Le Kazakhstan, plus grande économie d’Asie centrale, a depuis son indépendance en 1991 cherché à se moderniser et à se diversifier, loin de sa sujétion traditionnelle envers les secteurs pétrolier et minier. C’est dans un contexte historique et politique très particulier que les réformes entreprises pour moderniser le pays ont suscité l’intérêt croissant de l’Union européenne.
Par Rafik Ammar
L’Asie centrale, longtemps perçue comme une zone d’influence lointaine et intermédiaire, s’affirme aujourd’hui comme un acteur géopolitique de premier plan. Le Kazakhstan, avec sa richesse en ressources naturelles et sa position géographique stratégique, se pose en partenaire incontournable de l’Union européenne dans cette région.
Les relations UE-Kazakhstan
L’UE agit en tant qu’entité supranationale qui détient la compétence exclusive ou partagée pour négocier et conclure des accords internationaux avec des pays tiers et des organisations internationales dans plusieurs domaines relevant de la politique. Elle définit le cadre légal et les limites au sein desquels les États membres peuvent opérer, et garantit une approche unifiée et cohérente. Cela lui octroie une importance diplomatique considérable, en tant que bloc, dans les négociations internationales. La même ligne, suivie par les États membres dans les partenariats internationaux, permet à l’UE de négocier en ayant plus de poids, comme on peut le voir dans les accords commerciaux et les discussions sur le climat.
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C’est dans ce cadre que l’UE a intensifié son commerce avec le Kazakhstan, grâce à l’Accord de partenariat et de coopération renforcé (APCR) entré en vigueur en 2020. L’UE est ainsi le premier partenaire commercial d’Astana, représentant environ un tiers du total de ses échanges extérieurs. Les exportations du Kazakhstan vers l’UE sont dominées par les produits pétroliers et gaziers, tandis que ses importations portent principalement sur des machines, des équipements et des produits chimiques. Un exemple marquant de la coopération dans le domaine énergétique est le soutien de l’UE au projet de gazoduc transcaspien qui vise à transporter le combustible bleu de la région de la mer Caspienne vers l’Europe, ce qui réduira la dépendance de l’UE envers les importations de gaz russe. Le Kazakhstan joue un rôle dans ce projet en tant que partenaire stratégique en Asie centrale, depuis que des réunions régulières telles que le Conseil de coopération UE-Kazakhstan permettent des échanges sur divers sujets, y compris sur certaines politiques internes au pays. Comme lorsque l’UE a soutenu le processus de réformes politiques « 100 étapes concrètes » du Kazakhstan, un plan visant à moderniser l’économie et à améliorer l’administration gouvernementale, initié par Noursoultan Nazarbayev. Depuis l’arrivée à la tête de l’État de Kassym-Jomart Tokayev, une série de réformes politiques d’envergure et audacieuses est mise en place en vue de construire un « Nouveau Kazakhstan juste et équitable ».
Dans son discours du 16 mars 2022, le Président de la République a abordé les évènements tragiques de janvier, déclenchés par les protestations pacifiques contre la hausse du prix du pétrole qui ont dégénéré en violences et une tentative de coup d’État prémédité. Il a présenté sa vision pour des réformes politiques encore plus substantielles. Celles-ci visent notamment la présidence, le législatif, les règles de la vie politique et le système des partis, avec pour intention de moderniser le processus électoral et de renforcer les institutions des droits de l’homme, les médias et la société civile. Le Président Tokayev a également souligné la nécessité de passer d’un système « super-présidentiel » à une forme de gouvernance plus équilibrée. Parmi les propositions de réformes, il a suggéré d’interdire aux proches parents du Chef de l’État d’occuper des postes de « fonctionnaires politiques » ou des postes exécutifs dans le secteur semi-public. Il a également évoqué l’abolition de certains pouvoirs présidentiels excessifs, tels que celui de révoquer les akims (gouverneurs de régions et maires).
Dans la stratégie de l’UE pour l’Asie centrale, Astana a été un acteur clé au sein des discussions sur la stabilité régionale, notamment en ce qui concerne les graves difficultés sécuritaires et socioéconomiques que connaît l’Afghanistan. Les deux parties ont collaboré sur des initiatives antiterroristes et ont organisé des formations et des échanges d’informations pour lutter contre l’extrémisme violent. Du côté environnemental, l’UE a appuyé le Kazakhstan dans son passage à une économie verte en finançant des projets dans le cadre de l’initiative Green Bridge, qui vise à promouvoir le partenariat entre l’Europe et l’Asie pour le développement durable.
L’UE a de plus rappelé l’importance que représente pour elle le Kazakhstan comme partenaire. En atteste le fait qu’aujourd’hui, l’Europe manifeste sa volonté de renforcer la coopération dans un éventail de domaines encore plus large, comme la justice, la gouvernance, l’éducation, l’environnement et surtout la lutte contre le changement climatique.
