposition à high-tech) proposent des alternatives.
Le concept de low-tech questionne en premier lieu les besoins. Il est important de s’interroger sur la nécessité du recours aux technologies, et de les « soumettre à des valeurs sociales et à des choix politiques ». Dans bien des cas, elles ne sont pas indispensables, et la low-tech favorise justement l’essor de technologies simples, peu onéreuses, accessibles à tous et facilement réparables. Elle fait appel pour cela à des moyens courants et localement disponibles. Depuis la seconde moitié du XXe siècle la mondialisation s’est accélérée, et les chaînes de production s’organisent désormais massivement à l’échelle internationale. La fabrication est délocalisée dans les pays où les coûts de production sont plus avantageux, et les activités productives disparaissent petit à petit des villes occidentales. La crise de la Covid-19 nous a forcés à repenser nos systèmes de production, à défaut de remettre en question nos modes de consommation. La low-tech prend en compte les dimensions sociale et environnementale dans la conception et la fabrication des produits. Elle améliore la résilience des territoires dans un contexte de tension sur les ressources. Selon un rapport de La Fabrique écologique, la low-tech peut être appréhendée à partir d’un faisceau de sept critères : la capacité à durer, la baisse de la consommation de matières premières, la baisse de la consommation d’énergie, la limitation de l’impact environnemental, le haut degré d’autonomie d’usage, le haut degré d’utilité et l’impact « systémique ».
Selon le Low-tech Lab (cf. encadré), les basses technologies doivent s’articuler autour de trois grands principes. Dans un premier temps, une low-tech doit être utile. Il faut qu’elle réponde à des besoins essentiels à l’individu ou au collectif. « Elle contribue à rendre possibles des modes de vie, de production et de consommation sains et pertinents pour tous dans des domaines aussi variés que l’énergie, l’alimentation, l’eau, la gestion des déchets, les matériaux, l’habitat, les transports, l’hygiène ou encore la santé », selon l’association. Dans un deuxième temps, la low-tech doit être accessible, afin que le plus grand nombre puisse se l’approprier, selon l’esprit open source. Cela nécesssite qu’elle puisse être fabriquée ou réparée localement, que ses principes de fonctionnement puissent s’appréhender simplement, et que son coût soit adapté à une large part de la population. Enfin, le troisième grand principe émis par le Low-tech Lab est celui de la durabilité. La low-tech « invite à réfléchir et optimiser les impacts tant écologiques que sociaux ou sociétaux liés au recours à la technique, et ce, à toutes les étapes de son cycle de vie, même si cela implique parfois de recourir à moins de technique, et plus de partage ou de collaboration ! »
S’intégrer à l’économie
Les partisans des low-tech ne sont pas des décroissants qui refusent tout progrès. S’ils acceptent de baisser leur niveau de confort, ils ne souhaitent pas pour autant s’éclairer à la bougie. Il s’agit seulement de se défaire des illusions imposées par la croyance en la technologie, afin d’explorer « les voies possibles vers un système économique et industriel soutenable dans une planète finie », comme le précise Philippe Bihouix dans son ouvrage consacré aux low-tech. Aucune technologie n’est par essence low-tech, mais on peut établir une échelle selon l’impact de chacune. Par exemple, le Fairphone, produit dans des conditions plus éthiques, est préférable au smartphone standard.
S’il continue à être porté par le monde associatif, cet écosystème s’intègre de plus en plus au monde économique. Des entreprises et des sociétés que l’on peut qualifier de low-tech voient le jour. Et aujourd’hui, nombreux sont ceux qui cherchent à entreprendre de manière vertueuse. On peut citer la Société coopérative de production (SCOP) Eclowtech, située dans la Vienne, qui fabrique notamment des douches solaires, installées sur les sites de festivals. Ou encore la société à actions simplifiés Enerlog, qui offre des prestations de conseil et d’audit énergétique en prenant en compte la soutenabilité des technologies. Elle aide à mieux valoriser les solutions low-tech. L’entreprise Breizh Bell quant à elle est spécialisée dans la culture de champignons. Elle vend notamment des mycéliums et des chambres de culture. Ces trois entités ont en commun de créer des ateliers participatifs, car la transmission et le « Do It Yourself » (DIY) constituent l’essence de l’esprit low-tech. Divers domaines sont concernés par l’entrepreneuriat low-tech, comme l’habitat, la mobilité, l’énergie, l’alimentation ou l’agriculture.
Des villes low-tech ?
Les entrepreneurs ne sont pas les seuls à s’emparer du sujet. Pour les municipalités, les budgets consacrés à l’énergie explosent ces derniers mois. Le modèle de smart city ultra-connectée est remis en question. Désormais, les acteurs publics cherchent à rendre la ville de demain plus sobre et moins technologique. Tout l’enjeu est évidemment de faire des économies.
