Au soir du 2e tour des élections législatives, l’Assemblée nationale offre une configuration politique inédite sous la Ve République, laissant envisager un nouvel équilibre entre pouvoirs exécutif et législatif.
Par Charlotte Le Brun
Un fait notable pour la vie politique française : Emmanuel Macron échoue à remporter la majorité absolue à l’Assemblée nationale, alors que l’instauration du quinquennat en 2002 semblait garantir de facto la majorité au camp présidentiel, en superposant les mandatures du Président et des députés. Lors de sa prise de parole à l’annonce des résultats, au soir du 19 juin, la Première ministre Élisabeth Borne a estimé que la situation constituait un « risque pour le pays », car elle pose la question de la capacité à gouverner et à mener à bien les réformes proposées dans le programme du candidat Emmanuel Macron.
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Quatre forces politiques se détachent
Ces élections ont été caractérisées par un fort taux d’abstention : plus d’un Français sur deux ne s’est pas déplacé aux urnes. Elles marquent également un tournant. Le paysage politique se morcelle plus nettement, avec quatre formations qui se dégagent. Parmi ces dernières, deux partis semblent sortir particulièrement renforcés du scrutin.
Tout d’abord, le Rassemblement national (RN) — ex-Front national — signe son score le plus haut à des élections législatives dans toute son histoire, et rafle 89 sièges, une progression remarquable par rapport à 2017 où 8 députés avaient fait leur entrée au Palais Bourbon. Mieux, ce chiffre le propulse premier parti d’opposition devant La France insoumise (LFI) et lui permet de constituer un groupe, véritable levier de pouvoir au sein de l’Assemblée, une performance atteinte seulement en 1986 grâce à l’instauration de la proportionnelle.
Ensuite, le parti Les Républicains (LR) se voit doté d’une position stratégique. Il remporte 64 sièges, et se place ainsi en capacité de faire basculer la majorité présidentielle relative. Au regard du score obtenu à l’élection présidentielle par Valérie Pécresse — 4,78 % —, LR fait plus que d’assurer sa survie politique et confirme son ancrage territorial.
Pour la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) — la coalition de gauche formée de LFI, Europe Écologie Les Verts (EELV), le Parti communiste français (PCF) et le Parti socialiste (PS) —, le score est légèrement en deçà des attentes, même si ses 133 sièges lui permettent de revendiquer le titre de première force d’opposition. Mais à l’intérieur de la jeune coalition, des divisions existent. En outre, les 72 sièges de LFI ne parviennent pas à supplanter le RN. Tout l’enjeu pour la Nupes sera de préserver l’unité pour éviter l’implosion au cours des semaines à venir.
Du côté de la majorité présidentielle, baptisée « Ensemble ! », les résultats sont en dessous des projections d’Ipsos – Sopra Steria et IFOP-Fiducial qui tablaient sur une fourchette de 255 à 310 sièges. En totalisant 245 députés (dont 48 pour le MoDem et 28 pour Horizons,) le parti présidentiel obtient seulement une majorité relative, ce qui signifie qu’il devra obligatoirement composer avec d’autres partis pour gouverner.
L’Assemblée élue a procédé à la répartition de ses sièges et fonctions clés en tenant compte du poids politique des différents groupes : présidence, bureau, questeurs, présidences des commissions reflètent ainsi la composition de la nouvelle Chambre basse. Pour la première fois, une femme accède au perchoir. Il s’agit de Yaël Braun-Pivet (Renaissance), qui s’est fait connaître en tant que présidente de la Commission des lois au cours de la dernière législature et a fait un passage éphémère au ministère des Outre-Mer. Elle succède au proche d’Emmanuel Macron et fidèle « marcheur » Richard Ferrand, battu dans sa circonscription du Finistère, le 19 juin. Les six vice-présidents élus le 29 juin sont Valérie Rabault (PS), Caroline Fiat (LFI), Élodie Jacquier-Laforge (MoDem), Naïma Moutchou (Horizons), ainsi que, fait inédit, deux députés issus des rangs de l’extrême droite : Sébastien Chenu et Hélène Laporte (RN). Marie Guévenoux et Éric Woerth (Renaissance) ainsi qu’Éric Ciotti (LR) sont élus questeurs. Les présidences de groupes laissent davantage de place aux femmes que précédemment : Aurore Bergé pour Renaissance, Mathilde Panot chez LFI et Cyrielle Chatelain, coprésidente d’EELV aux côtés de Julien Bayou.
L’élection la plus attendue et la plus commentée est cependant celle d’Éric Coquerel (LFI) à la tête de la Commission des finances. Poste éminemment stratégique, doté de prérogatives étendues — notamment sur les lois de finance, en matière de contrôle de l’exécution du budget, de levée du secret fiscal ou pour la constitution d’une commission d’enquête —, il doit revenir, tel qu’énoncé dans l’article 36 du Règlement intérieur de la Chambre basse, à un député « s’étant déclaré dans l’opposition ». Le règlement a été modifié en 2009 sous l’impulsion du Président Nicolas Sarkozy afin précisément de renforcer le rôle du Parlement en matière de contrôle de l’exécutif.
Perspectives pour la législature
Dans son allocution du 22 juin, le Président de la République a acté l’impossibilité de former une coalition de gouvernement. Dans le contexte de crise économique et sociale actuel, il a ouvert la voie à des réformes basées sur des priorités communes. La recherche de consensus avec l’opposition, texte par texte, devra commencer dès cet été avec le projet de loi attendu sur le pouvoir d’achat. Le Président va devoir trouver une « majorité d’action ». Pour bon nombre d’observateurs, c’est la promesse d’une Chambre basse rompant avec la tradition du « Parlement godillot », ou chambre d’enregistrement de l’exécutif. Cette configuration signifie plus de pouvoir pour l’opposition. Le seul point de comparaison possible dans l’histoire de la Ve République est la mandature de 1988-1993, où dans la foulée de l’élection du Président François Mitterrand (PS), le parti présidentiel avait obtenu une majorité relative de 275 députés socialistes et apparentés (pour 575 députés au total), dans une configuration politique cependant sensiblement différente avec la possibilité d’un usage illimité de l’article 49-3 (réduit aujourd’hui à un texte par mandature, hors loi de finances et loi de financement de la Sécurité sociale). Le Gouvernement avait quand même dû composer avec des alliés de circonstances pour faire adopter ses textes. En cas de paralysie, Emmanuel Macron dispose encore d’un outil constitutionnel : la dissolution de l’Assemblée nationale. Mais il ne peut le faire dans l’année qui suit les élections.
Profil type des élus
Au lendemain du second tour, l’Assemblée nationale affiche un nouveau visage, avec 286 primo-députés. On compte 215 femmes pour 362 hommes, soit 37,3 % de femmes. Ce chiffre est en léger recul par rapport à 2017 (38,76 %), avec 9 députées élues de moins, malgré des candidatures paritaires, conformément à la règle fixée par la loi du 6 juin 2000, qui oblige les partis à présenter un nombre égal d’hommes et de femmes pour les élections législatives. Le profil type du député est donc un homme dont l’âge avoisine la cinquantaine, cadre (ils représentent 33,5 % des élus). Parmi les « professions » inhabituelles, on dénombre 5 ouvriers siégeant à la Nupes et au RN et 2 étudiants. C’est aussi dans les rangs de la Nupes qu’on trouve les 2 plus jeunes députés : Tematai Le Gayic, indépendantiste soutenu par la Nupes dans la 1re circonscription de Polynésie française, âgé de 21 ans, et Louis Boyard, dans la 3e circonscription du Val-de-Marne.