Une synergie en développement
La coopération interparlementaire, en particulier avec le Parlement européen, est un aspect crucial des relations UE-Kazakhstan. Des députés européens, tels que Stasys Jakeliūnas de Lituanie ou encore Mauri Pekkarinen de Finlande, ont des liens étroits avec le Kazakhstan, et soulignent l’importance des visites officielles pour comprendre la situation du pays et dialoguer avec les différentes parties prenantes. Au sein du Parlement européen, la Commission des affaires étrangères (AFET), la Sous-commission des droits de l’homme (DROI) et la Délégation pour les relations avec l’Asie centrale et la Mongolie (DCAS) jouent un rôle clé en portant un intérêt particulier à la région, et notamment au Kazakhstan, enrichissant le dialogue avec des perspectives variées.
La diplomatie kazakhstanaise est guidée par un désir de collaboration, de paix et de respect mutuel, encapsulé dans la philosophie « la paix à l’intérieur — la paix à l’extérieur », reflétant les valeurs et la vision du Kazakhstan pour un monde harmonieux. L’année écoulée a été marquée par des visites importantes de hauts fonctionnaires de l’UE au Kazakhstan, dont celles du président du Conseil européen, Charles Michel, et du haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, soulignant l’intensité croissante des interactions diplomatiques.
Le Kazakhstan a pris des initiatives significatives en proposant d’ouvrir un bureau dédié au changement climatique et à l’énergie verte à Almaty, et en planifiant un sommet régional sur le climat en 2026 sous les auspices des Nations unies, pour adresser des enjeux environnementaux critiques, comme la situation de la mer d’Aral et de la mer Caspienne. Pour finir, dans un esprit de solidarité, le Kazakhstan a facilité le transfert temporaire de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (MANUA) et d’autres agences de l’organisation internationale, se montrant prêt à offrir une plateforme logistique pour l’acheminement de l’aide humanitaire et à travailler en étroite collaboration avec les Nations unies, l’Union européenne, d’autres organisations et les pays voisins.
Rebattage des cartes depuis la guerre entre la Russie et l’Ukraine
Avec l’aggravation des tensions entre l’UE et la Russie due au conflit russo-ukrainien, l’Europe a cherché à diversifier ses sources d’énergie. Le Kazakhstan, riche en ressources pétrolières et gazières, est un candidat logique pour aider à réduire cette dépendance vis-à-vis de la Russie. L’UE pourrait intensifier sa coopération avec Astana pour augmenter l’importation de ces produits. De plus, la guerre en Ukraine a eu un impact significatif sur la sécurité régionale, rendant la coopération euro-kazakhstanaise encore plus cruciale. Les deux parties cherchent à renforcer leur dialogue pour faire face aux répercussions du conflit, notamment en matière de sécurité énergétique et de gestion des flux migratoires.
Les sanctions imposées par l’UE à la Russie ont eu des effets collatéraux sur l’économie kazakhstanaise, étant donné les liens étroits entre Moscou et Astana, notamment au sein de l’Union économique eurasiatique. Cela a incité le Kazakhstan à se tourner davantage vers l’UE pour équilibrer ses relations et trouver de nouveaux marchés. Le pays, cherchant à naviguer entre ses rapports avec la Russie et les autres puissances mondiales, finit par jouer un rôle de médiateur et offre un terrain neutre pour des pourparlers, comme il l’a fait dans le passé avec le processus d’Astana sur la Syrie.
Contexte historique et politique
Le « Nouveau Kazakhstan juste et équitable » promu par Kassym-Jomart Tokayev se caractérise par une série de réformes et de développements stratégiques visant à transformer la nation en une société plus démocratique, inclusive et économiquement dynamique. En 2022, un référendum national a conduit à l’adoption de modifications constitutionnelles, marquant une transition vers un système présidentiel avec un Parlement influent et un Gouvernement responsable, et limitant ainsi les pouvoirs du Président. Ces réformes renforcent le pouvoir représentatif et établissent un système de contrôle et d’équilibre plus robuste. Parallèlement, le Plan de développement national jusqu’en 2025 fixe des objectifs économiques ambitieux, tels qu’une croissance de 5 %, l’augmentation de la part des PME dans le PIB pour passer à 35 %, ou le doublement des exportations non liées aux matières premières. Ce plan met l’accent sur l’autosuffisance, la diversification économique, ainsi que sur le développement de nouveaux secteurs comme les technologies vertes, le transport et la logistique, ou encore les TIC. Le Kazakhstan s’efforce également d’améliorer son image internationale, visant à se positionner parmi les 55 à 60 meilleures nations dans des indices clés comme ceux de l’État de droit ou de la complexité économique d’ici 2025. Ces initiatives reflètent un engagement en faveur de la modernisation, la transparence et la démocratisation, répondant aux défis internes et externes du pays, et visent à renforcer l’économie et la société kazakhstanaises tout en améliorant la réputation internationale du pays.