En 2021, Bordeaux, Lille, Lyon, Paris, Poitiers et Strasbourg se sont prêtées à une étude sur la low-tech menée par le think tank Labo de l’économie sociale et solidaire (Labo de l’ESS). Les résultats ont été publiés en février 2022 sous le titre « Pour des métropoles low-tech et solidaires ». L’objectif n’était « pas de faire de la ville low-tech un énième concept voué à servir d’accroche aux stratégies de marketing territorial », précise Philippe Bihouix, le référent thématique du Labo de l’ESS. Il s’agit plutôt selon lui de présenter une « une boussole pour repenser de façon cohérente et systémique la place de la technologie dans les territoires urbains, en proposant un récit et des nouveaux modes d’action concrets, résolument tournés vers un futur des villes et agglomérations à la fois plus durable et plus désirable. »
Le Low-tech Lab collabore de plus en plus avec des acteurs publics en cherchant à les sensibiliser aux technologies basses. C’est le cas de la Bretagne, qui a ouvertement affiché sa volonté de renforcer les low-tech sur son territoire. Le président de la région Bretagne, Loïg Chesnais-Girard, déclarait en juillet 2020 vouloir « développer le low-tech non pas pour entrer dans une mode, mais tout simplement parce que l’innovation ne se résumera pas au high-tech énergivore ». Et de poursuivre : « Je veux que le numérique soit acceptable, qu’il ne soit pas une énième technologie consumériste, et qu’il soit une technologie souveraine européenne. » Le Low-tech Lab expérimente désormais en Bretagne de nouveaux fonctionnements d’organisation et de développement des low-tech à l’échelle d’un territoire, dans un projet financé par l’Ademe. Pour la région, la stratégie vise à se placer comme le futur grand pôle des low-tech en France.
Mais quel est l’avenir de ces technologies ? Dans le cadre de la 41e Rencontre nationale des agences du réseau FNAU (Fédération nationale des agences d’urbanisme), en décembre 2020, des experts ont imaginé quelle serait l’évolution de nos sociétés d’ici 2040. Leur récit mobilise les imaginaires et propose une évolution positive de nos modes de vie en 2040, dans un contexte où les low-tech auraient trouvé toute leur place.
Le Low-tech Lab
Un acteur majeur de l’écosystème
La reconnaissance médiatique de l’écosystème low-tech est en partie due au Low-tech Lab, fondé par Corentin de Chatelperron. Ce jeune explorateur est l’un des principaux promoteurs des low-tech en France.
En 2010, au Bangladesh, il entreprend une expédition pour s’essayer à l’autonomie grâce à de petits systèmes low-tech, à bord d’un navire prototype dont la coque est réalisée en fibre naturelle de jute. Au fil de ses pérégrinations, il constate l’ingéniosité déployée par de nombreux habitants du monde pour faire face de façon simple, accessible et durable à leurs besoins. En 2014, le Low-tech Lab est lancé avec la création d’une plateforme de documentation collaborative et le départ de l’expédition Nomade des mers : un tour du monde à la découverte de l’innovation low-tech. Cette expédition a été documentée au travers d’un livre et d’une série télévisée diffusée sur Arte. Le Low-tech Lab cherche à partager avec le plus grand nombre l’esprit low-tech. Il organise chaque année un festival consacré au sujet, et propose des tutos sur son site internet.
Corentin de Chatelperron continue son action puisqu’il vient d’expérimenter, avec une designer du Low-tech Lab, la vie en autonomie totale en milieu aride. Isolé durant plusieurs mois dans une biosphère au Mexique, ils ont tenté de ne pas produire de déchets et de créer des ressources.
lowtechlab.org
Aller plus loin…
L’Âge des low tech — Vers une civilisation techniquement soutenable
Par Philippe Bihouix – Seuil, collection Anthropocène – 336 p. – 19,50 €
Dans cet essai ayant obtenu le prix de la Fondation de l’écologie politique en 2014, l’ingénieur centralien Philippe Bihouix, spécialiste des ressources minérales et promoteur des low-tech, démonte un à un les mirages des innovations high-tech. Prenant le contre-pied de la course en avant technologique, il propose de se tourner vers les low-tech. Il estime qu’il est prioritaire d’explorer toutes les voies possibles vers un système économique et industriel soutenable sur une planète finie.
La Revue internationale et stratégique n° 128 – Géopolitique de la sobriété
Sous la direction d’Emmanuel Hache – Armand Colin/IRIS éditions – 144 p. – 20 €
En 2022, la concomitance de la hausse des prix des matières premières énergétiques, de l’agression russe en Ukraine et de la parution du troisième volet du 6e Rapport du GIEC a mis en exergue la nécessité de la sobriété, tant du fait des dépendances stratégiques que pour la protection du climat. Or, le champ de réflexion ouvert par la sobriété énergétique est bien plus vaste. Elle interroge, en effet, les modes de consommation et l’appréhension de la technologie, les modèles de société, la façon dont l’humanité aborde la lutte contre le changement climatique, les questions de résilience et d’adaptation, le rapport à la démocratie et au contrat social, jusqu’à la puissance elle-même. Dans cette revue, Bénédicte Manier propose notamment un article intéressant : « L’Inde, ou le soft power des low tech ».