Le dialogue politique entre le Kazakhstan et l’UE a évolué. L’UE a exprimé son soutien aux réformes démocratiques et encouragé Astana à poursuivre son chemin vers la modernisation et le respect des droits de l’homme. Les réunions périodiques et les dialogues de haut niveau ont servi de plateformes pour discuter des progrès des réformes et de la coopération future. L’APCR, entré en vigueur en 2020, qui a créé un nouveau cadre pour approfondir les relations économiques, politiques et culturelles entre le Kazakhstan et l’UE, a été un signe de l’engagement du géant d’Asie centrale pour la modernisation et pour l’intégration des normes européennes. Si la pandémie a mis à l’épreuve le système de santé et l’économie du pays, elle a également accéléré certaines réformes, notamment dans la numérisation des services publics et le développement d’infrastructures sanitaires. Depuis lors, le Kazakhstan joue son rôle de leader en Asie centrale, en favorisant la coopération régionale et en se positionnant comme un intermédiaire fiable pour les grandes puissances que sont l’UE, la Chine et la Russie.
Axes de coopérations futures
Les investissements européens dans les infrastructures énergétiques kazakhstanaises, comme les pipelines ou les projets d’énergie renouvelable, pourraient sensiblement s’accroître. L’UE jouerait alors un rôle clé dans la modernisation de l’économie du pays, et pourrait même aider à développer des secteurs autres que celui des hydrocarbures. L’accent sera sans doute mis sur l’innovation, la digitalisation et le développement durable, avec un soutien potentiel pour les startups et les PME kazakhstanaises. Global Gateway, l’initiative de connectivité globale de l’UE qui vise à développer les liens durables dans les domaines du transport, de l’énergie et du numérique, pourrait être étendue pour inclure le Kazakhstan. Cela renforcerait le rôle du pays en tant que carrefour logistique dans les « nouvelles routes de la soie ».
Les réunions politiques de l’UE avec le Kazakhstan, qui sont de plus en plus fréquentes et substantielles, prennent une tournure plus affirmée sur des questions de sécurité régionale, particulièrement en ce qui concerne les répercussions du conflit en Ukraine. La coopération dans la lutte contre les changements climatiques, quant à elle, est susceptible de s’intensifier. Le Kazakhstan pourrait bénéficier de la technologie et de l’expertise européennes pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions nocives, et pour développer des projets d’énergie verte.
Le Kazakhstan, situé au carrefour de l’Asie centrale et de l’Europe, est devenu un pivot stratégique pour l’UE dans une région de plus en plus convoitée pour ses ressources et sa position géostratégique. L’APCR, la collaboration en matière de diversification énergétique et les initiatives de modernisation économique témoignent d’une relation qui s’approfondit et se diversifie. Malgré les défis posés par les fluctuations économiques mondiales et les crises régionales, notamment la guerre en Ukraine, l’UE et Astana ont su montrer une capacité d’adaptation et une volonté de renforcer leurs liens. Le Kazakhstan, avec ses réformes ambitieuses et son ouverture croissante sur le monde, semble prêt à embrasser un avenir où il jouera un rôle prépondérant, non seulement en Asie centrale mais aussi comme interlocuteur privilégié de l’Europe. Alors que le contexte géopolitique international continue d’évoluer, la relation entre le Kazakhstan et l’UE pourrait bien devenir un modèle de coopération transcontinentale, conjuguant sécurité, prospérité et développement durable.
Les points clés de la relation UE-Kazakhstan
L’Accord de partenariat et de coopération renforcé (APCR) entre l’UE et le Kazakhstan souligne une étape importante dans les relations bilatérales, permettant un partenariat stratégique dans des domaines divers allant du commerce aux questions sécuritaires. L’UE utilise ses compétences en matière de partenariats internationaux pour promouvoir des valeurs démocratiques, la stabilité régionale et le respect des droits de l’homme, alignant ainsi les relations avec le Kazakhstan sur ses objectifs globaux de politique extérieure.
Tout en reconnaissant les défis liés aux différences de systèmes politiques et aux réponses apportées concernant les questions de droits humains, les deux parties s’efforcent de trouver un terrain d’entente pour avancer sur des sujets d’intérêt commun. La coopération future entre l’UE et le Kazakhstan pourrait se concentrer sur des enjeux globaux tels que la lutte contre le changement climatique, la gestion des crises, et l’implication dans les affaires régionales, notamment face aux développements géopolitiques récents.
C’est pourquoi il est impératif que les États membres de l’UE restent solidaires dans leurs relations envers le Kazakhstan, pour maintenir une politique cohérente et efficace. La rencontre du Président Tokayev avec le Chancelier allemand, Olaf Scholz, à Berlin le 28 septembre dernier, ainsi que les récentes visites à Astana du Président français, Emmanuel Macron, et du Premier ministre hongrois, Viktor Orban, en témoignent.